La situation économique en Tunisie est grave et ne peut être occultée davantage par les candidats et partis en lice aux législatives prévues demain, dimanche 6 octobre 2019. Et pour cause, si rien ne change, le pays risque de basculer définitivement dans l’inconnu, revenir à la case du départ : celle des «années de braises», avec ses tensions multiples, soulèvements violents et autres périls terroristes.
Par Moktar Lamari, Samir Trabelsi et Najah Attig *
Oui, les nuages s’accumulent et le tonnerre gronde dans le ciel obscurci de la jeune démocratie tunisienne. On craint les tempêtes et les tornades qui se pointent à l’horizon.
Pour changer la donne et inverser la vapeur, les électeurs doivent voter en masse et en connaissance de cause; pour choisir les députés les plus intègres, les plus qualifiés et plus indiqués pour les défis et enjeux économiques du pays.
Le marasme économique a assez duré !
Le marasme économique constitue la principale urgence. Un tel marasme requiert des députés aguerris, des représentants honnêtes et ayant suffisamment de connaissances des enjeux économiques. Des députés capables de travailler fort pour endiguer la déroute des processus et politiques visant la création de la richesse économique.
Au-delà de leurs allégeances et postures idéologiques, ceux qui méritent de siéger sous la coupole du Parlement doivent être capables de proposer des réformes douloureuses, prendre des décisions inhabituelles et introduire des ajustements politiques et budgétaires pour faire repartir la croissance du PIB, redresser le pouvoir d’achat, étouffer la corruption, infléchir l’endettement et réhabiliter le dinar face aux devises internationales.
Le danger encouru actuellement par la démocratie tunisienne a trait principalement au manque de compétences et à un déficit de courage de ses élites au sujet des enjeux et réformes économiques. Ces mêmes enjeux qui continuent de générer la pauvreté, cultivant le désenchantement et alimentant le désespoir.
Quasiment tous les indicateurs économiques et budgétaires sont au rouge, et cela doit changer. Pas n’importe comment et pas par n’importe qui!
Cela se fera par un vote intelligent animé par une objectivité et une lucidité totale de l’électeur. Les citoyens ont hâte de sortir l’économie de la trajectoire du désespoir et d’une misère humiliante. Et, le 6 octobre, ils ont la possibilité de choisir parmi les 15.500 candidats à la députation ceux et celles qui ont présenté des programmes des projets ayant une portée économique crédible et disposant d’une capacité évidente pour relancer la création de la richesse, pas seulement en régions éloignées, mais aussi dans les grandes villes de plus en plus précarisées par la dégradation des conditions de vie.
Les partis politiques ayant gouverné le pays depuis 2012 doivent assumer leur responsabilité, et les électeurs ne doivent pas se faire berner encore et encore, par les mêmes discours trompeurs et les promesses illusoires ! Un vote conséquent et démocratique doit sanctionner les incompétences et doit favoriser le changement dans les formations politiques, dans les élites du pouvoir, dans les approches et dans les programmes économiques qui doivent administrer l’économie durant les cinq prochaines années.
Assez de politiques politiciennes !
Durant les 8 dernières années, la Tunisie s’est jetée corps et âme dans une démocratie maladivement politisée. Une démocratie qui sacrifie au grand jour l’économique au profit des luttes pour le pouvoir entre des factions et partis politiques peu outillés et peu conscientisés de l’importance du pouvoir d’achat dans la vie de tous les jours.
En somme et sauf exception, les candidats aux législatives ayant gouverné au somment de l’État (ministres, secrétaires d’État, députés, etc.), durant les 8 dernières années ne méritent pas d’être réélus, et ils doivent laisser la place à ceux qui peuvent changer les choses, assumer un meilleur leadership et réhabiliter le travail et la productivité.
