Les élections législatives et présidentielles prochaines en Tunisie inviteront moins à choisir entre droite et gauche, entre islamistes et progressistes, qu’entre le passé et l’avenir, les «passéistes renfermés» et les «modernistes globalisés».
Par Dr Marouen Boulouedhnine *
Ce changement de société rappelle le passage de sociétés préindustrielles fondées sur l’agriculture et le commerce à un type sociétal défini par le mode de production industriel. Il s’agit aujourd’hui de participer activement au mouvement mondial de la transformation économique en cours.
Ce nouveau type de «société de communication» s’affirme sous l’effet de la globalisation (1) de l’économie et de l’apparition de nouvelles aspirations culturelles et politiques.
Entrer activement dans l’avenir
Dans cette nouvelle société de communication, le pouvoir ne s’exerce pas seulement sur des objets, comme dans une société de production, mais sur l’individu car la communication engage directement le «sujet-citoyen». C’est ainsi que le pouvoir cherche à dominer les opinions, les décisions, les choix de vie et tout ce qui concerne la personnalité, sans pour autant renoncer au contrôle des biens matériels et des capitaux.
Dans cette société de communication, se développent, d’un côté des systèmes de pouvoir total et de l’autre, de nouveaux mouvements sociaux qualifiés par Alain Touraine d’«éthico-démocratiques».
Car le pire serait de croire aux solutions anciennes.
Seul un changement de société peut répondre aux changements de mentalités véhiculées à la vitesse de l’éclair par ces «vieux» outils de communication et d’information (TIC).
La question n’est plus d’aller plus à droite ou plus à gauche que d’aller vers l’avant, mû par la volonté d’agir en sachant créer de la confiance et en acceptant de négocier.
Le choix décisif nous oblige à choisir entre une pensée de type communautariste et dépassée ou, au contraire, des actions ouvertes sur le monde entier en vue de la participation du plus grand nombre aux fruits de la croissance.
Mais pour entrer activement dans l’avenir, nous avons besoin non seulement d’un Etat fort et compétent, et d’un patronat exportateur mais aussi d’une nette amélioration des conditions de travail, de rendement, de rémunération et de statut de toutes celles et ceux qui contribuent directement à la production.
Vers un passage générationnel
L’avenir passe par l’accès aux responsabilités de nouveaux dirigeants issus de tous les secteurs d’activité.
La révolution de l’âge médian des nouveaux dirigeants du monde propulse au sommet du pouvoir des hommes jeunes qui s’appuient sur deux armes redoutables :
– le rejet des grands partis traditionnels au profit de formations politiques inconnues du public mais qui se comportent comme des start-ups dont personne n’a prédit l’ascension ;
– la seconde arme autrement plus redoutable que les nouveaux candidats et leur staff de campagne utilisent à merveille, c’est le digital. Désormais les élections ne se font plus dans les antichambres des bureaux de vote mais dans le monde stupéfiant de l’Internet.
Ces Tunisiens d’un genre nouveau doivent contribuer à l’édification d’un nouveau modèle politique associant modernisation, respect des droits, intégration sociale équitable, recherche de bien-être du citoyen et compétitivité de l’économie.
Cette nouvelle donne politique s’attache davantage aux droits humains fondamentaux : la liberté, l’équité, la fraternité, la solidarité et enfin la dignité de l’être humain.
Faire de la Tunisie une terre d’opportunités
Il s’agit de faire de la Tunisie «a land of opportunities», un pays qui offre des chances et surtout l’égalité des chances à tout un chacun.
Il s’agit de lutter surtout contre les obstacles à l’ascension des jeunes venant de toutes les catégories.
Dans le secteur public, il faut moins de règlements et plus d’expérimentations ; dans le monde financier, il faut moins de rentiers et plus d’entrepreneurs ; dans le monde des salariés, il faut plus de travail, de meilleures rémunérations et de meilleures chances d’ascension sociale.
Notre politique sociale doit être au service de l’individu et donc des droits fondamentaux du plus grand nombre car le Tunisien aime la vie et recherche en permanence son bien-être.
