La Tunisie tente sa révolution copernicienne des libertés individuelles; pour la réussir sans encombre, il importe d’user de la recette ayant permis au livre de Copernic de ne pas être censuré par l’Église et faire son œuvre salutaire.
Par Farhat Othman *
La consécration des libertés individuelles en Tunisie est une véritable révolution copernicienne, car elle heurte un ordre établi équivalent, dans son dogmatisme et sa résilience, à la thèse qu’est venue contester la théorie copernicienne de l’héliocentrisme. Comme avec Copernic puis avec Galilée, c’est la religion et ses serviteurs dogmatiques qui s’opposent à une telle révolution; dans un cas, ce fut la religion chrétienne, dans l’autre, en Tunisie, c’est l’islam intégriste.
C’est que la bascule d’un paradigme à un autre n’est pas une mince affaire. Cela perturbe un ordre établi que trop d’intérêts établis tiennent à ce qu’il reste figé. Ainsi, Galilée a eu à subir les foudres de l’Église pour avoir tenté de dire la même chose, ni plus ni moins, que ce qu’avait apporté la révolution copernicienne qui était pourtant déjà en cours depuis longtemps. Or, les deux dérivaient d’une démarche scientifique comparable à la différence près que le Polonais, prédécesseur pourtant, ne connut pas la mésaventure de l’Italien. Aussi, sa théorie révolutionnaire put-elle faire son chemin sans que les religieux n’y trouvent rien à y redire avant que Galilée ne la reprenne.
S’il y a eu différence de réception d’une même logique, c’est que les religieux intégristes chrétiens avaient considéré le livre de Copernic comme une hypothèse de calcul efficace, notamment pour la confection des horoscopes. Rien d’autre.
La révolution copernicienne n’a tenu qu’à un avertissement :
Ce à quoi il importe de faire attention ici, ce qui est capital à rappeler, c’est que le sort fameux du livre de Copernic ‘‘De Revolutionabus Orbam Celestrum’’, avec ses thèses qui ont fini par révolutionner la science réalisant le saut majeur en matière scientifique générant notre savoir actuel, a tenu à un rien et aurait bien pu avoir un tout autre destin. En effet, ce fut un texte anonyme d’un théologien luthérien appelé Andreas Osiander, ayant pris l’initiative de le placer avant la préface du livre de Copernic en avertissement qui a sauvé le livre des foudres de l’église. Cet avertissement banal expliquait que la thèse du livre sur l’héliocentrisme était une hypothèse facilitant le calcul de la position des astres et qu’il n’avait aucune prétention à décrire la réalité. Voilà ce qui a sauvé le livre de Copernic, lui évitant d’avoir la condamnation subie, bien plus tard, par Galilée.
Il est pertinent de noter que ce fut quasiment une bénédiction divine qui sauva ainsi un livre qui aurait pu être jugé hérétique, puisque le disciple de Copernic, chargé de publier son maître ouvrage, absent au moment de l’ajout de l’avertissement, a vivement déploré une telle initiative, jugée malvenue, la réprouvant totalement. Le disciple de Copernic chargé de publier le livre de son maître alité lors de la maladie de sa mort était même furieux contre le religieux et son avertissement. Pourtant, c’est bien une telle mention qui a finalement sauvé le livre, lui permettant à d’être bien accueilli à sa parution en 1543 en lui ôtant, en quelque sorte, son aspect subversif, la défense des thèses héliocentristes allant valoir vaudra la condamnation, près d’un siècle plus tard, à Galilée, en 1633.
De fait, à l’époque, on pouvait bien être copernicien sur le plan des mathématiques tout en demeurant fidèle à Aristote et à Ptolémée pour tout ce qui concernait la cosmologie. C’est bien la preuve que ce qui est anomique un jour est parfaitement en mesure de devenir canonique un autre jour. Ce qui accélère ou ralentit l’évolution fatale est la nature de la communication, le ton utilisé, s’il heurte ou non le dogme du moment, la doxa du temps.
Il nous faut bien méditer ce fait si instructif de l’histoire humaine : si le livre de Copernic a pu être publié et donc avoir la carrière qu’il a eue, réalisant la révolution qu’on connaît, cela n’a tenu qu’à quelque chose de bien anodin, ce simple avertissement supposé diminuer l’intérêt du livre quand il a assuré sa survie au dogmatisme ambiant.
Ne pas heurter frontalement la religion afin de la réformer
Or, la révolution des libertés individuelles en Tunisie a pratiquement la même signification et valeur de la révolution apportée par Copernic. Aussi, il en ira de pour la révolution pour les libertés privatives en islam comme il en est allé pour la réussite de la révolution copernicienne : ce sera une question de réception du discours de la vérité.
Contrairement donc à ce qu’a fait la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe), d’où ses déboires en termes d’accueil auprès de larges pans de la société, il importe qu’on sache parler des droits et des libertés qu’on défend, ne pas chercher à inutilement heurter le discours religieux, tout en ne cédant en rien sur les droits et les libertés. Mieux, il s’agit de retourner contre les tenants du discours religieux leurs propres arguments en démontrant que c’est la religion, correctement interprétée, qui impose la réalisation des droits et libertés revendiqués. Ce que ne font pas leurs tenants, s’enferrant et enfermant dans un discours inaudible en préférant parler de laïcité, passant de la sorte en ennemis de la religion, se révélant même en violation de la constitution qui impose le respect des valeurs de l’islam.
