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Le poème du dimanche : ‘‘Quel printemps arabe ?’’ et autres poèmes de Saadi Youssef

Né en 1934 à Basra, au sud de l’Irak, Saadi Youssef est considéré comme l’un des plus grands poètes arabes contemporains. Poète engagé, protestataire, toujours en rupture de ban, la poésie est son passeport pour le monde. «Ce n’est pas de la politique pure et dure. Ça se passe sous les eaux, pas sur la surface», dit-il.

Journaliste, éditeur et activiste politique, Saadi Youssef a longtemps enseigné la littérature arabe dans les lycées de son pays, puis en Algérie, avant d’occuper un poste de direction au ministère de la Culture à Bagdad. Ses idées politiques – il fût longtemps communiste – le forcent à quitter son pays à la fin des années 70. Il habite actuellement à Londres, «son dernier stop», dit-il, en référence aux autres villes où il a vécu depuis que ses idées politiques l’ont obligé à fuir son pays natal : Beyrouth, Batna, Nicosie, Aden, Belgrade, Tunis, Paris, Damas et Amman.

Saadi Youssef a publié depuis 1952 plus d’une trentaine d’ouvrages et traduit en arabe les textes d’écrivains majeurs du XXe siècle comme Whitman, Lorca, Orwell et Ritsos. Son œuvre a été traduite dans plusieurs langues et récompensée par divers prix de poésie arabes et internationaux.

«Je crois en une justice dans le monde, dit-il. C’est ce que je veux transmettre dans mon écriture. La condition humaine m’intéresse. C’est mon apport personnel que j’y mets. J’évite les généralités. Je ne confonds pas par contre le rôle du poète avec celui du philosophe», dit-il.

Quel printemps arabe ?

Il n’y a que les poules pour répéter «Printemps arabe !»
N‘y aurait-il plus d’enfant ?
Je veux dire : N’y aurait-il plus personne pour clamer la vérité ?
Qu’est-ce que c’est que ce printemps arabe ?
On sait bien que l’ordre est parti de certaine administration américaine, comme déjà en Ukraine, en Bosnie, au Kosovo…
On l’a voulu aussi pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.
Facebook conduit la révolution dans des pays où les gens n’ont pas de quoi payer leur pain quotidien!
Ce pauvre malheureux qui survit à peine, cet analphabète, ce bigot,
Qui ne mange même pas un plat chaud par jour,
Qui vit dans un taudis, de thé et de mauvais pain subventionné,
Il saurait ce que c’est internet ?
Mais qui sont donc ces jeunes leaders ?
Quelle honte !
L’Egypte a tout fait comme il faut, son président (Je veux dire Hosni Moubarak) comme son peuple,
Et la Tunisie aussi :
«Nous vous avons écouté, et nous avons obtempéré.»
L’Egypte a reçu le message
Et les Tunisiens aussi.
Quant à Tripoli-de-Libye, elle découvre, à coup de bombardements la vérité du printemps arabe !

Le silence

Le vent qui ne souffle pas le soir
et le vent qui ne souffle pas le matin
m’ont confié le livre des branches
pour que je perçoive mon cri dans le silence.
La nuit descend, bleue, entre les pas et les étoiles, je vois
des arbres bleus, des rues désertées, un pays
de sable. J’avais une patrie puis je l’ai perdue. J’avais un pays
et je l’ai quitté. Comme je sens les étoiles proches
collées aux pas. Arbres bleus, ô bois
bleu, nuit, nous avons abouti à un monde
qui s’amoncelle, commence ou meurt.
Arbres pour les mains tranchées. Arbres pour les yeux
arrachés. Arbres pour les cœurs pétrifiés.
Dans la ville, les jardins bleus s’approchent du centre du cimetière.
Sur les livres, le sceau de la censure est apposé
Dans quel pays es-tu venu ? Ici, tu pousseras une porte
sur un laboratoire de tortures, tu verras un jour dans les jardins
ton bras, tes yeux ou peut-être ton cœur encore palpitant
Mais aujourd’hui tu es plus fort, alors dis tes mots, dis-les
Après-demain tu recommenceras ou tu mourras
Le vent qui ne souffle pas le soir
et le vent qui ne souffle pas le matin
m’ont confié le livre des branches
pour que je perçoive mon cri dans les yeux.

Extrait de ‘‘Loin du premier ciel’’, traduit par Abdellatif Laâbi et Jabbar Yassin Hussin (éditions Actes Sud).

Vol

Au petit matin, un nuage dégringole
Si j’étais enfant
je l’aurais attrapé
et jeté dans un jardin
comme un ballon
Puis je serais entré dans le ballon
et aurais ordonné aux chiens :
Aboyez que je puisse voler!

Extrait de ‘‘Loin du premier ciel’’, traduction Abdellatif Laâbi et Jabbar Yassin Hussin (éditions Actes Sud).

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