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La conjoncture économique en Tunisie et les mesures pour le redressement

Mahmoud Ben Romdhane.

L’évolution de la situation économique et financière en Tunisie est très alarmante, mais il n’y a pas de solutions miracles. La délivrance passerait nécessairement par une mobilisation intensive de toutes les parties prenantes du paysage économique, politique et social du pays.

Pat Cherif Ben Younès

Ce n’est un secret pour personne que la Tunisie traverse l’une des périodes les plus difficiles de son histoire sur le plan économique. Et malgré un léger frémissement du taux de croissance du produit intérieur brut (PIB), l’analyse des indicateurs macroéconomiques inquiète, plus que jamais, les experts, d’autant plus que la marge de manœuvre pour les rétablir semble de plus en plus restreinte.

Un contexte qui a incité le Cercle Kheireddine et le Forum Ibn Khaldoun pour le développement (Fikd) à organiser un débat sur «La conjoncture économique et les mesures pour le redressement», samedi 16 Février 2019, à la Cité de la culture de Tunis.

Une croissance insuffisante et une productivité en berne

La première partie de cette rencontre a été consacrée à l’analyse et au diagnostic de la situation économique et financière prévalant fin 2018. Un sujet qui a été présenté par Abdelhamid Triki, secrétaire général du Fikd et ancien ministre de la Planification et de la Coopération internationale. Puis ce fut au tour de Mahmoud Ben Romdhane, professeur d’économie et président du Conseil d’orientation stratégique du Cercle Kheireddine, de parler des «mesures d’urgence et de court terme susceptibles de contribuer au redressement de la situation macro-financière.» Finalement, un débat, avec quelques dizaines de présents (journalistes, universitaires, étudiants, etc.), a eu lieu sur les deux thèmes abordés.

M. Triki a rappelé, au début de son intervention que malgré les difficultés économiques et financières que vit le pays, il y a quelques évolutions favorables, sur lesquelles il faudrait essayer de bâtir, notamment en ce qui concerne le taux de croissance et l’équilibre du budget. Il a, par la suite, articulé sa présentation autour de plusieurs thèmes déterminants, dont le chômage, l’inflation et la balance commerciale, en s’appuyant, dans son analyse, sur de multiples indicateurs macroéconomiques.

En ce qui concerne la production, le secrétaire général du Fikd a affirmé que le rythme de croissance, de 2,5%, enregistré en Tunisie pour l’ensemble de l’année 2018, est assez encourageant, mais qu’il demeure cependant en-deçà des attentes et des prévisions de l’État, étant inférieur de 0,5% aux prévisions du budget économique de l’État. Cette faiblesse de la croissance s’explique, selon le conférencier, par un certain nombre de facteurs, à l’instar de la baisse de la productivité et de la main d’œuvre, de l’essoufflement des exportations, et du faible niveau de l’investissement, dont le taux est passé de 24,6% en 2010 à 18,7% en 2017. Des facteurs qui ont pourtant été le moteur de la croissance du pays durant la décennie 2001-2010.

L’ancien ministre a ensuite parlé de l’une des principales préoccupations des Tunisiens, à savoir le chômage, regrettant son taux élevé – et qui reste stable – d’environ 15,5% de la population active. Il en a déduit que le gouvernement ne parvient toujours pas à résoudre ce problème, contrairement à nos partenaires économiques, comme l’Allemagne, la France et le Maroc, dont les taux de chômage respectifs ne dépassent pas les 10%.

Deux gros casse-tête : inflation et déficit commercial galopants

M. Triki, a également relevé que la taille des firmes tunisiennes, qui sont, pour la majorité écrasante, des microentreprises, ne favorise pas la création d’emplois pour les diplômés universitaires.

Pour ce qui est de l’inflation, les statistiques sont dramatiques : le taux passe de 4,2% en 2016 à 6,4% en 2017 et à 7,5% en 2018. Des chiffres très alarmants, surtout en comparaison avec ceux de nos partenaires, notamment de la zone Euro ou encore un pays comparable comme le Maroc (2,1%). Cela nous handicape, par conséquent, au niveau des exportations, et complique également la stabilisation espérée du dinar tunisien, dont le glissement est devenu irrémédiable.