Mais, le piège est connu et se nourrit par la naïveté des électeurs, voire même de leurs courtes mémoires et aliénations par des discours idéologisés, voire fanatisés. Et nous l’avons vu lors des débats politiques pour les élections législatives en cours, les candidats ne donnent pas l’impression qu’ils (eux et leur parti) aient entre les mains un programme économique et une vision stratégique propre pour contrer une dette étouffante, rétablir les équilibres budgétaires, favoriser l’investissement et honorer les promesses économiques de la Révolution du Jasmin.
En matière d’économie, la majorité des 15.500 candidats pour la députation parlementaire brassent du vent, promettent monts et merveilles, sans dire comment financer leurs promesses, comment rétablir les équilibres des finances publiques, comment créer de l’emploi (dans le secteur privé) et comment éviter la déroute de l’État. Le pays finance de plus en plus son budget par la dette et par la quête de prêts et dons auprès les bailleurs de fonds internationaux, le FMI en tête.
Pas difficile de voir, qu’un grand nombre de ces candidats à la députation fait miroiter des mirages et jouent aux apprentis sorciers avides de postes politiques leur procurant un salaire inespéré, des privilèges insensés et surtout une immunité qui les protègent contre des ardoises et autres casseroles que certains trainent depuis belle lurette.
Voter pour la bonne gouvernance
Le vote de demain est crucial pour la viabilité de la démocratie tunisienne, seule survivante du Printemps arabe. Ce vote doit éviter de reproduire les erreurs du passé en mettant le gouvernail du pays entre les mains tremblantes de profanes, d’incultes et d’illettrés en économie.
Gouverner, c’est plus que légiférer en meute politique, c’est plus que règlementer à tout va ! C’est autre chose que parader dans les officines du pouvoir pour imiter les vendeurs de tapis dans le souk de la médina.
Et pendant les cinq dernières années, on en a vu de toutes les couleurs au sein du parlement et au sein du gouvernement. Les 217 parlementaires de la précédente législature étaient majoritairement des absentéistes invétérés, ils étaient absents en moyenne 6 jours sur 10, alors qu’ils étaient payés plein tarif (15 fois le Smig). En grand nombre, ces élus ont trahi sans rougir leurs électeurs, parti et groupes parlementaires, ils ont plusieurs fois changé leur allégeance comme s’ils changeaient de chemise. Certains étaient impliqués dans des dossiers de corruption. Et malgré les preuves, ils ont échappé à la justice, grâce à une immunité désormais injustifiable dans le parlement tunisien.
Les électeurs doivent murir leur choix et éviter de voter pour des candidats ayant démontré leur défiance à l’éthique, affiché leur déni à l’intérêt public et surtout prouvé leur mépris aux valeurs ayant guidé la transition démocratique en Tunisie post-2011.
La corruption, l’évasion fiscale et l’abus des deniers publics rongent les milieux politiques tunisiens, et font des ravages dans les sphères et décideurs les plus influents au sein du parlement et du gouvernement. Ces pratiques et comportements de mal-gouvernance doivent cesser.
Le 6 octobre, les électeurs, quelles que soient leurs allégeances et partis, peuvent stopper la mal-gouvernance, dire halte à ces fléaux, en sanctionnant ceux qui se sont enrichis indument, durant la précédente législature, et ceux qui veulent faire autant pour la prochaine. Les électeurs peuvent changer le cours de l’histoire de la Tunisie démocratique, en mettant hors d’état de nuire les élites politiques capables de troquer leur honneur contre les privilèges et autres vénalités associées.
Le changement s’impose, et l’électeur doit par son vote mettre de l’ordre dans la gabegie politique en place : 217 partis, plus 1500 formations politiques, plus de 15500 candidats, pour sept millions d’électeurs inscrits.
En même temps, les députés qui seront élus le 6 octobre doivent se prêter à des formations intensives en économie et en gouvernance des politiques publiques, avant de commencer à légiférer à tout va, à tergiverser inutilement et à parader inefficacement aux frais des contribuables. L’inculture économique des élites politiques en Tunisie fait honte à la révolution du Jasmin. Et elle menace la survie de la transition démocratique.
* Universitaires au Canada.
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