Le 3e et dernier débat télévisé pour les législatives a eu lieu comme prévu, hier soir, mercredi 2 octobre 2019, soit 4 jours avant le jour J des élections législatives dimanche prochain, 6 octobre. Mais, quoiqu’on en pense, les citoyens sont restés sur leur faim, convaincus que la majorité des candidats aux élections législatives sont loin d’avoir la fibre de «hommes d’État», ayant le sens de l’action collective, connaissant les enjeux et maîtrisant les méandres de l’économie, du bien public financé par les taxes des contribuables.
Par Moktar Lamari, Samir Trabelsi et Najah Attig
À se demander si cet exercice médiatique mené en grande pompe, dans le cadre de ces législatives, ne s’est pas avéré comme un simple «écran de fumée» qui masque plein de «fumisteries».
Neuf formations politiques ont été représentées par autant d’hommes, et zéro femme ! Trois heures durant, ces candidats aux élections parlementaires ont eu le temps suffisant pour présenter leur programme socio-économique et identifier les priorités devant sortir l’économie tunisienne du marasme qui la plombe depuis l’avènement de la révolution et la mise en place du processus de transition démocratique. C’est pourquoi, en criant que la prochaine législature risque d’être plus infestée par les incompétents et par les corrompus que celle qui vient de s’achever.
Le populisme dans tous ses états
Pourquoi? Encore une fois, la majorité des candidats présents sur le plateau se cherchent un emploi, et pas le moindre, celui d’un député avec tous les privilèges qui incombent à ces «élites» politiques, dont l’image sociale s’est détériorée grandement durant les dernières années. Et pour arriver à leur fin, on en a vu de toutes les couleurs : accuser l’État de tous les maux, responsabiliser des forces étrangères de toutes les misères, piétiner les valeurs éthiques et porter atteinte aux institutions, dont L’État.
Ces candidats n’ont dans leur majorité pas su parler des vrais enjeux et problématiques associés au manque d’investissement, au recul de la productivité, à la dévalorisation de l’inventivité et de la créativité au sein des élites et des acteurs économiques tunisiens, neuf ans après l’avènement de la transition démocratique.
Par exemple, les propositions et mesures suggérées en matière de renforcement de la santé publique prônent toutes la gratuité totale des services, sans discrimination et sans cotisation. Un non-sens total, un tel objectif grugerait plus de 70% des budgets de l’État. Un candidat est allé jusqu’à prôner l’abolition des cartes et carnets de santé, arguant que l’accès aux soins de santé n’a pas besoin de paperasses bureaucratiques.
La plupart des candidats aux élections législatives présents dans ce débat mettent l’accent sur le droit constitutionnel aux services de santé, sans dire un mot sur comment financer ce droit, qui payera les coûts, passant sous silence les comportements irresponsables et négligences observés chez un grand nombre de fonctionnaires employés dans le secteur de la santé.
Motus et bouche cousue sur les délinquances répétées d’infirmiers mal rémunérés, peu formés et qui se vengent en dérobant les médicaments pour les commercialiser dans le marché parallèle. Rien non plus sur la mal-gouvernance du secteur et de la corruption ravageuse dans les hôpitaux et les services d’urgence. Rien n’est dit non plus sur les risques de santé encourus par des citoyens, notamment ceux et celles qui fument deux paquets cigarettes par jour ou abusent de la consommation du cannabis, ou évitent l’hygiène publique… et qui veulent se faire soigner gratuitement aux frais d’une minorité qui paie ses taxes honnêtement et régulièrement.
Le débat et les échanges ne disent rien sur les coûts actuels de la santé, leur proportion dans le budget de l’État, et en bons populistes, les candidats ne disent pas où couper et comment trouver la marge budgétaire pour financer leurs propositions en matière de santé.
Les mêmes bévues ont été constatées quand les journalistes ont posé des questions sur les enjeux de la restructuration des entreprises publiques et sociétés d’État. Les candidats sont incapables de distinguer entre les missions de l’État et les missions du secteur privé, et entre le bien public et le bien privé.
