Qui est Ari Ben-Menashe, le dirigeant de Dickens and Madson, la boîte de lobbying avec laquelle Nabil Karoui aurait conclu un contrat pour lui faciliter l’accession au palais de Carthage ? Retour, dans cet article, sur quelques épisodes scandaleux ayant caractérisé les affaires de ce personnage énigmatique.
Par Cherif Ben Younès
Mercredi dernier, 2 octobre 2019, les Tunisiens ont passé une soirée « virtuellement mouvementée« , sur les réseaux sociaux. Et pour cause, la découverte de contrats de lobbying, à une échelle internationale, publiés sur le site officiel du ministère de la Justice américain, mettant en doute l’intégrité de 3 parties politiques tunisiennes : Ennahdha, Nabil Karoui et Olfa Tarres, et surtout la légitimité de leurs candidatures respectives aux élections.
Un contrat extravagant avec le représentant de Nabil Karoui
Le contrat qui concerne Nabil Karoui a particulièrement créé la polémique, et ce pour deux raisons : la première est son prix monumental. On parle en effet de 1 million de dollars US, soit près de 3 millions de dinars tunisiens (MDT). Un montant qui dépasse largement le seuil du financement fixé par la loi (1 million de dinars), ce qui pourrait être considéré comme un crime électoral, en cas d’authentification de ces contrats par les autorités judiciaires tunisiennes, risquant, donc, de faire chuter la candidature de M. Karoui à la présidentielle, ainsi que celles de ses listes aux législatives.
Une réputation loin d’être intacte
La deuxième raison est le nom du dirigeant de Dickens and Madson, la boîte de lobbying avec laquelle Nabil Karoui aurait conclu ce contrat, à savoir Ari Ben-Menashe. Un personnage, pour le moins, controversé…
Courtier en armement international ? Agent secret en Israël ? Ou un vrai mythomane et arnaqueur ? La réputation d’Ari Ben-Menashe est loin d’être intacte dans le paysage politique et économique international, y compris au Canada, là où il habite, puisque les banques y refusent tout simplement de toucher à sa fortune !
Maintes fois discrédité, Ari Ben-Menashe continue pourtant à signer de juteux contrats avec de nombreux hommes d’affaires et politiciens africains, essentiellement des dictateurs ou des projets de dictateurs, qui acceptent de payer plusieurs centaines de milliers de dollars, dans l’espoir de redorer leur image sur la scène nationale et internationale.
Le dernier en date est probablement Nabil Karoui. Même si sa troupe refuse toujours d’admettre qu’il a un quelconque lien avec cette affaire, s’appuyant sur un léger alibi : le fait que le contrat en question a été signé par un certain Mohamed Bouderbala, qui, jusque là, demeure une personne inconnue. Ou cachée.
Ari Ben-Menashe n’a pas rendu tous ses clients heureux
Mais bien avant cette affaire, Ari Ben-Menashe a fait des victimes… et c’est le moins que l’on puisse dire…
L’une d’elles se nommait Arthur Porter, ancien directeur général du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), situé à Montréal (Canada). Le médecin et entrepreneur d’origine sierra-léonaise avait perdu son poste au CUSM lorsque ses relations avec M. Ben-Menashe eurent été dévoilés par le journal canadien, « National Post », en 2011. Depuis, le docteur est tombé en disgrâce : soupçonné de corruption, il s’est enfui dans les Caraïbes, avant de se faire arrêter en 2013, à l’aéroport de Panama, là où il a été emprisonné, jusqu’à sa mort deux années plus tard.
Morgan Tsvangirai, le rival politique de l’ancien président zimbabwéen Robert Mugabe, a, lui aussi, payé cher le prix de sa rencontre avec le lobbyiste israélien.
En décembre 2001, il est tombé dans le piège que lui avait tendu Ben-Menashe lorsqu’il l’avait invité à Montréal. Ce dernier a, en effet, enregistré leur conversation à son insu, pour ensuite l’expédier au Zimbabwe, clamant que M. Tsvangirai avait requis ses services pour assassiner le président Mugabe. Accusé de complot et de trahison, l’opposant politique a été arrêté sur-le-champ.
En effet, le président dictateur de l’époque, Mugabe, était lui-même l’un des clients de l’Israélien.
En Israël, était-il un simple traducteur ou un agent de haut vol ?
Mais qui est donc Ari Ben-Menashe ?
Né à Téhéran (Iran), dans une famille juive irakienne, il a émigré en Israël à l’adolescence. Là où il a été embauché comme traducteur dans les services de renseignement, si on en croit la version officielle israélienne.
