Affirmer que Tunisie et Italie se rapprochent n’étonnera pas grand monde au final. Nonobstant cette évidence, il est étonnant de redécouvrir ces occurrences par le biais de manifestations cette fois-ci de type électoral en ce dernier trimestre de l’année civile 2019. Les remaniements politiques sont à l’ordre du jour dans les deux nations voisines géographiquement.
Par Jean-Guillaume Lozato
Le verdict des urnes tunisiennes nous livrera moult sujets à débattre. Comme ces derniers mois chez les voisins italiens.
Tunisie et Italie suscitent bien des interrogations en ce moment. La nation du milieu de l’Afrique du Nord n’en finit pas d’effectuer son apprentissage de la démocratie après plusieurs décennies de vie politique orientée, prévisible puisqu’unipolaire.
Le processus historique
Les deux pays ont autant différé qu’adopté des similitudes au cours du temps. Une religion d’état différente, une langue aux origines diverses. Mais lorsque l’on réalise grosso modo la liste des conflits entre les deux territoires, la liste ne se révèle pas vraiment pléthorique. Le seul événement majeur de grande ampleur serait… les Guerres Puniques et leur sentence du «Carthago delenda est». C’est-à-dire un épisode datant de l’Antiquité, frise chronologique sur laquelle ni la Tunisie ni l’Italie n’avaient une existence officielle identique à celle que nous connaissons aujourd’hui.
Par la suite, une succession d’interférences au fil des siècles, d’entrecroisements principalement par la voie du commerce maritime. Plus de points convergents que divergents. Mais qu’en était-il au niveau strictement national?
Les conditions de gouvernance
C’est là que les situations respectives se rejoignent presque harmonieusement pour qui prend le temps d’observer finement. Des expérimentations, des tâtonnements quelquefois concernant l’uniformité de la gouvernance territoriale. Pendant plusieurs siècles. Le califat, le sultanat hafside puis le système beylical ont façonné la Tunisie avant l’avènement présidentiel post-colonial.
En Italie, les républiques et les petits royaumes se sont juxtaposés. Jusqu’à l’Unité et le duel entre Royaume et République.
Les deux territoires ont en commun un autre aspect: le vacillement de leur épicentre administratif. Ainsi Tunis s’est substituée à Kairouan. Et I’Italie a eu quatre capitales différentes (Rome bien sûr, mais aussi Turin, Florence et la petite localité sicilienne de Salemi). Socles instables et socles fragiles en perspective. Par effet de capillarité, les institutions entières ont été atteintes de paralysie en confondant inertie et stabilité.
Vers quels débouchés? De l’indécision à l’abstention?
Tamisage? Éclairage intermittent? Avec quel type de luminosité pourrons-nous observer la situation politique au pays de Bourguiba? Cette projection en pointillé reflète l’indécision de l’électorat tunisien actuel, avec le danger de le pousser vers l’abstention quasi générale.
Un excès d’approximation pourrait détourner les électeurs de leurs droits civiques tout en faussant les pseudos bonnes volontés des politiciens.
Le Monde Arabe demeure en rodage sur cet aspect précis des choses. Les cartes du jeu politique sont potentiellement soumises à de violentes bourrasques après des soubresauts énonciateurs.
Ce qui s’est passé en Italie avec la relégation du centre-gauche et du centre-droit berlusconien s’est reproduit avec l’effritement de Nidaa Tounes. La star médiatique Beppe Grillo a imposé ses figures de style dans la péninsule et semble avoir trouvé son alter ego en la personne du propriétaire de Nessma Nabil Karoui. Avec en figure de proue une intéressante concomitante dans les deux pays: le déplacement du centre de gravité des idéologies. En attendant se joue un duel atypique Kais Saïed/Nabil Karoui. Un taiseux et un expressif. Un énigmatique et un volubile matérialisant le yin et le yang made in Tunisia. Cette bipolarité représente le climat social du pays, divisé, avec l’image d’un affairiste Nabil Karoui et un impassible Kaïs Saïed peut-être adoubé par Ennahdha auteur d’un bon score aux législatives. Ce qui n’est pas forcément un bon présage concernant ce dernier point. La thématique d’inspiration religieuse n’a pas toujours conduit vers la sagesse. Elle a été dans certains cas le paravent dissimulant la malhonnêteté politicienne. Que ce soit en terre musulmane : l’exemple du PJD qui a déçu une partie de son électorat au Maroc. Que ce soit en terre chrétienne: le cas de la DC (Democrazia Cristiana) chez l’Italie toute proche.
Italie et Tunisie sont loin de connaître une situation économique des plus florissantes. Cette perte de vitesse continentale peut néanmoins se trouver freinée par le canal de l’international. Les deux pays traversent une crise institutionnelle marquée par la fragilité de la représentativité et la surexposition médiatique.
Ces deux puissances culturelles, touristiques doivent se rendre compte qu’un intéressant levier de croissance est en train de poindre à l’horizon. Il concerne l’épineux dossier du transit des migrants. Les deux contrées séparées par un bras de mer pourraient entrer en symbiose afin de constituer un arsenal géopolitique d’utilité publique pour endiguer le phénomène. Cette plaque tournante de la collaboration euro-africaine, la Tunisie peut l’incarner en tant qu’Etat superviseur. Au moyen d’un profil plus fiable et surtout aux codes plus compréhensibles que ce qui caractérise la Libye. L’Etat libyen à la fois monstre d’immobilisme et monstre d’instabilité marqué par la suffisance qui caractérise bien des Etats pétroliers et dont le dossier du Fezzan n’est pas là pour rassurer tout interlocuteur occidental…
Il incombe à la Tunisie de se ressaisir au plus vite en jouant les bonnes cartes. Le prochain pensionnaire du Palais de Carthage devra agir rapidement. Question de survie.
* Enseignant en langue et civilisation italiennes auprès de l’ENSG et de l’UPEMLV, auteur de recherches universitaires sur le football italien comme phénomène de société.
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