Le pire projet politique en Tunisie est aujourd’hui le repli sur soi et sur des valeurs d’inspirations étrangères ainsi que le combat dépassé de la lutte des classes.
L’objectif principal doit être le renoncement aux idéologies au profit d’un pragmatisme politique pour reprendre pied avec la réalité.
Cette stratégie politique gagnerait à faire passer du côté du monde ouvert et créatif une fraction aussi large que possible de ceux qui ont été obligés, pour se défendre, de s’enfermer dans le monde clos et impuissant des idéologies passéistes.
Le vrai combat politique se fera entre «passéistes renfermés» et «modernistes globalisés» mais attachés à leurs racines arabo-musulmane, méditerranéenne, africaine et même byzantine et romaine.
C’est un projet dans lequel chaque tunisien devrait pouvoir trouver sa place sans exclusion.
Ceux qui dirigeront notre pays doivent avoir pour but principal de sauver les catégories et les territoires qui sont le plus menacés, en les réintégrant dans une société libre et ouverte. Priorité doit être donnée aux producteurs qu’ils soient ouvriers, agriculteurs, enseignants, ou entrepreneurs.
Je demeure optimiste pour la Tunisie car, ici comme ailleurs, il se trouve beaucoup de femmes et d’hommes remplis d’espoirs et de connaissances et qui peuvent, si on ne les en empêche pas, nous construire un avenir meilleur.
Nous avons vu la structuration de différentes forces positives de renouvellement de la vie politique telles : Podemos en Espagne, Justin Trudeau au Canada, Cinque Stelle en Italie, En Marche en France, et dernièrement Imran Khan au Pakistan.
Pour la plupart, ils ont su mobiliser la société civile avec une volonté inébranlable de changement pour l’intérêt général.
Il faudra repenser le modèle de relation de l’Etat avec sa société civile qui peut en être le moteur si elle se structurait loin des considérations personnelles au profit d’idéaux nobles et désintéressés. Il ne faut pas sous-estimer la capacité d’action autonome des acteurs sociaux.
Les citoyens au-dessus des partis
Le changement de prise de responsabilités politiques nécessaire s’impose devant l’apathie et l’incurie de nos dirigeants actuels. Victimes d’une gouvernance impossible, c’est à nous aujourd’hui, société civile engagée et consciente de «prendre en main notre destin».
La seule solution est d’accepter de changer de siècle, et toute la difficulté réside dans l’accompagnement du changement. C’est là l’atout de notre Tunisianité : s’adapter aisément aux changements.
Nous n’avons pas à choisir entre une modernisation imposée par le capitalisme mondialisé et une politique d’intégration sociale humaniste, nous devons les combiner.
L’impuissance politique de la Tunisie, née d’une gouvernance impossible, a réduit sa capacité d’assurer le bien-être du Tunisien ; car tel est l’objectif unique d’un responsable politique animé d’une vision et porteur de valeurs et de principes.
Il nous faudra construire un nouveau projet politique qui ne pourra plus se définir autour du vieux conflit central opposant possédants et salariés. Il s’agit de trouver la bonne combinaison entre les aspirations à la modernisation nécessaire et la reconstruction d’une nation ouverte sur les valeurs universalistes prônées aussi par l’islam des Lumières et non des ténèbres.
Les grands investisseurs doivent rechercher davantage la création et l’innovation car les plus grandes entreprises qui dominent le monde sont souvent nées de l’imagination et du travail d’un petit groupe de jeunes entrepreneurs dont l’esprit d’innovation était la seule richesse.
La Tunisie peut devenir le dragon de l’Afrique
La Tunisie tout entière peut devenir la Start-Up de l’Euro-Afrique.
Nous, membres d’une société civile consciente et engagée, y croyons et pensons que c’est possible de changer la donne ensemble.
Ce qu’une personne seule ne peut faire, nous pouvons le réussir ensemble.
C’est en accompagnant le vent de l’histoire que nous ferons rentrer notre Tunisie dans ce nouveau siècle politique porteur d’espoir.
* Chirurgien orthopédiste, président de Houmet Tounes, le Mouvement civil indépendant,
Note.
1- Ce terme est plus explicite que le terme mondialisation car le monde est devenu un système ouvert bien qu’instable.
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