
Ecrivain, poète et nouvelliste, célèbre pour son talent de conteur et la richesse de l’imaginaire fantastique de ses récits, Jorge Luis Borges est l’un des plus célèbres écrivains argentins et latino-américains du 20e siècle. 
Né en 1899 à Buenos Aires, dans une famille aisée et cultivée, où l’on parle aussi bien espagnol qu’anglais, Jorge Luis Borges voyage, en 1914, avec sa famille, en Europe et vit en Suisse, où son père suit un traitement spécial pour soigner ses problèmes oculaires, puis en Espagne, avant de rentrer en Argentine en 1921. À l’adolescence, Borges se met à composer de la poésie.
De retour à Buenos Aires, il fonde diverses revues, publie son premier recueil de poèmes, ‘‘Ferveur de Buenos Aires’’ (1923), ainsi que des essais. Il se fait connaître avec ‘‘Histoire universelle de l’infamie’’, œuvre publiée en 1935, qui est une compilation de biographies imaginaires de personnalités historiques.
 Grâce à ses recueils de nouvelles, notamment ‘‘Fictions’’ en 1944, ‘‘L’aleph’’ en 1949, et ‘‘Le livre de sable’’ en 1975, Jorge Luis Borges devient alors célèbre dans le monde entier. Il y exprime, dans une langue poétique, des visions fantastiques parfois angoissantes. Son œuvre est parsemée de références érudites et d’allusions littéraires, notamment à la littérature arabe classique et aux ‘‘Mille et une nuits’’, dont il est fasciné. 
 A partir des années 1950, il enseigne à l’université de Buenos Aires et obtient le poste de directeur de la bibliothèque nationale. C’est aussi à cette période qu’il commence à perdre la vue, comme son père avant lui. Il devient tout à fait aveugle en 1955, mais continue à écrire, avec l’aide de son assistante. Il décède en 1986, des suites d’un cancer du foie. Il a été plusieurs fois nommé pour le prix Nobel de littérature, sans jamais le remporter. 
Instants
Si je pouvais de nouveau vivre ma vie,
 dans la prochaine je tâcherais de commettre plus d’erreurs.
Je ne chercherais pas à être aussi parfait, je me relaxerais plus.
Je serais plus bête que je ne l’ai été,
 en fait je prendrais très peu de choses au sérieux.
Je mènerais une vie moins hygiénique.
Je courrais plus de risques,
 je voyagerais plus,
 je contemplerais plus de crépuscules,
 j’escaladerais plus de montagnes, je nagerais dans plus de rivières.
J’irais dans plus de lieux où je ne suis jamais allé,
 je mangerais plus de crèmes glacées et moins de fèves,
 j’aurais plus de problèmes réels et moins d’imaginaires.
J’ai été, moi, l’une de ces personnes qui vivent sagement
 et pleinement chaque minute de leur vie ;
 bien sûr, j’ai eu des moments de joie.
Mais si je pouvais revenir en arrière, j’essaierais
 de n’avoir que de bons moments.
Au cas où vous ne le sauriez pas, c’est de cela qu’est faite la vie,
 seulement de moments ; ne laisse pas le présent t’échapper.
J’étais, moi, de ceux qui jamais
 ne se déplacent sans un thermomètre,
 un bol d’eau chaude,
 un parapluie et un parachute ;
 si je pouvais revivre ma vie, je voyagerais plus léger.
Si je pouvais revivre ma vie
 je commencerais d’aller pieds nus au début
 du printemps
 et pieds nus je continuerais jusqu’au bout de l’automne.
Je ferais plus de tours de manège,
 je contemplerais plus d’aurores,
 et je jouerais avec plus d’enfants,
 si j’avais encore une fois la vie devant moi.
Mais voyez-vous, j’ai 85 ans…
 et je sais que je me meurs.
Tankas
 1.
 En haut sur la cime
 Le jardin entier est lune,
 Lune d’or.
 Plus précieux le frôlement
 De ta bouche dans l’ombre.
 2.
 La voix de l’oiseau
 Que la pénombre recouvre
 On ne l’entend plus.
 Tu marches dans ton jardin
 Quelque chose, oui, te manque.
 3.
 La coupe d’un autre,
 L’épée qui fut une épée
 Dans une autre main,
 La lune de cette rue,
 Dis-moi, n’est-ce pas assez ?
 4.
 Il est sous la lune
 Le tigre fait d’or et d’ombre
 Il fixe ses griffes
 Il ne sait pas qu’au matin
 Elles ont tué un homme.
 5.
 Triste cette pluie
 Qui sur le marbre s’égoutte,
 Triste d’être terre.
 Triste, n’être pas les jours
 De l’homme, le rêve, l’aube.
 
6.
 N’être pas tombé
 Comme d’autres de ma race,
 Au champ de bataille.
 Être dans la vaine nuit
 Seul à compter les syllabes.
Traduit de l’espagnol par E. Dupas.


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