Le moderniste tunisien est très attaché à sa liberté, au droit de s’habiller comme il le souhaite, que ce soit du transparent, du court, du long, le cul en l’air, et c’est tout à fait normal. En revanche il s’indigne qu’une femme puisse mettre un foulard sur la tête, ou qu’elle puisse mettre l’habit intégral.
Par Monem Lachkam *
Dans mon entourage et dans mes fréquentations les plus intimes, je suis plutôt entouré par ce qu’on appelle, communément, les modernistes.
Le moderniste tunisien est un personnage très sympathique, agréable à vivre, du moment que tu n’essayes pas de le sortir de ses normes et de sa logique à lui, hé oui, il est comme ça le moderniste, il est dans son monde, avec ses propres règles. C’est d’ailleurs pour ça qu’on lui reproche injustement certaines incohérences et contradictions, mais il n’en est rien, c’est méconnaître sa logique et ses règles.
Tout est bon dans l’Occident
Je m’explique : le moderniste est très attaché à sa liberté, au droit de s’habiller comme il le souhaite, que ce soit du transparent, du court, du long, le cul en l’air, et c’est tout à fait normal. En revanche il s’indigne qu’une femme puisse mettre un foulard sur la tête, ou qu’elle puisse mettre l’habit intégral.
Je crois qu’on est tous d’accord que le visage à découvert est une règle de sécurité incontournable, mais se couvrir tout le corps, et être fagoté comme un sac, devrait être complètement prohibé pour le moderniste, c’est une pollution visuelle.
Cependant il peut trouver mignonne la robe noire des nonnes avec le voile, mais bon ça n’est pas pareil, elles sont chrétiennes, elles, occidentales en plus, et tout est bon dans l’Occident.
Bref, le moderniste souhaiterait imposer à ces femmes, qui ont choisie de s’habiller selon leurs convictions religieuses, de se baigner en bikini, et pourquoi pas topless tant qu’on y est, me diriez-vous, mais bon c’est la logique moderniste.
Un moderniste ne tarit pas d’éloge pour Zine El Abidine Ben Ali (Zaba), et dit de Mohamed Bouazizi, qui, en s’immolant par le feu a provoqué le feu ayant provoqué la chute de ce dernier, «Allah la tarhmou» (Que Dieu ne l’ait pas en sa miséricorde !), et quand vous lui dite pourquoi, il vous dit que c’est un voyou alcoolique, et que c’est à cause de lui qu’on est dans cette galère.
Pour le commun des mortels, en dehors du fait qu’il puisse préférer la soi-disant galère à la dictature, il est convaincu qu’il n’y a pas plus voyou que Zaba, qui est d’ailleurs connu aussi pour être un bon buveur. Et puis le pauvre Bouazizi était en désespoir total, et voulait en finir de la manière la plus violente, en ne demandant rien à personne. Je sais que les mauvais esprits vont penser que le moderniste ne veut pas qu’on en fasse une icône, parce que ce dernier ne rentre pas dans le moule du moderniste, mais il n’en est rien, il n’est pas comme ça le moderniste.
Les urgences du moderniste sont à géométrie variable
Il est sensible, le moderniste. Prenez, par exemple, quand des parturientes sont mortes dans les zones de l’intérieur, par manque de gynécologues, il est malheureux, indigné et révolté, le moderniste. Mais quand un ministre de la Santé essaye de promulguer une loi pour que les jeunes spécialistes fassent 2 ans d’exercice dans ces zones, pour pallier ce manque, il n’est pas d’accord, le moderniste, et il est dans la rue pour manifester. Il invoque la convention de l’Organisation mondiale du travail (OMT), qui interdit qu’on oblige qui que ce soit de travailler contre sa volonté, dans une région précise, sauf en cas d’urgence.
