Emboîtant le pas à l’Onu, qui a qualifié les charges retenues contre son expert germano-tunisien Moncef Kartas de douteuses et exigé la libération immédiate de ce dernier, la ‘‘Deutsche Welle’’ (DW) prend le relais et ouvre son micro à l’avocate et aux proches de l’accusé, qui parlent d’une «inculpation mensongère».
Par Marwan Chahla
Mercredi 15 mai 2019, l’Organisation des Nations unies (ONU) a rejeté les raisons avancées par la Tunisie pour l’arrestation de Moncef Kartas et exigé, par conséquent que les charges retenues contre l’expert onusien soient abandonnées.
Mi-avril dernier, conformément aux obligations juridiques internationales, l’Onu avait demandé à la Tunisie de lui fournir les justifications de l’arrestation de l’expert onusien. Notre pays a répondu en soumettant à l’organisation internationale des documents détaillant les accusations portées contre Moncef Kartas, membre d’un groupe d’experts onusien sur la Libye, en détention depuis le 26 mars dernier.
«Des justifications tunisiennes non convaincantes»
Après examen de ces documents, l’Onu a officiellement rappelé au gouvernement tunisien que Moncef Kartas est couvert par l’immunité diplomatique et «exigé qu’il soit remis en liberté immédiatement et que les charges retenues contre lui soient abandonnées», a affirmé Stéphane Dujarric, le porte-parole du secrétaire général de l’Onu, ajoutant que la détention du responsable onusien et les poursuites engagées contre lui par la Tunisie «sont très inquiétantes.»
Le porte-parole d’Antonio Guterres, qui s’est gardé de préciser la nature des documents soumis par la Tunisie, a, par contre, clairement déclaré que «les justifications tunisiennes ne sont pas convaincantes.»
Se fondant sur ce durcissement de ton de l’Onu, la chaîne nationale allemande DW a mené son enquête et donné la parole à la partie allemande, notamment à l’avocate de Moncef Kartas, Sarah Zaafrani, et à son frère, Adel Kartas – expliquant que les autorités tunisiennes préfèrent, pour l’instant, se contenter de ce qu’elles ont déjà révélé publiquement sur cette affaire et laisser l’enquête et la justice tunisiennes suivre leur cours normal…
D’entrée de jeu, la DW place cette affaire sur le terrain du caractère diplomatique de la mission de Moncef Kartas et de l’immunité dont il jouit: l’homme est présenté comme «une personnalité très respectée» et «un éminent expert onusien sur le transfert illicite des armes vers la Libye.»
Selon DW, l’arrestation de Moncef Kartas a été une surprise totale pour son avocate et plusieurs de ses amis et collègues avec lesquels le média allemand a pu s’entretenir.
Le binational tuniso-allemand est membre du groupe d’experts désignés par l’Onu pour enquêter sur les possibles transferts illicites d’armes vers la Libye. Et, dans cette fonction diplomatique, l’homme est protégé contre toute détention ou mise aux arrêts…
Alors que les Etats membres de l’Onu sont en droit de déposer auprès du Conseil de sécurité une demande de levée de l’immunité d’un responsable onusien, la Tunisie aurait choisi d’ignorer cette procédure – alors que, selon DW, Moncef Kartas voyageait en Tunisie en possession d’un laissez-passer officiel qui lui a été délivré par l’Onu.
De l’avis de l’Onu, du ministère allemand des Affaires étrangères et des experts en droit international que DW a contactés, «la Tunisie a clairement violé l’immunité diplomatique» de Moncef Kartas.
Pour Sarah Zaafrani, il ne fait aucun doute que son client «a certainement irrité certaines parties», sans les nommer, ajoutant que les accusations portées contre lui sont «mensongères…» Les amis de Moncef Kartas, sa famille et des experts sont, eux aussi, déconcertés par les charges retenues contre lui par les autorités tunisiennes.
Selon son frère aîné Adel, médecin exerçant au Royaume-Uni, l’expert onusien «est un homme qui s’investit sans compter dans son travail (…) Il prenait sa mission très au sérieux. C’est ainsi, c’est un idéaliste et cela se voyait dans toutes les recherches qu’il entreprenait.»
L’«arme du crime»: un scanner radio RTL-SDR
Répondant à l’accusation d’espionnage portée contre l’expert onusien, Adel Kartas est catégorique: «Non, non et non, cela ne lui ressemble pas. Il ne fera jamais ça. C’est tout simplement incroyable.»
Jusqu’ici, il semble que toute cette affaire repose sur un appareil trouvé en la possession de Moncef Kartas: il s’agit d’un scanner radio RTL-SDR que les autorités tunisiennes lui reprochent d’utiliser sans leur permission spéciale. DW fait remarquer que l’appareil en question ne coûterait qu’une trentaine de dollars (soit 90 dinars) et qu’il est d’un usage commun chez les plane-spotters amateurs.
Bref, à en croire Sarah Zaafrani, il n’y a pas de quoi s’alarmer: «Cet instrument est loin d’être un outil d’espionnage, ainsi que les autorités tunisiennes ont présenté les choses…»
Face à cette contre-offensive allemande, la Tunisie devrait faire connaître plus amplement son point de vue. Et de toute urgence, car il y va de la crédibilité internationale de notre pays, de la solidité de ses relations avec un pays comme l’Allemagne et d’une organisation mondiale comme l’Onu, dont il est membre.
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