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Fini le gouvernement : Et si on donnait la Tunisie en gérance associée ?

À quoi sert la souveraineté nationale, depuis longtemps mise à mal par un pseudo-Etat qui n’arrive plus à se suffire à lui-même, acculé à cumuler les prêts sans pour autant réaliser la croissance. Pourquoi ne pas céder simplement le pays en gérance à des institutions qui depuis des décennies gèrent de fait une partie monde?

Par Yassine Essid

Un remaniement est par définition une modification de la politique suivie par un gouvernement. Il consacre le nouveau profil d’une puissance publique vers laquelle on se retourne comme l’ultime rempart. Mais un remaniement ne se réalise pas n’importe comment, par un marchandage indécent et au bout un jeu de chaises musicales avec, au mieux, l’entrée de nouvelles têtes pensantes.

On sait pourtant comment cela fini : par un «Tournez manège», un gouvernement qui tourne en rond sous la direction d’un Premier ministre qui estime que la vertu en politique est à son usage exclusif, qu’il est capable de tout mais responsable de rien.

Un remaniement n’aurait de sens que si on reconnaît d’abord, publiquement et sans détours, l’échec d’une politique et l’impératif d’un aiguillage sur une nouvelle voie au terme de laquelle il y aura un peu plus de prospérité économique et davantage de paix sociale.

Un remaniement c’est surtout la présence d’hommes scrupuleux qui ont des talents et de l’honnêteté, qui ne soient pas des ambitieux, qui prétendent régénérer le monde en n’ayant en vue que leur propre avenir politique.

Y a-t-il un candidat qui soit capable de dire non ?

Toute personne pressentie pour la fonction est en droit d’accepter un ministère mais pas avec n’importe qui et pas n’importe comment. Il faut un candidat qui soit capable de dire : non, je n’accepte pas, ou bien oui mais pour faire quoi? Et dans quel périmètre politique? Avec de telles arguments il serait alors possible d’engager le pays dans de nouvelles réformes, sans calculs ni partis-pris, avec des missions prioritaires et des vrais défis à relever.

L’Etat démocratique, cette autorité qui repose sur la souveraineté du peuple, remplit plusieurs fonctions à la fois économiques et sociales et n’a pas d’autre but que celui de mettre en œuvre l’intérêt général représenté, entre autres, par la poursuite de la volonté de favoriser l’emploi, de veiller à la stabilité des prix, d’assurer l’usage efficace des ressources et de la justice.

Par ailleurs, diriger un exécutif, consiste non seulement à prendre des décisions, mais aussi à les faire appliquer et à assurer le fonctionnement du pays conformément à sa Constitution. Car le gouvernement représente l’ensemble des acteurs politiques qui décident de la façon dont seront exécutées les lois. L’administration, pour sa part, consiste à entretenir sur le territoire un ensemble de services destinés à la population.

Régime politique hybride, désordre politique permanent

Laissons de côté l’utopie, et venons-en à la réalité des choses : celle du vécu au quotidien, celle des joies qui se dérobent sous l’effet des peines, celle des occupations qui s’effacent sous l’emprise de fortes préoccupations, celle de l’espoir de la veille et du déboire du lendemain, celle tangibles de l’incurie ordinaire du gouvernement, celle palpable d’une monnaie de singe entre les mains des pauvres gens incapables de se mesurer avec les difficultés de l’existence. Enfin, la réalité mouvante des calculs politiques et de plus en plus conflictuelle entre les groupes sociaux.

De la nature même d’un régime politique hybride, comme c’est le cas, découle un désordre politique permanent. Les gouvernements sont rarement renversés du moment que les changements d’alliances et le tourisme parlementaire sont devenus quasi quotidiens. Pourtant, les pouvoirs précédents avaient mis en œuvre des structures destinées à former des hauts fonctionnaires irréprochables qui assurent la permanence de l’administration au-delà de l’instabilité politique, même si celle-ci était exclue à travers un mode de gouvernement autoritaire. Néanmoins, ce personnel compétent permettait malgré tout à d’importantes réformes d’être mises en œuvre de façon durable.

