Jellal et Latifa Ben Abdallah à la belle époque.
Dans ce texte, Youssef Zarrouk rend hommage au grand peintre et figure discrète de Sidi Bou Saïd, Jellal Ben Abdallah, dont nous commérerons demain, vendredi 9 novembre 2018, le premier anniversaire de sa disparition.
Par Youssef Zarrouk *
«Je naquis une nuit d’août 1944 (5 août 1944), la pleine lune, mi-Chaabane (huitième mois du calendrier lunaire musulman, Ndlr), la nuit censée être celle du partage des fortunes.
Un samedi, le bon docteur Lellouche qui officiait entre La Goulette et La Marsa a bravé les bombardements américains pour venir délivrer ma mère. Ai-je vraiment gardé le souvenir de cet homme formidable ou l’image que j’en ai est seulement le fruit de mon imagination? Pour moi, le Docteur était le portrait craché de Bernard Blier. Toujours souriant, les mains bien soignées, douces.
La douceur. Notre maître mot. Douceur de la vie, douceur de l’air frais qu’on allait chercher au bout du village les soirs d’été. Douceur des relations entre les êtres. Douceur du regard des femmes, tout respirait la douceur de vivre, pas seulement le jasmin. Un homme incarnait cette douceur, Jellal Ben Abdallah, un ami de mes parents, un artiste délicat dont les miniatures étaient en bonnes places dans notre maison.
J’aime la peinture mais je ne sais pas en parler, celle de Jellal reflétait son âme, belle. Je l’ai raccompagné avant-hier au cimetière de Sidi Bou Saïd, il rejoignait la caravane de ces artistes qui ont fait la richesse de la peinture tunisienne, Farhat, Ben Salem, Bismuth, Lellouche, Turki, El Mekki. J’en oublie.
Quand au début des années soixante Jellal a choisi de partager sa vie avec Latifa, sa seconde douce moitié, la boucle platonique était bouclée, l’artiste avait choisi sa muse. Par sa beauté, elle a illuminé notre village et la vie de l’artiste. Sans effraction, ses beaux yeux sont arrivés dans les tableaux de Jellal pour nous dire combien l’art et l’amour sont liés, comme dans ce tableau où deux poulpes sur un rocher au soleil étaient entrelacés. Le beau couple des Ben Abdallah ne pouvait inspirer que cette image.
Adieu Si Jellal, la vie nous a séparés mais je t’ai toujours aimé, comme on aime un frère aîné, j’étais fier de dire que nous étions voisins. Nous le resterons à jamais.»
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Bravo Youssef pour ce bel hommage! La métaphore dont Youssef fit usage pour décrire le couple des Ben Abdallah en faisant allusion à l’oeuvre de feu Jellal Ben Abdallah qui illustrait deux poulpes s’entrelaçant sur un rocher est ô combien symbolique et significative.
Toutefois, nous sommes frappés qu’un an après la disparition de Jellal rien n’a été entrepris par la municipalité de Sidi Bou Saïd pour lui rendre hommage. Même pas une rue ne fut baptisée en son nom à Sidi Bou Saïd. Quelle ingratitude de la part de la municipalité de la ville à celui qui fut, sa vie durant, une de ses figures de proue. Et là, qu’a fait Youssef pour «son grand frère» Jellal? Rien. Or quand on se dit ami de quelqu’un ou carrément son frère, on ne se contente pas de l’écrire sur Facebook par snobisme pour montrer aux autres qu’on est l’ami des artistes et leurs voisins. Quand on aime et on respecte quelqu’un et de surcroît un grand artiste de la trompe de Jellal, on doit agir et se battre pour qu’on lui rende hommage surtout que Youssef est un homme influent, qui a de la notoriété et qui est écouté dans le microcosme de Sidi Bou Saïd et surtout par les autorités municipales.
Ça fait snob de dire je suis l’ami ou le petit frère ou le voisin de Jellal Ben Abdallah pour épater ses copains, ses copines et ses groupies sur Facebook mais ce qui est exigé c’est que Youssef agisse, lui qui se dit ami des écrivains et des artistes, lui qui dit et écrit que la seule chose qui l’intéresse aujourd’hui est de servir son pays.
Youssef écrit souvent qu’il veut faire des choses pour le bien de la Tunisie et bien, faites-en la démonstration en bougeant et en agissant pour qu’au moins une rue porte le nom de Jellal Ben Abdallah et en haut sur la colline mais pas une p’tite rue invisible et qui ne paye pas de mine en bas.
Soit dit en passant qu’au Club nautique de Sidi Bou Saïd, il paraît qu’on n’y joue plus au poker, ce jeu vulgaire des arrivistes oisifs. On y récite désormais la poésie d’Aragon et la prose de Dostoïevski. Youssef, qui est un fin lettré devant l’Éternel, les a convertis à la littérature.
Au club nautique de Sidi Bou Saïd, le matin c’est khâgne et l’après-midi c’est hypokhâgne. Youssef clamait même des passages entiers des « Frères Karamazov », le dernier roman de l’écrivain russe Fiodor Dostoïevski explorant aussi bien l’âme russe que les thèmes philosophiques et existentiels tels que Dieu, le libre arbitre ou la moralité. Un récit aussi délicieux que marquant. Le Club nautique est devenu l’‘‘Apostrophe’’ des temps modernes mais dans le rôle de Pivot c’est Youssef qui officie. La vie est belle.
Youssef agira-t-il pour la mémoire de son ami et voisin qu’il considère comme son frère aîné? Mystère et boule de gomme.
Jellal Ben Abdallah restera à jamais un phare de Sidi Bou Saïd. Paix à son âme.
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