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La liberté de conscience est-elle respectée en Tunisie pendant ramadan ?

Au centre-ville de Tunis, les terrasses des cafés sont désertes durant le jeûne de ramadan.

Ramadan constitue le baromètre idéal pour mesurer le respect de la liberté de conscience dans les pays à majorité musulmane, comme la Tunisie…

Par Cherif Ben Younès

Même s’il exige un rythme de vie pénible pour les jeûneurs, obligés de ne pas manger et surtout de ne pas boire durant toute la journée, ramadan demeure une occasion annuelle globalement appréciée par la société, essentiellement pour les traditions qui l’accompagnent (dîners et soirées familiaux, grande variété de programmes et de feuilletons à la télévision, jeu de cartes entre amis, etc.). De leur côté, les plus religieux en profitent pour vivre une expérience spirituelle intense, grâce notamment aux rites des «tarawih», à la prière de la nuit («qiam ellayl») et au jeûne.

Ramadan, le mois des abus sociétaux, par excellence

Il est toutefois regrettable de reconnaître que toutes les habitudes sociales relatives à ce mois sain dans la religion islamique ne sont pas à l’image de celles citées ci-dessus : «Peace and love», divertissantes et/ou spirituellement excitantes. Les pratiques sociétales les plus abominables ont également lieu pendant ramadan…

En effet, il est de coutume, durant cette période de l’année, de juger la conscience des gens et de se prendre, sans scrupules, pour l’avocat de Dieu sur terre, envers toute personne refusant de se soumettre au conformisme de la société qui devient particulièrement aigu au cours de ce mois. C’est-à-dire envers la minorité qui refuse de pratiquer le jeûne, pour des raisons religieusement illicites.

On a beau exister au XXIe siècle, une époque où il y a toute une «Déclaration universelle des droits de l’homme», qui définit les droits fondamentaux dont devrait jouir tout être humain, notre société se fonde encore sur un système moral qui viole l’un de ces droits les plus basiques : la liberté de conscience.

Un rejet totalement incohérent

Ce système permet à la société de pénétrer les convictions les plus intimes des individus qui la composent, tout en émettant des jugements pseudo-moraux à leur encontre, notamment en fonction de leur degré de religiosité. Une religiosité évaluée selon les propres normes de cette société, en totale contradiction avec le bon sens.

Tout le monde sait, à ce propos, que faire les 5 prières quotidiennes et donner l’aumône («zakat») sont respectivement les 2e et 3e piliers de l’islam, et que, par conséquent, d’un point de vue religieux, ils sont plus importants et prioritaires que le jeûne du mois de ramadan, qui n’est que le 4e pilier. Pourtant, ne pas faire la prière et ne pas donner l’aumône sont généralement très tolérés dans la société tunisienne, tandis que le non-respect du 4e pilier ne l’est absolument pas, et ce pour des raisons que la raison ne connaît point.

Cette allergie irrationnelle aux non-jeûneurs – parfois de la part de non-jeûneurs faisant semblant de jeûner pour l’apparence sociale – ne s’illustre pas uniquement dans la position de ceux qui en souffrent, mais également dans l’argumentation de la plupart de ceux qui tentent de défendre le droit de manger pendant ramadan («Il y a des personnes malades qui n’arrivent pas à jeûner»; «il y a des gens qui sont en voyage», «il y a des chrétiens et des juifs», etc.).

Plutôt que de défendre le principe de manger en tant que tel, étant un acte ordinaire, qui ne porte pas préjudice à autrui ni à leur liberté, les supposés défenseurs des droits de l’homme en Tunisie préfèrent généralement suivre une logique de justification, soumise elle-même au système pseudo-moral des détracteurs de ces droits.

Ces personnes ne défendent donc, tout bonnement, pas la liberté de conscience, qui est pourtant énoncée, noir sur blanc, dans la constitution tunisienne et dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Et c’est là la plus grosse erreur méthodologique qu’elles commettent. Elles disputent cette bataille sur le terrain des obscurantistes, en se laissant dominer par leur logique et le type d’arguments que ces derniers aiment entendre, perdant ainsi cette cause par avance.

Est-il vraiment contraire à l’éthique de manger en public pendant ramadan?

Il convient, par ailleurs, de rappeler que ceux qui jeûnent le mois de ramadan, ils le font, en prenant en considération, de façon exclusive, le jugement divin relatif à leurs croyances : on jeûne pour échapper au châtiment ou pour obtenir une récompense dans la supposée existence post-mortem. Cette pratique n’a, par conséquent, contrairement à ce qu’affirment ceux qui veulent l’imposer, aucun rapport, ni de près ni de loin, avec la morale, l’éthique ou l’éducation. C’est simplement une question d’intérêt personnel (et c’est tout à fait légitime).

Le fait de se mêler de ce qui ne nous regarde pas, en tentant d’imposer aux autres nos convictions personnelles (et forcément subjectives) est, en revanche, un comportement contraire à l’éthique, parce qu’il est dénudé du facteur essentiel grâce auquel le sens de la morale des êtres humains est si évolué, à savoir l’empathie…

En effet, il est évident qu’aucun jeûneur, parmi ceux qui veulent priver les gens du droit de manger en public, n’aimerait subir le même sort : être contraint à ne pas jeûner ramadan, sous prétexte, par exemple, qu’il est dans un pays non-islamique, ou pour n’importe quelle autre raison.

Un État complice

De son côté, l’État tunisien, qui prétend garantir les libertés individuelles, est en réalité garant de cet obscurantisme sociétal, puisqu’il oblige les cafés ouverts pendant la journée, durant ramadan, de «se voiler», à l’aide de rideaux opaques ou de journaux, comme si c’était criminel d’y être. Un État qui se réserve également le droit de condamner ceux qui mangent dans la rue, et ce via les articles moyenâgeux 226 et 226 bis du code pénal, qui sanctionnent les actes non conformes avec «la pudeur» et «les bonnes mœurs». Pire encore : la Tunisie exerce une discrimination scandaleuse envers ses citoyens en leur interdisant d’acheter l’alcool pendant ramadan, tout en permettant aux étrangers de le faire.

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