Notre collaborateur Khemaies Krimi relate dans le billet ci-dessous la mésaventure qu’il a vécue en assistant à une conférence animée par un ministre et qui lui a rappelé le mépris dans lequel l’ancien régime de Ben Ali tenait les journalistes.
Par Khemaies Krimi
À l’époque où j’étais lycéen, notre professeur de philosophie adorait nous expliquer la notion du hasard en utilisant cette image : c’est comme une brique qui vous tombe sur la tête alors que vous marchiez dans la rue. Cinquante ans après, j’ai vécu cette scène en plein centre de Tunis. Récit d’une journée kafkaéenne.
Ce jour-là, vers 11 heures, l’attaché de presse de la Chambre tuniso-française du commerce et de l’industrie (CTFTCI), Nejib Ouerghi, me téléphone et m’informe que je suis invité à une rencontre que la chambre organise, à 17 heures, à l’hôtel Africa (Mouradi) avec le ministre du transport, Hichem Ben Ahmed. J’ai donné mon accord avec cette nuance que j’étais en tenue sport (blouson, jean et chapeau noir) et que je ne pouvais pas rentrer pour me changer. Il m’a rétorqué que tout le monde me connaît et que cela ne posait aucun problème.
Vers 17 heures, je me rends à l’hôtel et après les procédures d’usage : consignation sur une feuille de renseignements de mon identité et de l’organe de presse que je représentais… Je devais assister ensuite au speech soporifique du ministre du Transport. La routine, en somme. Un débat a été ensuite ouvert et en ma qualité de journaliste, j’ai voulu poser une question au ministre. Les organisateurs de la rencontre, qui m’avaient pourtant invité, ont tout fait pour m’en empêcher. Sentant que c’était une rencontre sur mesure et qu’on voulait ménager l’invité de marque, j’ai décidé de quitter la salle et de rentrer. Tout mon passage à l’hôtel a duré au maximum trente minutes. Les caméras doivent le prouver.
À ma sortie de l’hôtel et à une dizaine de mètres du Colisée, cinq énergumènes en civil m’encerclent et me demandent de les accompagner. J’ai refusé net et exigé de connaître leur identité. Ils ont refusé de le faire et sont rentrés à l’hôtel. Je les ai poursuivis et demandé à la sécurité de l’hôtel de me renseigner sur leur identité. Ces derniers n’étaient pas coopératifs.
J’ai dû quitter les lieux non sans me poser des questions sur cette filature aux relents staliniens.
S’agit-il d’un retour aux vieilles méthodes autoritaires du régime de Ben Ali? Les agents, on le sait, sont les mêmes, à quelques éléments près, qu’il y a 8 ans, mais on nous dit que les méthodes ont changé. J’ai eu, à mon corps défendant, la preuve du contraire. Ben Ali est parti, ses méthodes ont la vie dure : elles sont bien ancrées (ou encastrées) dans l’esprit de beaucoup de ses anciens serviteurs.
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