On déplore aussi les insuffisances pathétiques dans le raisonnement quand il est question de savoir comment relancer l’investissement privé et comment attirer les investisseurs internationaux.
Ennahdha s’en lave les mains
Le représentant d’Ennahdha (Ameur Larayedh), parti quasiment omniprésent, avec un grand nombre de ministres et députés dans les divers gouvernements et parlements depuis janvier 2012, fait comme si les enjeux économiques qui plombent le bien-être collectif (santé, éducation, pauvreté, etc.) et la croissance économique (inflation, corruption, évasion fiscale, etc.) sont des phénomènes nouveaux et son parti a conçu des programmes et plans pour les contrer illico presto, si lui et ses «frères» étaient élus.
Un culot inégalable! Le même candidat nahdaoui ose dire que la Tunisie a besoin de stabilité gouvernementale et une telle stabilité impose un vote majoritaire pour renforcer les pouvoirs législatifs du parti religieux au sein du prochain parlement. Ce nahdaoui ajoute qu’une fois élu majoritairement, son parti envisage de distribuer les terres collectives au profit des jeunes au chômage et de faire du Sud tunisien un moteur de développement et de progrès pour la Tunisie.
Appâter les Tunisiens et les trahir ensuite fait partie de la stratégie défendue par ce représentant d’Ennahdha, un parti qui assume une grande responsabilité dans la débâcle économique actuelle.
Alternant la démagogie et distribuant les inchallahs à volonté, le représentant du parti Ennahdha est réfractaire à l’évaluation rétrospective et reste incapable d’avouer la moindre responsabilité de son parti religieux dans le marasme économique et le désenchantement ambiant.
Et il n’est pas le seul à jouer le saint-ni touche, deux autres députés sortants sur le plateau (Hassouna Nasfi de Machrou Tounes et Mohamed Hamdi d’Attayar) ont évité de traiter du bilan du parlement sortant, allant jusqu’à insulter l’intelligence et le bon sens du citoyen moyen.
Choquant comme attitude! Tous ces trois députés en exercice ont tendance à éviter de joindre le geste à la parole. Une attitude qui favorise la rhétorique creuse et évite de parler des comportements et de la réalité (Walk the Talk, vs Talk the Walk).
En guise de conclusion, on ne peut que s’inquiéter pour l’avenir de la démocratie tunisienne. On déplore que l’inculture économique sévissant au sein des 15.500 candidats aux législatives et on ne peut que dénoncer leur velléité à tromper le citoyen par des mirages, des promesses irréalistes et des politiques qui ont fait la preuve de leur échec dans le passé, en Tunisie et dans le monde.
Ils sont plutôt nombreux ces candidats profanant l’économie et qui sont peu formés en analyse et évaluation des politiques publiques, et n’ayant aucun programme économique qui tient la route, qui les distinguent et qui les tient à cœur.
Quasiment tous les candidats ont choisi de ne pas utiliser des quantums budgétaires et économiques. Faute d’arguments et de préparation sérieuse, tous les candidats ont délibérément choisi l’improvisation et une démarche qui répète en boucle qu’il faut «combattre la corruption», «préserver les entreprises publiques», «améliorer la gouvernance», «réduire les inégalités entre les régions», «renoncer aux accords avec le FMI».
Ce 3e débat, comme ses deux précédents, a dévoilé chez les candidats un populisme inquiétant qui vient s’ajouter à une inculture économique, pour mettre en péril la survie de la jeune démocratie tunisienne, une démocratie avide de prospérité économique et en quête d’un meilleur bien-être collectif.
Parions que l’électeur tunisien va se doter de suffisamment de clairvoyance pour éviter les pièges et élargir son implacable «dégagisme» aux candidats et intrus qui n’apportent pas de valeur ajoutée positive au pays, à ses citoyens et à ses communautés dans toutes les régions et contrées de la Tunisie profonde.
* Universitaires au Canada.
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