Trois œuvres représentent le cinéma tunisien parmi les 12 sélectionnées en compétition officielle des longs-métrages documentaires des Journées cinématographiques de Carthage (JCC 2019) : ‘‘A haunted past’’ de Fatma Riahi, ‘‘Fathallah TV’’ de Wided Zoghlemi et ‘‘Sur la transversale’’ de Sami Tlili.
Par Fawz Ben Ali
Aujourd’hui, mercredi 30 octobre, le Théâtre des régions à la Cité de la culture, accueillera la première projection de ‘‘Sur la transversale’’ du jeune documentariste Sami Tlili, qui fut d’abord présenté en avant-première la veille des JCC lors d’une séance spéciale pour les journalistes en présence de l’équipe du film.
Un devoir de mémoire
Après avoir signé 3 courts-métrages de fiction puis un premier long-métrage documentaire ‘‘Maudit soit le phosphate’’ (2012) sur la révolte du bassin minier de Gafsa en 2008, Sami Tlili revient 7 ans plus tard avec un beau projet documentaire à la fois personnel et historique, produit par Dora Bouchoucha.
Pour son deuxième documentaire, Sami Tlili, également directeur artistique du nouveau festival de cinéma Gabes Cinéma Fen, a décidé de remonter un peu plus loin dans l’histoire de la Tunisie.
On est à la fin des années 70, le pays est secoué par deux grands événements : la qualification de l’équipe nationale tunisienne au Mondial de 1978 en Argentine, et une crise aiguë et sans précédent entre le gouvernement de Hédi Nouira et l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), la puissante centrale syndicale dirigée par Habib Achour, ayant conduit à la grève générale du 26 janvier 1978, communément appelé «Jeudi noir», au cours de laquelle les émeutes se sont transformées en bain de sang.
L’idée du film est d’abord partie d’une motivation personnelle : une passion pour le football, puis d’une question que le cinéaste s’est souvent posée : pourquoi sa mère a toujours refusé de regarder les matchs de foot y compris ceux de l’équipe nationale à la Coupe du monde 1978 ?
Empreint d’une touche personnelle omniprésente, ‘‘Sur la transversale’’ s’adresse en même temps à la mémoire collective des Tunisiens. Sami Tlili nous ramène à une période qu’il n’a pas vécue mais qu’il a tout de même réussi à illustrer et analyser à travers les souvenirs de sa mère, ancienne militante syndicaliste, et surtout les nombreux témoignages de personnalités politiques, sportives et médiatiques, ainsi que de rares sources d’archives soigneusement collectées.
Le film tient sa force de l’originalité de son récit, construit autour de deux sujets complètement différents, à savoir la politique et le foot, mais qui semblent avancer parallèlement dans le scénario et qui finissent par se connecter sur de nombreuses pistes.
«L’épopée de l’Argentine» amortit la crise mais ne l’empêche pas
‘‘Sur la transversale’’ pose entre autres la question de l’archivage et de la préservation des documents rares et importants pour la mémoire du pays, notamment lorsque le cinéaste se trouve confronté à des supports fondamentaux inexistants ou perdus sur la participation de la Tunisie au Mondial de 78, premier pays arabe et africain à gagner un match dans la compétition.
Le jeune documentariste a dû faire un énorme travail de fouille et de collecte de donnée pour étoffer son film et nous raconter avec beaucoup de justesse et un soupçon d’humour comment ce qu’on a appelé «l’épopée de l’Argentine» a fait régner un semblant de paix sociale et d’union nationale à un moment où la Tunisie connaissait sa première crise politique et syndicale.
«Les prisonniers et les gardiens se réunissaient dans les cellules face au poste de télévision pour soutenir l’équipe nationale», se remémore l’écrivain et ancien prisonnier politique Fathi Ben Haj Yahia. Le foot a ainsi joué un rôle moratoire mais n’a pas réussi à empêcher la crise comme l’expliquent les différents protagonistes du film, comme la journaliste Souhayr Belhassen, l’écrivain Hichem Abdessamad, le syndicaliste et homme politique Taïeb Baccouche, l’écrivain et ancien prisonnier politique Gilbert Naccache, le joueur de football Khaled Guesmi, ou encore l’ancien président de la république feu Béji Caïd Essebsi (interrogé quelques mois avant sa disparition).
Le titre du film “Sur la transversale” fait référence au but manqué de Temime Lahzami lors du match qui a opposé la Tunisie à la Pologne et qui a empêché notre équipe nationale d’accéder au deuxième tour du Mondial de 78. Mais Sami Tlili nous parle aussi beaucoup de politique dans ce film qui dépeint cette année de tous les dangers, marquée par le désir de l’UGTT d’assurer son indépendance et d’échapper de la mainmise du gouvernement de Hédi Nouïra. Une époque qui avait annoncé le début de la fin du bourguibisme, mais qui rappelle surtout que la lutte pour la démocratie remonte à beaucoup plus loin que décembre 2010 en Tunisie.
‘‘Sur la transversale’’ sera projeté ce mercredi au Théâtre des régions (Cité de la culture, le jeudi au Ciné-théâtre Le Rio (centre-ville de Tunis) et le vendredi au Ciné-Madart (Carthage). Le film sortira dans les salles à partir du 3 novembre.
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