Une partie des Tunisiens et notamment les communautés rurales et les agriculteurs, ont beaucoup souffert, cet été, des coupures d’eau potable et de celle destinée à l’irrigation. Le stress hydrique, qui est une réalité dans notre pays, ne doit pas être une fatalité car des solutions existent.
Par Khémaies Krimi
Les coupures les plus dramatiques, une centaine à travers tout le pays, ont eu lieu le jour de l’Aid Al-Adha. Quant aux agriculteurs, leurs cultures de légumineuses d’été ont été sérieusement compromises par les coupures opérées par les commissariats au développement agricole sous prétexte de rationalisation de la distribution de l’eau.
Pourtant, l’année 2019 a été particulièrement pluvieuse, ce qui a permis un remplissage des 40 barrages du pays au fort taux de 75%.
Chargé par le gouvernement d’expliquer cette incohérence aux Tunisiens, le Ameur Horchani, «Monsieur barrage», l’un des principaux architectes du système en vigueur, aujourd’hui à la retraite, a, le plus simplement du monde, déresponsabilisé la Société nationale d’exploitation et de distribution de l’eau (Sonede) et justifié les coupures par l’augmentation de la consommation le jour de l’Aïd au taux de 19% par rapport à l’année précédente.
Il a aussi rejeté, catégoriquement, toute possibilité de «complot» ou de «sabotage».
L’ancien secrétaire d’Etat aux Ressources hydrauliques, sous le règne de Bourguiba, puis de de Ben Ali, a omis, néanmoins, de rappeler qu’une entreprise publique de la dimension de la Sonede se doit impérativement de programmer et de planifier, une année à l’avance, les augmentations de la consommation en eau potable et d’irrigation. C’est une règle élémentaire de management fût-il classique ou moderne.
Abstraction faite de la tendance de «cet expert maison» à soutenir ses anciens collègues, la seule leçon que l’on peut tirer de cette mauvaise gouvernance du secteur de l’eau, c’est que les pénuries vont perdurer encore des années, même après la réalisation des barrages programmés, dont ceux de Mellegue 2 (nord-ouest), Kalaat Kebira (centre-est) à et à Tessa (nord-ouest), et ce, au regard de l’augmentation des besoins en eau.
La dépendance de la Sonede et des services du ministère de l’Agriculture n’est pas une fatalité pour le consommateur et l’agriculteur, qui peuvent non seulement les contourner mais surtout réaliser d’importantes économies.
Il existe, effectivement, d’autres pistes et moyens à portée de main pour subvenir aux besoins en eau potable et d’irrigation.
La vertu des citernes domestiques
Il suffit, en effet, aux consommateurs d’eau potable d’investir dans la construction d’une citerne domestique («majel»). Ils doivent savoir que l’Etat tunisien a prévu des primes et l’accès à des crédits spécifiques pour réaliser de tels ouvrages.
Les citoyens désireux de construire une citerne souterraine pour collecter les eaux de pluie peuvent bénéficier d’une prime ou d’un crédit accordé par le Fonds national d’amélioration de l’habitat géré par le ministère de l’Equipement, de l’Habitat et de l’Aménagement du territoire. Les conditions à réunir pour en bénéficier sont prévues dans l’arrêté gouvernemental n° 1125 de l’année 2016, daté du 22 août 2016.
Dans le détail, les personnes dont les revenus sont inférieurs au Smig pourraient bénéficier d’une prime pour la construction de la citerne, après avoir fait l’objet d’une enquête sociale, alors que les personnes dont les revenus sont supérieurs à trois fois le Smig devront contracter des crédits bancaires, précise le département de l’Equipement.
Les eaux usées traitées, une solution pour irriguer l’agriculture
Pour les agriculteurs, il existe deux solutions. La première est à mettre à l’actif d’Ameur Horchani. Intervenant récemment lors d’un séminaire sur l’eau en Tunisie, l’expert a appelé «à mettre l’accent sur une gestion intégrée» de ce qu’il appelle «le hasard des aléas climatiques» (inondations et sécheresses) par une bonne maîtrise des données de la météorologie.
Concrètement, il s’agit d’une course contre la montre consistant à stocker au maximum les eaux des crues (construction de barrages de rétention) et de les économiser au maximum lors des périodes sécheresse.
La deuxième solution propose de diversifier les ressources disponibles en recourant, à la faveur de l’application de normes strictes, au recyclage des eaux usées dans l’agriculture et la recharge artificielle des nappes souterraines.
Recommandée par de nombreux experts, la réutilisation des eaux traitées en irrigation, serait, à l’avenir, la panacée idéale pour subvenir aux besoins de l’agriculture irriguée.
La Tunisie a développé, depuis 1965, une modeste expertise en la matière. Pour citer un chiffre récent, en 2018, selon des statistiques fournies par l’Office national de l’assainissement (Onas), quelque 59,5 millions de m3 d’eaux usées traitées ont été réutilisées dont 25 millions de m3 ont été réutilisées dans l’irrigation de 9855 hectares répartis en périmètres agricoles (8475 hectares), terrains de golf (930 hectares) et espaces verts (450 hectares).
L’enjeu réside donc dans l’intensification de l’utilisation de cette ressource non conventionnelle, d’autant plus que le potentiel est énorme.
Le stress hydrique tunisien est le moins alarmant au Maghreb
Selon World Resources Institute, un think-tank américain spécialisé dans les questions environnementales, 82% les eaux usées de la région Moyen Orient et Afrique du nord (Mena) ne sont pas réutilisées alors qu’elles peuvent générer une nouvelle source d’eau propre. La marge de manœuvre demeure donc importante pour la Tunisie.
Cela pour dire qu’hormis les désagréables coupures que viennent de connaître, cet été, plusieurs villes et régions du pays, il faut reconnaître que le stress hydrique de la Tunisie est de loin moins problématique que ceux que connaissent des pays de la région Mena.
Pour preuve, dans son récent classement (août 2019), le Water Risk Atlas des pays les plus stressés sur le plan hydrique et dont la situation commence à devenir alarmante, World Resources Institute a classé la Tunisie à la 30e place sur un total de 33 pays listés.
Au plan maghrébin, la Tunisie est moins stressée que le Maroc (23e) et que l’Algérie (29e). Au plan arabe, elle se porte mieux que des pays riches comme Qatar (1er), Liban (2e), Jordanie (5e), Libye (6e), Koweït (7e), Arabie Saoudite (8e), les Emirats arabes unis (10e) et Bahreïn (12e).
Moralité : les Tunisiens ont intérêt à ne plus tenir un discours stressant sur leur stress hydrique. Le pays qui a édifié, dans l’antiquité, le prestigieux aqueduc Zaghouan-Carthage pour subvenir à ses besoins en eau a toujours les moyens de s’en sortir en cas de sérieuses difficultés. Donc inutile de paniquer. Avec ou sans gouvernement, il y a toujours une solution.
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