La balance commerciale, qui consiste en la différence, en termes de valeur monétaire, entre les exportations et les importations de biens, est de son côté, «catastrophique», pour reprendre le terme employé par le conférencier. Cette balance a atteint un déficit record en 2018, estimé à 19,04 milliards de dinars, soit une hausse de 132% par rapport à 2010, année où il n’était que de 8,2 milliards de dinars. M. Triki a insisté sur l’importance d’attirer des investisseurs afin de s’en sortir, ajoutant que pour y arriver, il faudrait améliorer la stabilité politique et sociale du pays, sa sécurité, et sa soutenabilité macroéconomique.

Abdelhamid Triki a conclu son intervention en constatant que l’évolution de la situation économique et financière en Tunisie est très mitigée, et que la délivrance passerait nécessairement par une mobilisation intensive de toutes les parties prenantes du paysage économique, politique et social du pays.

Diverses mesures de redressement proposées

Les mesures, à court terme, visant le redressement des agrégats macro-financiers ont été, par la suite, présentées par Mahmoud Ben Romdhane, qui a donc apporté une matière complémentaire au diagnostic alarmant présenté par M. Triki.

Le professeur d’économie, et ancien ministre du Transport et des Affaires sociales, a commencé son intervention par une mise en garde aux auditeurs, auxquels il a annoncé, avec un ton réaliste, qu’il n’y aura pas de «solutions miracles», et que celles qu’il proposera «devront être soumises au débat».

M. Ben Romdhane a assuré que le déficit courant de la balance des payements ne peut être surmonté que par l’apport des capitaux, qui peuvent être sous forme d’investissements ou d’emprunts. Autrement, s’endetter ou manger dans les réserves en devises (qui ne sont d’ailleurs pas très élevées) seraient inévitable, ce qui est d’ailleurs le cas de la Tunisie actuellement.

En ce qui concerne le commerce de marchandises, M. Ben Romdhane a pris l’exemple du phosphate, un secteur clef dans l’économie tunisienne, mais dont la production a connu une grande chute entre 2010 et 2018. Le conférencier a suggéré, afin de remettre ce domine sur pied, d’améliorer «les conditions de vie, actuellement insoutenables», dans les principales régions productrices, notamment en modernisant les équipements. D’un autre côté, il a proposé de suivre les modèles des pays qui réussissent l’exportation de leurs marchandises, tels que la Turquie et la Chine, en mettant en place une équipe de professionnels qui assure la veille stratégique.

Au niveau de l’importation de marchandises, M. Ben Romdhane a choisi d’évoquer le déficit énergétique qui représente plus de la moitié du déficit courant (6.500 millions de dinars, soit plus de 5 fois le déficit de 2010), mais dont les possibilités de remède sont très plausibles, au vu de la diminution considérable des coûts de production de l’énergie renouvelable. Appelant, pour y arriver, à commencer par rétablir la confiance en ce secteur en Tunisie.

Pour illustrer les problèmes du commerce de services, le conférencier a opté pour l’exemple du tourisme, dont le facteur déterminant pour son développement est, selon lui, la disponibilité de flottes, étant donné que les touristes refusent d’engager des réservations hôtelières en risquant leur flottille. À cet effet, M. Ben Romdhane a proposé de négocier avec Tunisair son plan de restructuration et lui octroyer les moyens de sa mise en valeur.

D’autres mesures ont été avancées par M. Ben Romdhane, notamment en ce qui concerne la dépréciation du dinar. En effet, l’anticipation de la chute du dinar est, d’après lui, derrière le report continu des transferts de revenus. Et pour remédier à cette situation, le conférencier a appelé à autoriser l’ouverture de comptes en devises pour les diasporas et les résidents Tunisiens.

Le public est pessimiste

La rencontre s’est clôturée par un débat avec les présents, dont plusieurs ont douté de la pertinence de la méthodologie de diagnostic choisie, qui se limite, ou presque, à l’étude des éléments macro-économiques, sans accorder l’importance qu’il faut aux facteurs politiques et sociaux.

D’autre part, en ce qui concerne les mesures de redressement proposées, certains intervenants ont exprimé beaucoup de pessimisme par rapport à leur faisabilité, surtout que la situation économique continue de se dégrader, année après année, et ce malgré l’amas de plans de rétablissement qui ont été élaborés et débattus à différentes échelles, depuis le début de la crise.

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