L’impérative fermeture des frontières tuniso-libyennes, nécessitée par la montée des tensions et des violences dans ce pays voisin, semble faire face, du côté tunisien, à de petits calculs politiciens voire électoraux.
Par Assâd Jomâa *
Suite à sa décision, un tantinet politicienne – convenons-en –, de ne plus ratifier le décret de l’état d’urgence à partir du 5 avril 2019, voici que le Président de la République convoque le Conseil national de sécurité (le vendredi 5 avril 2019) à une réunion «exceptionnelle» pour trouver une issue honorable à la dite péremptoire, et non moins lunatique, décision.
La raison invoquée à cette inéluctable volte-face était l’évolution de la situation militaire jugée «inquiétante» de notre turbulente voisine : la Libye. Le conflit entre le commandement militaire (le maréchal Khalifa Hafter) et la direction politique (le président désigné Fayez Al-Sarraj) risquant de dégénérer en véritable guerre, l’Etat tunisien devait à titre préventif décréter l’état d’urgence.
L’armée tunisienne est-elle en position de défense opérationnelle?
Soit ! Mais les éventuels risques en provenance de notre effervescent voisin sont-ils de nature purement militaires ou bien seraient-ils, pire encore, aussi sécuritaires? Les djihadistes de tous acabits, soigneusement implantés dans ce vaste pays depuis près d’une décennie, ne seraient-il pas tentés, en partie du moins, leur débâcle aidant à se réfugier dans nos verdoyantes et non moins hospitalières montagnes frontalières, inaugurant par là-même un nouveau front avec notre autre voisine l’Algérie? Auquel (non souhaitable) cas notre frêle Tunisie serait prise en tenailles ?
Toutes questions qui en amènent une autre encore plus cruciale. Nos fins stratèges du Conseil national de sécurité n’ont-ils pas envisagé tous ces probables scénarii pour en arriver à une sécurisation optimale des zones de friction avec la source du danger? En termes de stratégie militaires, toute sécurisation présupposant interdiction de circulation civile, la première décision incombant à l’Etat tunisien aurait consisté à décréter la fermeture des frontières, afin que nos forces armées puissent se mettre en position de défense opérationnelle du territoire.
Or, à ce jour, et nonobstant la situation de plus en plus explosive de la situation en Libye aucune décision de cet ordre n’a été prise par ceux-là mêmes qui ont décrété l’état d’urgence. Pour quelles raisons? Nous en voyons essentiellement deux, l’une plus politicienne que l’autre.
Sécurité des frontières et/ou commerce frontalier
La première, bien improbable, il est vrai, tiendrait au fait que nos décideurs disposeraient de certaines assurances en vertu desquelles la situation chez nos voisins du sud ne risquerait pas de déboucher sur un véritable conflit armé.
Auquel cas aussi bien la réunion du Conseil national de sécurité que le décret qui s’en est suivi n’auraient servi que de couverture au déni présidentiel.
La seconde, et c’est la plus lourde de conséquences, serait imputable au souci de ne pas porter atteinte aux échanges «commerciaux» (pour ne pas appeler un chat chat), des zones frontalières. D’autant que la présence de l’Etat tunisien, aussi fantomatique puisse-t-elle être, est à peine tolérée en ces contrées.
Ajoutez-y quelques considérations électorales et vous en arriverez à la même conclusion que nos fins stratèges politiciens : ne mettons point le nez dans ce nid d’abeilles… Que dis-je de producteurs de nectar, tant les sacro-saintes élections sont imminentes, et Dieu seul sait à quel point elles sont budgétivores…
Voici, sommairement schématisés, les tenants et aboutissant d’un exemple entre mille de la bonne gouvernance, démocratique s’il-vous-plait !, de la Tunisie postrévolutionnaire… Continuez, messieurs, à vous jouer de ce pétard jusqu’à ce qu’il vous explose en pleine figure… pour rester poli !
* Universitaire.
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