Le 9 novembre 2018, Jellal Ben Abdallah a quitté ce monde aussi discrètement qu’il a toujours vécu, sans se départir ainsi de sa discrétion légendaire. La vie du grand artiste Jellal Ben Abdallah, pilier de l’école de Tunis et figure discrète de Sidi Bou Saïd, fut en elle-même une œuvre mais une œuvre qui a donné naissance a tant d’œuvres. Ce texte en témoigne…
Par Amin Bouker *
Il y a un an déjà, disparaissait Jellal Ben Abdallah, l’un de nos grands peintres tunisiens, laissant un patrimoine de plus de 7000 œuvres. Près de 1000 sont répertoriées. Les 6000 autres se sont dispersées sur les 5 continents.
Ben Abdallah chez les cow-boys
Je tiens de Jellal lui-même cette anecdote: Habib Bourguiba, à qui il faut rendre hommage pour cette action, avait coutume d’offrir une miniature de Ben Abdallah aux ambassadeurs et chefs d’Etats qui lui rendaient visite officielle. Une œuvre d’art, plutôt que des dattes farcies ou les sacro-saintes fanfreluches en argent…
Egalement, son épouse Wassila Ben Ammar – qui de l’aveu même de l’artiste avait «un goût très affirmé pour mes œuvres» – ne ratait aucune exposition et venait assister en avant-première à l’accrochage des tableaux, en choisissait pour elle et en suggérait d’autres à acquérir par l’Etat.
Jellal a toujours rendu grâce à Chedly Klibi, alors ministre de la Culture, pour avoir encouragé l’acquisition d’œuvres surréalistes, hors de l’ordre courant et des canons de la beauté convenue. Ironie de l’histoire, c’est en découvrant une telle œuvre sur la toile qu’en 2013, le Spencer Museum de Kansas City s’est porté acquéreur d’un tableau de Jellal, devenant ainsi le premier musée américain à détenir une œuvre surréaliste d’un peintre arabe.
Il convient également de rendre hommage à Taoufik Torjman qui a œuvré pour que nombre d’établissements, banques et cliniques se dotent d’une collection propre ainsi qu’à Mohamed Ben Smaïl d’avoir fait connaître l’Ecole de Tunis en éditant chez Cérès Productions les monographies de ceux qui deviendront nos grands peintres.
Inventaire à la Prévert de tout ce qui fait l’âme tunisienne
À l’inverse, force m’est de constater que l’actuel ministère des Affaires culturelles n’entreprend aucune action pour rendre hommage à Jellal Ben Abdallah, peintre qui a pourtant réalisé un inventaire à la Prévert de tout ce qui fait l’âme tunisienne : faune, flore, objets et ustensiles révolus, métiers oubliés, instruments de musique, costumes de mariées de toutes contrées du pays, scènes de genre où s’invitent régulièrement des allusions à la Grèce antique, à l’Egypte et au pays du soleil levant. Sans omettre les nombreux emprunts à la grande peinture européenne où figure en bonne place le clair-obscur cher à Rembrandt et au Caravage.
Après avoir connu une révolution, à l’heure où notre pays peine encore à se trouver une nouvelle identité, se priver ainsi de ses racines équivaut à une démission.
Peut-être faut-il voir dans ce manquement de l’Etat un hommage caché à l’une des qualités de Ben Abdallah : la discrétion !
Sans en arriver aux colloques, ouvrages ni rétrospective, l’Etat tunisien aurait pu envisager 3 actions à moindre frais mais d’une haute portée symbolique :
1- Rebaptiser du nom de Jellal Ben Abdallah l’avenue du président Kennedy (que fait donc le président américain à Sidi Bou Saïd?) où le peintre tunisien a établi domicile et atelier.
2- Rééditer tout ou partie des 150 timbres réalisés par Jellal lors de l’indépendance du pays et dont l’Etat tunisien détient encore les maquettes.
3- Diffuser le très beau film réalisé par Frédéric Mitterrand au sujet de la demeure de l’artiste.
On peut rêver qu’à l’instar de la tortue de la fable, l’Etat se «hâte avec lenteur» et soit à l’insu de tous en train de concocter quelque hommage pour le centenaire de l’artiste : il y a en effet près de cent œuvres détenues par l’Etat, les banques, cabinets ministériels et présidence de la république qui pourraient faire l’objet d’un très bel ouvrage à mettre au crédit du service public.
J’en appelle également à ceux d’entre vous qui possèdent des œuvres cubistes ou surréalistes à nous faire parvenir des photos qui permettront de mieux documenter le cheminement de l’artiste.
Enfin, j’annonce la publication d’un livre d’anecdotes qui sera présenté au public fin 2019 à l’occasion d’une exposition d’œuvres inédites de toutes périodes et de toutes factures.
Ceci, en collaboration avec Latifa Ben Abdallah, son épouse et non sa veuve car les artistes ne meurent jamais.
* Ami de l’artiste et administrateur de sa page facebook.
Un an après sa mort, qu’a fait la Tunisie pour Jellal Ben Abdallah?
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