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Le poème du dimanche : ‘‘Je lis ton corps… et me cultive’’ de Nizar Qabbani

Grande figure de la poésie arabe contemporaine, Nizar Qabbabi est né le 21 mars 1923 à Al-Shaghour à Damas, Syrie, et mort le 30 avril 1998, à Londres, Grande-Bretagne. Sa poésie casse l’image traditionnelle de la femme arabe et invente un langage nouveau, proche de la langue parlée et riche de nombreuses images empruntées au monde de l’enfance.

Le jour où s’est arrêté
Le dialogue entre tes seins
Dans l’eau prenant leur bain
Et les tribus s’affrontant pour l’eau
L’ère de la décadence a commencé,
Alors la guerre de la pluie fut déclarée
Par les nuages
Pour une très longue durée,
La grève des vols fut déclenchée
Par la gente ailée,
Les épis ont refusé
De porter leurs semences
Et la terre a pris la ressemblance
D’une lampe à gaz.

II

Le jour où ils m’ont de la tribu chassé
Parce qu’à l’entrée de la tente j’ai déposé
Un poème
L’heure de la déchéance a sonné.
L’ère de la décadence
N’est pas celle de l’ignorance
Des règles grammaticales et de conjugaison,
Mais celle de l’ignorance
Des principes qui régissent le genre féminin,
Celle de la rature des noms de toutes les femmes
De la mémoire de la patrie.

III

Ô ma bien aimée,
Qu’est-ce donc que cette patrie
Qui se comporte avec l’Amour
En agent de la circulation ?
Cette patrie qui considère que la Rose
Est un complot dirigé contre le régime,
Que le Poème est un tract clandestin
Rédigé contre le régime ?
Qu’est-ce donc que ce pays
Façonné sous forme de criquet pèlerin
Sur son ventre rampant
De l’Atlantique au Golfe
Et du Golfe à l’Atlantique,
Parlant le jour comme un saint
Et qui, la nuit tombant,
Est pris de tourbillon
Autour d’un nombril féminin ?

IV

Qu’est-ce donc cette patrie
Qui exerce son infamie
Contre tout nuage de pluie chargé,
Qui ouvre une fiche secrète
Pour chaque sein de femme,
Qui établit un PV de police
Contre chaque rose ?

V

Ô bien aimée
Que faisons-nous encore dans cette patrie
Qui craint de regarder
Son corps dans un miroir
Pour ne pas le désirer ?
Qui craint d’entendre au téléphone
Une voix féminine
De peur de rompre ses ablutions ?
Que faisons-nous dans cette patrie égarée
Entre les œuvres de Chafi’i et de Lénine,
Entre le matérialisme dialectique
Et les photos pornos,
Entre les exégèses coraniques
Et les revues Play Boy,
Entre le groupe mu’tazélite
Et le groupe des Beatles,
Entre Rabi’a-l-‘Adaouya
Et Emmanuelle ?

VI

Ô toi être étonnant
Comme un jouet d’enfant
Je me considère comme homme civilisé
Parce que je suis ton Amant,
Et je considère mes vers comme historiques
Parce qu’ils sont tes contemporains.
Toute époque avant tes yeux
Ne peut être qu’hypothétique,
Toute époque après tes yeux
N’est que déchirement ;
Ne demande donc pas pourquoi
Je suis avec toi :
Je veux sortir de mon sous-développement
Pour vivre l’ère de l’Eau,
Je veux fuir la République de la Soif
Pour pénétrer dans celle du Magnolia,
Je veux quitter mon état de Bédouin
Pour m’asseoir à l’ombre des arbres,
Je veux me laver dans l’eau des Sources
Et apprendre les noms des Fleurs.
Je veux que tu m’enseignes
La lecture et l’écriture
Car l’écriture sur ton corps
Est le début de la connaissance :
S’y engager de la connaissance :
S’y engager est s’engager
Sur la voie de la civilisation.
Ton corps n’est pas ennemi de la Culture,
Mais la culture même.
Celui qui ne sait pas faire la lecture
De l’Alphabet de ton corps
Restera analphabète sa vie durant.

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