Présidant la réunion du bloc parlementaire Ennahdha, hier, samedi 17 novembre 2018, à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), le chef du parti islamiste Rached Ghannouchi n’est pas allé par quatre chemins pour dire que son parti détient actuellement l’essentiel des cartes politiques dans le pays.
Par Marwan Chahla
S’adressant aux députés islamistes lors de leur 4e assemblée générale annuelle, M. Ghannouchi a rappelé la vérité des chiffres de la représentation du peuple au sein du pouvoir législatif: «Alors qu’en 2014 [à l’issue du scrutin législatif, ndlr], nous étions le deuxième parti politique représenté à l’Assemblée, à présent, nous sommes non seulement la première force de cette institution mais également la formation politique principale», s’empressant d’ajouter – par fausse modestie – : «Malgré cela, nous n’avions jamais chercher à ce que cette forte présence parlementaire qui est la nôtre au sein de l’ARP soit traduite en un nombre proportionnel de portefeuilles ministériels dans le gouvernement.»
Première force au parlement mais pas de mainmise sur le gouvernement
«Non, insiste M. Ghannouchi, nous avons refusé que les choses se passent de la sorte, pour qu’on ne vienne pas nous dire, après, que ce gouvernement est sous la mainmise d’Ennahdha. Et nous avons opté pour cette démarche parce que nous estimons que c’est ainsi que nous servirons de la meilleure manière l’intérêt supérieur de notre pays. C’est pour cette raison, donc, que nous nous sommes tout simplement contentés d’une modeste amélioration notre présence au sein du gouvernement.»
Outre ce re-dosage «mesuré» de la composition gouvernementale, M. Ghannouchi a également tenu à rappeler aux parlementaires nahdhaouis – et évidemment à l’opinion publique – que le parti islamiste, soucieux de préserver l’intégrité de la nouvelle équipe gouvernementale, a refusé d’accorder son aval à certaines nominations dont la probité restait à prouver: «Nous avons opposé notre veto à des candidatures qui, à notre avis, ne méritaient d’avoir leurs places dans ce gouvernement. En faisant cela, nous ne cherchions que l’intérêt du pays et j’en veux pour preuve le fait que ces personnes auxquelles nous n’avions pas accordé notre soutien n’ont pas été remplacées par d’autres appartenant à notre parti. Les seuls critères dont nous avons tenu compte dans notre sélection ont été l’intégrité et la compétence.»
Nous retrouvons ainsi le vieil argument nahdhaoui de 2011. Souvenons-nous de ce qu’Ennahdha avait servi comme thème principal de sa campagne électorale pour la constituante: le parti islamiste affirmait alors que ses candidats, à la différence des autres concurrents, étaient intègres «parce qu’ils craignent dieu»…
Nous avons pu constater, durant les trois années de gouvernement de la tristement célèbre «troïka», ce que la prétendue crainte de dieu des islamistes et leur désastreuse gestion des affaires ont engendré comme dégâts et ce qu’elles ont coûté à la Tunisie comme retards – sans oublier leurs nombreuses tentatives d’islamisation de la société tunisienne et leur soutien au jihadisme…
La crise de Nidaa Tounes ouvre un boulevard devant les islamistes
Certes, actuellement, les 68 sièges dont Ennahdha dispose à l’ARP font du parti islamiste la première formation politique du législatif, mais ce rang reste la résultante des nombreuses erreurs commises par Nidaa Tounes. Ce dernier, après avoir raflé les mises législative et présidentielle de 2014, a accepté «la formule consensuelle» qui a associé les islamistes au gouvernement. La suite de ce mariage contre-nature est connue…
À cette entorse faite à l’histoire de la transition démocratique dans notre pays, n’oublions pas d’ajouter que, dès que Béji Caïd Essebsi a tourné le dos et qu’il a élu domicile au palais de Carthage, son fils Hafedh a semé pagaille et magouille au sein du Nidaa et fait le vide autour de lui et de son clan d’arrivistes et de combinards…
Bref, au bout du parcours de ces quatre dernières années tumultueuses, les cartes partisanes ont été redistribuées. Ennahdha, inaltérable, qui a su conserver le nombre de ses sièges à l’ARP, semble contrôler la situation, alors que le bloc du Nidaa et la nouvelle Coalition nationale se battent pour le second rang – soit une situation favorable aux Nahdhaouis qui permet au gourou de Montplaisir de «rouler des mécaniques» et à Ennahdha d’aborder les élections de fin 2019 avec une certaine assurance, voire une arrogance, que le camp des progressistes et modernistes leur offre sur un plateau.
Tunisie : Ennahdha est le vrai perdant du remaniement ministériel
Selon ‘‘Le Monde’’, Ennahdha est tenté par une alliance avec Chahed
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