Je sais que les plus tordus d’entre nous vont penser que le décès de ces pauvres femmes en couche n’est peut-être pas une urgence pour le moderniste, ou qu’abstraction faite de la pertinence du projet de loi, il a été rejeté parce qu’il a été proposé par un ministre nahdaoui, mais non, je les connais les modernistes, ils ont tout simplement eu la flemme de lire l’article de la convention jusqu’au bout, et ils n’ont donc pas vu le fameux «sauf en cas d’urgence».
Il s’attache à sa liberté d’expression et de pensée le moderniste, il a le droit de critiquer le prophète, et même de l’insulter, et pourquoi pas, mais essayez de critiquer Bourguiba, ou de dire que vous ne l’aimez pas, oh là, vous prenez de sérieux risques.
Bourguiba, la femme et les régions intérieures
Pour certains d’entre nous, Bourguiba on n’en est pas fan, et d’ailleurs le fanatisme on s’en méfie, que ce soit pour les personnes, les partis, ou les religions. Il est vrai que Bourguiba, a beaucoup fait pour la Tunisie, en luttant pour la liberté de la femme, nous évitant cette architecture sociale du monde arabe, avec sa moitié quasiment paralysée, assistée, brimée, lésée sous prétexte qu’elle est née femme, en misant sur l’éducation, en comprenant d’emblée qu’il était inutile, voir contre-productif d’investir dans l’armée, puisque de toutes les façons, on n’aura jamais eu les moyens d’être autonome, et en misant sur la santé, pierre angulaire pour toute société ayant des prétention de progression de production de richesse et de paix sociale.
Bref si on s’en sort plus ou moins bien par rapport à ce qui se passe dans les autres pays arabes, c’est bien grâce à la stratégie bourguibienne. Sauf que Bourguiba n’a pas fait que du bon, loin s’en faut. Bourguiba, noyé dans ses certitudes et ses vérités, n’a jamais mis les régions de l’intérieur dans son cœur, et a toujours considérés leurs habitants comme des Tunisiens de seconde zone, pour rester correcte. Il a de ce fait créé deux Tunisie, et un gouffre social, qu’on traîne jusqu’au jour d’aujourd’hui.
On peut schématiquement penser que Bourguiba a fait évoluer la Tunisie en dynamisant sa moitié féminine, et a paralysé sa moitié, que représentent les régions de l’intérieur.
N’oublions tout de même pas que Bourguiba, a du sang sur les mains, du sang de Tunisiens qui ne partageaient pas ses idées, et n’oublions pas qu’à l’époque, insulter Bourguiba, coûtait plus cher qu’un blasphème, et c’est d’ailleurs ce que le moderniste continue à prôner. Eh oui il est reconnaissant le moderniste.
Ce qui est vendeur pour les médias modernistes
Le moderniste est un homme juste, et qui défend les droits de l’homme, il est contre la torture, et contre la peine capitale, plus que Badinter lui-même, mais il ne comprend pas qu’on ne puisse pas torturer les vilains terroristes, et les exécuter, après un procès expéditif.
Le citoyen de base aurait tendance à penser qu’on ne devrait pas se rabaisser à la sauvagerie sans nom de ces terroristes sanguinaires, et qu’on devrait ou bien abolir la peine capitale pour le droit commun et le terrorisme, ou la garder pour les deux, balivernes, on n’est tout de même pas plus intelligent qu’un moderniste.
Il a ses têtes le moderniste, quand un couple de Tunisiens, fêtant le jour de l’an en Turquie, meurt dans un attentat terroriste, il a suscité la sympathie et l’indignation de tout le monde. Quand quatre valeureux soldats de la nation sont morts dans l’exercice de leur devoir, le moderniste n’a retenu que feu Socrate Cherni, «Allah yarhamou», les trois autres, très rapidement passés aux oubliettes, et puis les autres ils n’avaient qu’à s’appeler quelque chose comme Socrate, ou à avoir une sœur qui soit, un tant soit peu : Majdoline.
