L’association Shams pour la dépénalisation de l’homosexualité en Tunisie a organisé une conférence, le mercredi 17 avril 2019, à l’Institut français de Tunisie (IFT), sur la condition des personnes LGBTQI en Tunisie à travers le prisme de la question pénitentiaire, une rencontre qui s’inscrit dans le cadre de l’événement «Couleurs d’avril».
Par Fawz Ben Ali
La deuxième édition de la manifestation artistique et militante «Couleurs d’avril», qui a démarré lundi 15 avril et se poursuit jusqu’au samedi 20 avril, offre un espace d’échange, de création et de visibilité pour la cause LGBTQI en Tunisie.
Des artistes, des militants, des acteurs de la société civile et des penseurs sont réunis autour de cet événement organisé par l’IFT et auquel se sont associés plusieurs organismes et associations comme El Teatro, Avocats sans frontières, ATP+, Adli, Alwani, Twensa Kifkom, Outcast, Shams …
Considérées comme des citoyens de seconde zone
Après une inauguration artistique avec le vernissage de l’exposition collective ‘‘Homogeneus’’, le spectacle de danse ‘‘Circassienne’’, la pièce de théâtre ‘‘Trans’’ et la projection du film ‘‘Sauvage’’… «Couleurs d’avril» a proposé une conférence-débat avec Bouhdid Belhedi (représentant de l’association Shams) et Mounir Eleuch (juriste et écrivain) pour évoquer le processus d’arrestation puis d’emprisonnement des personnes LGBTQI en Tunisie.
Bouhdid Belhedi a rappelé que l’article 230 du code pénal avait été promulgué en 1913 sous le protectorat français. La France a, depuis, fait d’énormes pas, allant jusqu’à légaliser le mariage entre des personnes du même sexe (Mariage pour tous), alors que la Tunisie continue de s’accrocher à cet article désuet et d’envoyer en prison des citoyens à cause de leurs affinités amoureuses.
Les arrestations n’ont pas cessé d’augmenter ces dernières années, et notamment en 2018 où il y a eu plus de 127 arrestation selon l’association Shams. L’Etat en effet, déploie toutes sortes de moyens pour incriminer ces personnes, constamment poursuivies et menacées par les forces de l’ordre, qui se permettent de fouiller dans les données personnelles (conversations téléphoniques, Facebook…) et de confisquer des téléphones, ordinateurs, appareils photo… à la recherche du moindre indice qui pourrait incriminer ces personnes «considérées comme des citoyens de seconde zone», selon Bouhdid Belhedi.
Rappelons que ces pratiques vont évidemment à l’encontre de l’article 24 de la nouvelle constitution tunisienne de 2014, qui stipule ceci : «L’Etat protège la vie privée et l’inviolabilité du domicile et la confidentialité des correspondances, des communications et des données personnelles.»
De sa part, le juriste Mounir Eleuch a expliqué que la pratique déshonorante du test anal ne permet de prouver que le viol et non les relations entre deux personnes consentantes. Ainsi, en plus d’être une forme de torture traumatisante et inhumaine, le test anal est complètement inutile dans la détermination de l’orientation sexuelle d’une personne.
Face à la pression familiale et sociale, le quotidien des personnes LGBTQI ressemble à une prison psychologique où l’on doit nier son identité et essayer de passer inaperçu pour éviter les violences verbales et physiques quotidiennes qui les menacent sous le regard complice de l’Etat.
Beaucoup de déclarations homophobes et des discours de haine ont également été prononcés par des hommes d’Etat ou encore des imams dans les prêches du vendredi ou dans les médias, légitimant et alimentant davantage les hostilités envers les personnes LGBTQI.
Bouhdid Belhedi et Mounir Eleuch.
Humiliation, violence, discrimination, privation des droits
Quand ces derniers décident de porter plainte pour agression, voire de viol – ironie du sort – ils se transforment de victimes en coupables, et sont le plus souvent envoyés en prison aux côtés de vrais criminels.
Le rôle de la prison n’est-il pas de réhabiliter des personnes ayant enfreint la loi pour en faire de meilleurs citoyens à leur sortie ? Mais qu’en est-il pour les LGBTQI qui ont toujours été privées de leur liberté, et qui se retrouvent en prison pour des affinités amoureuses interdites, pourtant entre deux adultes consentants et entre quatre murs, mais l’Etat vous regarde, vous espionne et vous contrôle dans vos pratiques les plus intimes. «Big Brother» ne semble pas un mythe, il existe bel et bien sous plusieurs formes.
Les personnes incarcérées pour homosexualité dans les prisons tunisiennes souffrent de conditions particulièrement invivables. C’est un traitement à part qu’on leur réserve : humiliation, violence (harcèlement sexuel et viols de la part d’autres détenus et des gardiens de prison), discrimination, privation des droits les plus essentiels (hygiène, nourriture, visite, activités carcérales…).
Il s’agit d’un combat de longue haleine, loin d’être gagné d’avance, mais la société civile tunisienne est plus que jamais mobilisée pour faire changer les choses et surtout pour faire valoir la constitution de 2014 qui semble passée en second plan face à certains articles de lois datés et contraires aux droits de l’Homme.
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