Au demeurant, le président de la République a mesuré la gageure en proposant de ne pas heurter les sentiments religieux par sa proposition, en matière de l’égalité successorale, offrant la possibilité de continuer à relever du droit actuel. Ce qui serait une aberration sauf à être une option de transition, strictement limitée dans le temps.
D’ailleurs, le président a eu tort de se focaliser juste sur ce droit à l’égalité successorale, certes important, mais insuffisant pour une révolution qui d’envergure, sans nulle possibilité de retour en arrière. Il aurait donc dû s’engouffrer dans l’ouverture offerte par le parti religieux qui a spécifié, dans la lettre qu’il lui a adressée, ne pas s’opposer à certaines des libertés figurant dans la Colibe. Nous en citons ici les deux droits contribuant à réaliser rapidement la révolution copernicienne espérée en matière des libertés privatives : l’abolition de l’homophobie et des interdits hypocrites en matière d’alcool.
Par conséquent, il serait judicieux que le projet de loi que la présidence entend soumettre au parlement soit élargi à ces deux droits emblématiques en islam, étant de nature à aider à la réalisation de leur révolution mentale aux musulmans traditionalistes. Il suffit juste de savoir s’y adresser, user du langage de raison, de bon sens et qui ne heurte pas inutilement.
En voici un en projet de loi proposé aux services de la présidence de la République, mais aussi à tous les députés, y compris ceux du parti Ennahdha. Sans céder en rien sur l’essentiel des droits et libertés, il se garde bien de heurter frontalement les dogmatiques. Ainsi réussira notre révolution copernicienne des libertés !
Projet de loi d’égalité successorale, de liberté sexuelle et d’alcool libre
Au nom des impératifs de la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 et à sa référence aux valeurs de l’islam et aussi de l’humanisme universel, notamment la référence majeure des droits humains, dont la Déclaration universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 et l’ensemble des conventions internationales garantissant les droits humains ratifiées par la République Tunisienne,
L’Assemblée des Représentants du Peuple a adopté la présente loi pour l’égalité successorale, l’égalité dans la liberté sexuelle, abolissant l’homophobie, et le droit à la consommation libre d’alcool, abrogeant les restrictions en la matière.
En premier lieu,
Justice par l’égalité successorale entre les sexes
Eu égard à la consécration constitutionnelle de la parfaite égalité des citoyens,
Tenant compte du rôle éminent de la femme dans la société tunisienne et son droit d’égale de l’homme,
Et par référence aux visées de l’islam qui a honoré la femme et élevé son statut dans une démarche progressive et progressiste en conformité avec le sens de l’histoire et les valeurs humanistes universelles,
En second lieu,
Égalité dans la liberté sexuelle par l’abolition de l’homophobie
Attendu que l’homophobie est contraire aux droits de l’Homme et au vivre-ensemble paisible, à la base de la démocratie,
Attendu que l’orientation sexuelle relève de la vie privée que respectent et l’État de droit tunisien et l’islam,
Attendu que l’article 230 du Code pénal viole la religion musulmane qui n’est pas homophobe étant respectueuse de la vie privée de ses fidèles qu’elle protège ;
En troisième lieu,
Liberté en matière de consommation et de commerce d’alcool
Attendu que l’islam ne prohibe pas la consommation de boisson alcoolisée, mais juste son abus jusqu’à l’ivresse et sa consommation durant la prière,
Attendu que l’abus en toute chose est à proscrire et que la meilleure manière d’apprendre la sobriété est de pouvoir s’y exercer, en s’y appliquant, dans un environnement de totale liberté ;
Attendu que l’interdiction de l’alcool le vendredi et durant ramadan est contraire au libre commerce garanti par l’islam outre le fait qu’il viole la liberté du croyant de faire montre d’abstinence volontaire, non forcée ainsi que l’exige sa foi;
L’Assemblée des Représentants du peuple décide :
Article premier :
Est suspendue dans le livre neuf du Code du statut personnel intitulé « De la succession » la règle de l’attribution à l’héritier masculin d’une part double de celle revenant aux femmes.
L’égalité successorale est ainsi la règle de droit dès l’entrée en vigueur de la présente loi.
Toutefois, pendant une durée de dix ans, en mesure transitoire, il est possible de réclamer le bénéfice de l’ancienne loi.
Au bout de dix ans, il ne sera plus possible de faire application de cette dérogation sauf si, et à titre exceptionnel, une demande en ce sens soumise à l’Assemblée des Représentants du Peuple est votée pour proroger cette durée transitoire pour une nouvelle période ultime de dix ans.
Les modalités de la décision parlementaire seront précisées par la loi.
Article second :
La vie privée étant respectée et protégée en Tunisie, l’article 230 est aboli.
Article troisième :
La liberté privée de consommer l’alcool et d’en faire le commerce est garantie sans nulle restriction sur le territoire national. Aussi tous les textes contraires sont annulés.
Article quatrième :
La présente loi entre en vigueur dès sa publication au Journal Officiel de la République Tunisienne et annule tout ce qui est contraire à son texte et son esprit dans la législation en vigueur dans le pays.
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