M. Ben-Menashe prétend, quant à lui, notamment dans ses mémoires, « Profits of War : Inside the Secret US-Israeli Arms Network« , publiés en 1992, qu’il a été agent de grande envergure, conseiller spécial du premier ministre Yitzhak Shamir et témoin d’intrigues dignes des films d’espionnage hollywoodiens.
Olivier Damiron, qui a travaillé pour Ben-Menashe chez Carlington Sales, une entreprise d’exportation de céréales, n’y croit pas un mot. «Il s’est inventé un personnage pour s’introduire auprès des gens. Il remet un exemplaire dédicacé de son livre aux hommes d’État qu’il rencontre. Ça les impressionne», a-t-il déclaré au journal canadien « La Presse », en 2012.
Cette firme existait il y a plus de 15 ans, lorsque Ari Ben-Menashe était l’associé d’Alexander Legault, fraudeur américain qui a échappé à la justice de son pays pendant de longues années en se terrant à Montréal.
Un mythomane, escroc ?
M. Damiron est convaincu que son ancien patron «n’a jamais livré seul un grain de blé de sa vie». La ruse, a-t-il expliqué, consistait à cibler des pays du tiers-monde et à exiger des acomptes substantiels pour des livraisons qui ne se concrétisaient jamais.
«Quand les clients appelaient pour demander où était leur blé, il répondait que la livraison était en route, quelque part sur un bateau, histoire de gagner du temps. Au bout d’un moment, le client comprenait qu’il s’était fait avoir», raconta M. Damiron au journal canadien.
«Un jour, Ari m’a même demandé d’acheter du riz dans un dépanneur de la rue Sainte-Catherine, de le mettre dans un Ziploc et de l’expédier au client en lui faisant croire que c’était un échantillon!». C’est ainsi que le probable partenaire de M. Karoui vola des millions de dollars à des petits pays qui crevaient de faim.
Carlington Sales a, par la suite, déclaré faillite, après avoir été poursuivie par une dizaine de clients.
Même les journalistes n’y échappent pas
Ari Ben-Menashe n’ pas porté préjudice aux politiciens et entrepreneurs uniquement. Plusieurs journalistes – dont le Prix Pulitzer, Seymour Hersh – ont été déplumés après lui avoir fait confiance.
L’épisode qui a le plus fait couler de l’encre est probablement celui de la «surprise d’octobre», qui a eu lieu lors de la campagne présidentielle américaine de 1980, lorsque l’équipe de Ronald Reagan avait comploté avec les Iraniens pour retarder la libération de 52 otages américains après les élections, afin d’assurer la défaite de Jimmy Carter.
M. Ben-Menashe n’était autre que la source du journaliste Craig Unter, le premier à diffuser cette histoire. Deux enquêtes du Congrès avaient ensuite conclu que la théorie était fausse. Attaqué de toutes parts, M. Unter a rédigé par la suite un article intitulé «The Trouble with Ari» pour se défendre et mettre en garde contre son informateur…
«Son analyse astucieuse et ses révélations ahurissantes peuvent remuer même le plus blasé des vieux routiers du Proche-Orient. Mais faites-lui confiance à vos propres risques… Écoutez-le, faites-lui confiance, publiez son histoire mot pour mot – puis asseyez-vous et regardez votre carrière s’écrouler», a-t-il notamment écrit.
Les banques canadiennes refusent de toucher à son argent
Les grandes banques canadiennes considèrent, pour leur part, la fortune de Ben-Menashe comme assez louche pour refuser d’y toucher. En novembre 2011, le lobbyiste s’est adressé à la Cour supérieure du Canada pour empêcher la Banque canadienne impériale de commerce (CIBC) de fermer ses comptes.
Il a soutenu qu’il ne savait plus où placer son argent parce qu’il avait été «repoussé par toutes les banques majeures du Canada», prétendant faire partie d’une liste de surveillance secrète de «personnes politiquement exposées» dans le monde.
Aujourd’hui, il est censé faire de Nabil Karoui, le président de la république
Rappelons que selon les termes du contrat signé entre Mohamed Bouderbala et la boîte de lobbying Dickens and Madson, cette dernière doit influencer des cercles de pouvoir américains, russes et européens, ainsi que d’autres puissances et organisations, en vue de soutenir Nabil Karoui aux élections, de lui organiser des réunions avec Donald Trump et Vladimir Poutine, présidents des Etats-Unis et de Russie, et de collecter des ressources matérielles pour appuyer sa campagne et faciliter, ainsi, l’accession du candidat de Qalb Tounes à la présidence de la République Tunisienne.
Le deuxième tour de la présidentielle anticipée aura lieu dimanche prochain, 13 octobre 2019, et opposera Nabil Karoui, actuellement en détention préventive pour des affaires de corruption financière, au candidat indépendant, à Kaïs Saïed, le présumé corrompu et le présumé incorruptible, un western couscous.
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