D’ailleurs, et c’est épatant, tous les officiels modernistes ont été aux funérailles du couple, et des soldats, mais aucun aux funérailles des frères bergers décapités par ces sanguinaires, ou symboliquement aux funérailles de la pauvre médecin enceinte à terme, morte pendant sa garde à Kairouan, car il n’y avait pas assez de médecin, et qu’elle a préféré ne pas abandonner ses patients, mais bon ça n’est pas assez chou, et ce n’est d’ailleurs même pas vendeur pour les médias modernistes.
Nous ne serons jamais tranquilles entre modernistes
Le moderniste n’est pas arabe, il est amazigh, romain, carthaginois, un tantinet andalous, français par adoption, mais pas du tout arabe, malgré que ces débiles d’Occidentaux continuent à le répertorier comme tel. Mais il parle arabe le moderniste me diriez-vous? Négatif, le moderniste parle «le tunisien», il y a même un moderniste qui a développé cette théorie, et qui disait que la langue tunisienne est identifiable, individualisable, parmi toutes les langues, et il a cité des exemples de mots qui ne se disent que dans la langue tunisienne, manque de pot, tous ce qui fait cette spécificité linguistique tunisienne n’est parlé ni dans le sud-est, où le dialecte est proche du libyen, ni dans le sud et nord-ouest, ou le dialecte est proche de l’algérien, et donc à moins d’annexer toutes ces régions respectivement à la Libye, et à l’Algérie, nous ne serons jamais tranquilles entre modernistes.
Les mauvaises langues diraient que le moderniste n’est pas fier de sa culture, et se tue à s’en trouver une, qui le rattacherait, autant que faire se peut, à l’autre rive de la Méditerranée, pas du tout, le moderniste est juste très superficiel.
Le moderniste est ouvert sur son monde, et dénonce les injustices, il est rapidement voire immédiatement Charlie, mais il est moins Rohingyas, et encore moins Christchurch. Son humanisme est très sélectif le moderniste.
Finalement c’est ça un moderniste, et il faut l’accepter comme il est. Et si vous vous embarquez avec lui dans des discussions politico-économico-socio-culturelles, il est vivement conseillé d’appliquer sa logique à lui et de se référer à ses normes, sinon vous êtes au mieux salafiste ou trotskiste, et au pire bête, débile et méchant.
En ce qui me concerne, je crois que je suis un peu les trois. Alors si vous osez vous référer aux normes et à la logique universelle, le moderniste a atteint son point Godwin en cinq seconde, et son discours tiendrait plus du délire que d’un commun échange.
Un charmant personnage, qui connaît tout mieux que tout le monde
Donc le moderniste, est un charmant personnage, qui connaît tout mieux que tout le monde, sympathique, humain, logique, sensible, avec un QI supérieur à 160, mais selon les références modernistes. Car si on s’amuse à lui appliquer les normes universelles, ho ho ça ne volera pas très haut, c’est même au ras des pâquerettes.
Le moderniste me fait l’effet de Philaminte et Bélise dans ‘‘Les femmes savantes’’ de Molière. Pour ceux qui n’ont pas la patience de lire Molière, ces deux femmes sont sous l’influence de Trissotin, un charlatan philosophe, qui écrit des vers à la con, et elles, sont tellement possédées par ce qu’il débite comme sottises, qu’elles s’enivrent, à la lecture d’un vers qui dit : «Quoi qu’on dise, quoi qu’on dise».
Trissotin lui est un peu la culture occidentale pour le moderniste. Chrysale, le frère de Bélise, alias la moderniste, excédé, lui dit alors : «Le moindre solécisme en parlant vous irrite, mais vous en faites, vous, d’étranges en conduite. Je vous le dis, ma sœur, tout ce train-là me blesse. Car c’est, comme j’ai dit, à vous que je m’adresse».
Et ça, ça exprime fidèlement ce que j’ai envie de dire à mes amis modernistes.
* Chirurgien dans le privé à Gafsa.
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