Les mêmes hommes se relayent dans les mêmes ministères

Or aujourd’hui, ce sont souvent les mêmes hommes qui se relayent dans les ministères ce qui ne permet pas une action durable. De plus, l’affaiblissement des structures destinées à former les hauts fonctionnaires est devenu un fait avéré et explique la pénurie d’administrateurs compétents. En revanche on est frappé et comme effrayé par l’insuffisance cérébrale de ceux qui aujourd’hui ont pour mission de diriger le pays.

Si vous ajoutez à cela l’effet d’acoustique de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), les hurlements des radicaux de toute nature, les micmacs des arrangements de la gente politique où le diable ne pourrait se reconnaître, vous aurez un système gouvernemental voué à la paralysie.

C’est pourtant dans un tel contexte que fonctionnent aujourd’hui l’Etat et ses institutions, et Youssef Chahed pourrait bien procéder demain à un remaniement partiel ou bouleverser de fond en comble son gouvernement, avec ou sans démission, avec ou sans la confiance du parlement, il n’en demeure pas moins que cela n’exclut nullement une vérité devenue inaltérable, fiable, quasi absolue, qui veut que tout soit dans la forme mais que le fond reste inchangé.

En Afrique subsaharienne, pour les pays ayant choisi l’indépendance, la France géra leur transition démocratique et institutionnelle en instaurant le poste de président du gouvernement; en parallèle subsistait, pendant cette période, le poste de gouverneur qui représentait l’ancien colonisateur et possédait de facto le pouvoir.

Aujourd’hui, il n’est plus question de conquête d’un territoire peu développé et de sa population d’une manière violente ou pacifique, d’un système d’administration fermé n’ayant d’interaction avec le reste du monde qu’à travers l’administration coloniale.

L’exploitation des matières premières, grâce au développement inégal, et l’exploitation d’une main-d’œuvre bon marché, suite aux délocalisations industrielles, n’ont plus besoin de présence militaire ni de domination politique. Il s’agit dès lors d’une association active où tout se déroule dans le strict respect de la souveraineté nationale et la liberté de décision de chaque pays.

Le remplacement d’une domination par une soumission

Il n’en demeure pas moins vrai, qu’au vu de leurs multiples déboires, surtout économiques, et suite à leur dépendance commerciale par l’ouverture des marchés et l’afflux massif des produits à haute valeur ajoutée dans le cadre de la mondialisation des échanges, la notion de souveraineté a d’ores et déjà atteint ses limites.

Certes, il y a toujours un drapeau, un territoire, un Etat indépendant, même si ses fonctions régaliennes sont de plus en plus égratignées, et des frontières avec une libre circulation des personnes mais souvent à sens unique.

De plus, l’éducation, dont on faisait une clé du développement, surtout pour les pays privés de toute rente en ressources naturelles, est de plus en plus détournée aux profits des entreprises occidentales. Après le pillage des matières premières s’instaure celui de la matière grise.

La croissance économique, constamment repoussée au lendemain, est plus que jamais marquée par l’inégalité de développement entre le Nord et le Sud, comme en témoigne la politique de la finance internationale au profit des «partenaires» qui ne s’encombrent plus du souci d’indépendance et de souveraineté.

Ainsi l’intervention des institutions financières internationales, de l’Union européenne et celle d’autres pays «amis», s’est davantage imposée comme la nouvelle boussole des financements octroyés par l’Occident et certains pays riches.

En même pas trois jours, un crédit de 270 millions d’euros avait été signé avec l’Union européenne, 500 millions de dollars sont levés sur le marché financier à un taux usuraire de 6,7%, et 17 millions de dinars d’assistance technique sont accordés par l’Allemagne à l’Instance technique de l’investissement. Sans parler, évidemment, des décaissements réguliers de la part notre principal bailleur de fonds, le FMI.

