On savait que Sidi Bouzid cumulait de nombreux handicaps économiques et sociaux. Nous en avons encore la preuve par cet exemple criant d’injustice. Rachid Amari, un diplômé en littérature arabe au chômage depuis 18 ans.
Par Wael Mejrissi
Rachid Amari a entamé une grève de la faim et rien ne semble ébranler sa détermination de poursuivre sa décision jusqu’au bout. Son état de santé s’est sérieusement dégradé et ne présage rien de bon pour la suite.
Une insupportable mise au ban de la société
Chacun peut imaginer qu’une période de chômage aussi longue est absolument destructrice sur le plan psychologique : 18 ans sans emploi, 18 ans de rejet, 18 ans d’exclusion du processus de production et d’intégration sociale. Qui peut supporter une mise à l’écart aussi longtemps sans arriver à une telle extrémité?
Cet homme qui force le respect et suscite l’émotion conteste par les moyens qui sont les siens une situation qui blesse son amour-propre et sa dignité. Il n’a sans doute pas eu la chance de connaître les bonnes personnes, de se constituer un réseau, un carnet d’adresses lui permettant de décrocher un emploi. Mais cela justifie-t-il d’être mis au ban de la société?
Rappelons que Rachid Amari est le plus ancien diplômé de sa région ce qui, selon toute vraisemblance, aurait du lui conférer un avantage comparatif pour trouver un travail. Mais c’est sans compter sur le clientélisme qui règne en roi dans notre pays. Le travail étant devenue une denrée de plus en plus rare, beaucoup de postes en Tunisie sont réservés sur «commande». Le fils, la fille, la cousine, le copain ou tout simplement le plus offrant.
Corruption et pseudos concours de recrutement
La fonction publique en particulier est complètement sclérosée par ces pratiques qui tirent inexorablement notre pays vers le bas. Les douanes, l’enseignement, la poste… Tous les concours d’entrée à ces institutions publiques sont des simulacres d’examens dont l’issue est connue bien avant la distribution des copies. Et ce n’est pas Chawki Tabib, président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (Inclucc), qui nous contredira, lui qui a souvent dénoncé ces pseudo-concours.
Pas étonnant dans ces conditions qu’un diplômé d’une ville parmi les plus pauvres de Tunisie se retrouve enfermé dans son extrême précarité. Ce dernier n’ayant que son savoir à offrir.
Cela ne suffit pas dans un pays où le pouvoir d’achat s’effrite. Les recruteurs n’hésitent pas à monnayer leur pouvoir de décision pour se faire un complément de salaire. En tout cas, personne ne peut raisonnablement croire que toute la délégation de Menzel Bouzaiene ne comporte pas un seul emploi digne de ce nom à pourvoir.
Quel que soit le dénouement de ce récit, voir que la Tunisie exclut les pauvres et interdit de facto toute forme d’émancipation sociale inspire un profond désarroi. Le déterminisme social a encore de beaux jours devant lui au pays de la Révolution du jasmin… fané.
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