Les gens qui ont des choses à se reprocher ont ceci en commun : ils ont le sens de la solidarité agissante. Ils passent un pacte de non-agression et se soutiennent mutuellement. C’est le cas des deux magnats de la télévision Sami Fehri, patron d’El Hiwar Ettounsi, et Nabil Karoui, patron de Nessma TV.
Par Ridha Kéfi
Outre le fait qu’ils soient patrons de télévision, surestimant leur influence sur l’opinion publique et se prenant pour des faiseurs de rois, ces deux lascars traînent des affaires en justice pour corruption financière. Leurs procès sont en cours et ils risquent sinon l’emprisonnement (tant les délits dont ils sont accusés sont graves) du moins de très lourdes sanctions financières, ce qui pour ces affairistes pourris d’argent – dont on soupçonne, à raison, qu’il est mal acquis – serait un moindre mal.
«Je te tiens tu me tiens par la barbichette»
Ces deux concurrents du PAT (paysage audiovisuel tunisien), qui, il n’y a pas longtemps, se tiraient dans les pattes pour s’attirer les faveurs des agences de mesure d’audience et des annonceurs, sont devenus dernièrement, comme par miracle, de très grands copains. Et qu’est-ce qui nous vaut cette alliance inattendue et contre-nature ? En fait, ils y sont acculés, car on peut imaginer qu’ils se détestent cordialement. Et pour cause, leurs destins sont scellés : si l’un tombe, il y a de fortes chances pour que l’autre tombe aussi. C’est du moins ce qu’ils croient. D’ailleurs, ils ne sont pas contentés de passer un pacte de non-agression, ils jouent désormais au «Je te tiens tu me tiens par la barbichette».
Cette longue introduction pour en arriver à notre sujet : l’alignement criard d’El Hiwar Ettounsi – et de ses journalistes et chroniqueurs politiques, «El-khobza kalba» (traduire : le ventre a ses raisons que la raison ignore) –, constaté ces dernières semaines, sur la ligne éditoriale de Nessma TV, c’est-à-dire l’opposition tout azimut au gouvernement Chahed. Mais pas seulement, car il ne s’agit pas d’attaquer ce dernier à propos de tout et de rien, parfois à raison, mais souvent aussi injustement et à tort, dans le but d’empêcher son accession à la présidence de la république, et son parti, Tahya Tounes, au prochain gouvernement. Il s’agit désormais, pour Sami Fehri et ses journalistes et chroniqueurs, d’aider Nabil Karoui, briguant lui aussi la magistrature suprême, et son parti, Qalb Tounes, le gouvernement.
Un coup de pouce en espérant un renvoi d’ascenseur
L’objectif de cette manœuvre cousue de fil blanc est facile à deviner : Chahed, qui était, il n’y a pas longtemps, cajolé par Al Hiwar Ettounsi, n’ayant pas fait le boulot attendu de lui, c’est-à-dire intervenir auprès de la justice pour qu’elle laisse pourrir l’affaire Cactus Prod où est impliqué Sami Fehri, ce dernier et ses journalistes et chroniqueurs œuvrent désormais pour le faire tomber et donner un coup de pouce à Karoui pour qu’il gagne les élections et siège au Palais de Carthage et son parti à la Kasbah, dans l’espoir de voir ce dernier renvoyer l’ascenseur en faisant le boulot. Et Karoui a d’autant plus de raison de le faire, ce boulot-là, qu’il fait lui-même l’objet d’enquêtes menées par le Pôle judiciaire financier sur de lourdes suspicions de corruption financière et de blanchiment d’argent. Bref, entre des gens biens, on ne se laisse pas tomber…
C’est avec des médias audio-visuels de ce genre et dirigés par ce genre de patrons, souvent fâchés avec la loi, laquelle est (mal) incarnée par la Haute autorité indépendante de la communication visuelle (Haica), Nessma diffusant carrément sans autorisation, que l’on croit pouvoir construire une démocratie en Tunisie.
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