En fait, on n’aurait fait que remplacer une domination par une soumission : au FMI d’abord, mais aussi aux marchés des crédits bancaires, des prêts reconvertis en achats d’équipements ou, carrément, et c’est le mode le plus direct et le plus désintéressé, par le don compatissant par lequel la générosité des pays «frères et amis» se plaît à envelopper nos souffrances et qu’on accorde sans rien demander en retour.

Tout cela provoque l’illusion de vivre, alors qu’il nous permet à peine de survivre sans pour autant nous promettre d’échapper, à plus ou moins longue échéance, au verdict fatal de l’insolvabilité.

Tunisie-FMI : une gérance associée ?

Il faut reconnaître que le gouvernement, dans sa configuration passée et actuelle, est dans l’incapacité de poursuivre le service minimum dévolu à tout pouvoir exécutif, encore moins procéder à une réorganisation de l’économie de grande ampleur : veiller à produire plus de richesses et en assurer une juste allocation afin de réduire la pauvreté, renforcer la cohésion sociale et diminuer les inégalités.
Or le budget de l’Etat est en déficit permanent, la dette extérieure devient insoutenable et nous rend de plus en plus tributaires de l’assistance étrangère, seule capable de permettre à l’Etat de boucler ses fins de mois.
Il faut en effet payer la solde des 690.091 personnes employées dans la fonction publique, dont, soit dit en passant, 105.000, entre cadre et ouvriers, recrutés en deux ans par Ennahdha.
Il faut aussi financer le train de vie de l’Etat, des ses hauts fonctionnaires, ses parlementaires et autres institutions qui mènent grand train, allouer des fonds pour l’équipement des forces de police et des militaires, engager des travaux d’infrastructures, acheter des papiers et des crayons et renflouer en permanence les déficits colossaux persistants de plus de la moitié des entreprises nationales, vestiges des économies planifiées et dont la privatisation, pourtant inéluctable, se heurtera systématiquement au veto obstiné d’une UGTT irresponsable.

Les dotations du FMI, et autres institutions financières, qui nous amènent à célébrer le moindre de leurs satisfécits et excite notre besoin de demander toujours plus, doivent être considérées normalement comme une forme d’ingérence dans la l’organisation sociale du pays, dans la mesure où ces facilités de prêts sont accompagnées d’une exigence d’application de certaines réformes structurelles et, partant, déterminent la politique économique et sociale d’un gouvernement débiteur et obligé.

Si nous vivions la même situation dans l’antiquité grecque ou romaine, la population tunisienne serait aujourd’hui et dans sa totalité réduite à la servitude jusqu’au remboursement de l’intérêt et du capital.
En rupture avec le mythe du pouvoir et les théories classiques du politique centrées sur la souveraineté et la légitimité des gouvernants, pourquoi ne pas imaginer des dispositifs incarnant une rationalité légale formelle dans le développement des sociétés ? Pourquoi ne pas céder simplement le pays en gérance à des institutions qui depuis des décennies gèrent de fait une partie monde? Ils n’arrêtent pas, en effet, de poser des conditions nous incitant à engager des actions urgentes et nécessaires pour protéger la santé des finances publiques, accroître l’investissement et accélérer les progrès des réformes structurelles renvoyées continuellement à plus tard de peur de nourrir le mécontentement social.

En fait instaurer un nouvel «art de gouverner» qui suppose de dépasser un débat, relativement étriqué, opposant les tenants de l’interventionnisme étatique, du gouvernement centralisé et refusent d’abdiquer face aux forces du marché, et ceux qui pensent que la mondialisation et le succès planétaire du néolibéralisme aboutira inéluctablement à un retrait du politique désormais réduit à sa dimension managériale.

Dans une telle perspective, FMI, Banque mondiale, Union européenne et autres bailleurs, veilleraient à ce que leurs deniers aillent dans le bon sens. Avec de tels arguments, on préparera en douceur l’opinion à l’idée de la mise en place d’un mode d’intervention économique à distance qui consacre l’efficacité pratique du politique. Un dispositif innovant qui fera que le transfert les intérêts du pays à des gestionnaires plus compétents, nullement impliqués dans les querelles locales, serait bien plus efficace.

Nous nous plierons alors, mais sans rechigner, aux nombreux dictats de ces institutions avec d’autant plus de volontarisme qu’on est pour une fois persuadé que, moyennant quelques tracas, on finira bien par atteindre des terres nouvelles et leurs beaux rivages afin de continuer à vivre à l’abri des tempêtes, en regardant dédaigneusement les pays encore ballottés par le flot troublé de la misère et de la pauvreté.

D’ailleurs, que fait aujourd’hui le FMI, sinon déposséder le gouvernement de toute initiative politique économique : donner des directives, contrôler, surveiller, rappeler au Premier ministre ses engagements, et menacer au besoin de suspendre toute aide.

Les responsables de l’administration financière, qui croient tenir notre destin entre leurs mains par des lois et règlements vains, ne sont que des subalternes aux ordres du FMI. Qu’un décaissement soit suspendu, qu’il tarde à être exécuté et voilà le versement des milliers de salaires compromis dans un pays où la masse salariale de la fonction publique en pourcentage du PIB est parmi les plus élevées au monde et le déficit des transactions courantes en nette augmentation.

Céder le pays en gérance est une bonne formule qui a l’avantage de ne provoquer aucune grogne, de ne susciter aucune opposition, de ne déclencher aucune grève dans la mesure où elle déresponsabilise tout gouvernement. Au diable alors la souveraineté nationale, depuis longtemps mise à mal par un pseudo-Etat qui n’arrive plus à se suffire à lui-même, acculé à cumuler les prêts sans pour autant réaliser la croissance.

Or, cette gérance, qui n’a rien de politique, qui n’est qu’un contrat profitable entre un débiteur et un créancier, a beaucoup d’atouts. Parmi ceux-ci, celui de nous procurer des revenus supplémentaires et d’assurer leur gestion d’une manière indiscutable : plus de gouvernement, plus de corruption, plus de détournement de biens de l’Etat, plus de gaspillage, plus de copinage, plus de chantage à la grève.
Il devient alors urgent de se doter d’une fonction publique resserrée sur les fonctions régaliennes de l’Etat et de confier le reste au privé mieux outillé pour assurer la compétitivité et garantir la rentabilité des entreprises jusque-là publiques.

Dans ce cas à quoi sert un gouvernement sinon à se montrer d’abord digne de confiance, qui aurait fait créance au FMI de mener sa politique jusqu’au bout. À quoi bon reprocher à Chahed des promesses non-tenues, des annonces de réformes non-abouties ? Personne n’est plus capable d’engager ni de se prévaloir d’être maître de sa propre politique. Celle-ci est conçue ailleurs, sous la forme d’une liste d’énoncé des priorités à court terme définies par les chefs de bureaux du FMI à Washington, considérées vitales pour que l’économie tunisienne connaisse enfin une croissance plus forte, crée davantage d’emplois et fera en sorte que la population continue à bénéficier de services de base adéquats.

M. Chahed n’a cessé de mener dès le départ, et à l’instar de tous les secteurs de l’Etat, une politique au jour le jour, en parfaite connivence avec le palais de Carthage, avant que son locataire ne se retourne contre lui. Sa tâche était alors devenue intenable : affronter l’UGTT, craindre les coups fourrés des dirigeants de Nidaa Tounes tout en pactisant avec Ennahdha. Le reste du temps il le consacre à méditer sur la meilleure façon d’échapper à ce carcan.

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