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Le poème du dimanche : « Poèmes pour Raoudha » et « Jamila dit » de Ahmed Ben Dhiab

Né à Tunis et vit à Paris depuis 1970, Ahmed Ben Dhiab est un artiste polyvalent, peintre, poète, metteur en scène, cinéaste, auteur, compositeur, chanteur. Il est aussi le directeur artistique du festival international Celebrazione, en Italie, depuis 1998.

Peintre restaurateur de la Grande Mosquée de Kairouan, en Tunisie, chanteur-vocaliste, il a une importante discographie consacrée à la poésie mystique arabe. Peintre, il a exposé en France, en Italie, aux Pays-Bas, au Mexique, au Brésil et aux États-Unis…

Il a aussi de nombreuses publications de livres de poésie, catalogues de peintures, livres d’art et livres d’artiste…

Ahmed Ben Dhiab mêle avec une rigoureuse élégance et maîtrise la peinture, le chant, la musique, la poésie et le spectacle vivant, célébrant l’art, la lumière et la vie. Les différentes facettes de son travail constituent une quête spirituelle à travers l’interdépendance des expressions, de l’imaginaire et de la pensée. Il revendique son appartenance première à une source qu’il désigne et vit comme sacrée, celle du soufisme, et qui détermine son art.

Parmi ses livres, citons «Chants tatoués», 1987, «Le Baliseur des Songes», 2007, «Fulgurances», 2011, «Lune andalouse», 2013, «Jamila dit», 2015, «Poèmes pour Raoudha», 2018.

Poèmes pour Raoudha (extraits)

1
En présence des illuminations d’Ibn Arabi
et des oiseaux d’Attâr
mon cœur est uni
vêtu des fleurs de l’Andalousie
je dévoile l’histoire du papillon de Raqqa
qui danse sa mort
et Jamila multiplie Raoudha
l’azur éternel de l’enfance
j’écris sans écrire la transe
le maqâm de l’infini cosmique

2
Un souffle parmi le souffle
un être dans le tout-être
octobre est le visage de ta clarté
ta pudeur ta nudité
épouser l’horizon vertical
la volupté et l’insatiable
pour réécrire la mémoire de l’oasis abandonnée
je nous vois dans les veines du désert
astres en fusion sur une terrasse de pierres et de vent
à la Goulette en présence de Jamila Raoudha et Souad
du feu dans chaque main
la main brûlante de tendresse
qui fait pleurer le jasmin et le safran
je nous vois dedans dehors
un secret dans le secret
je désire ce que tu désires
sœur de l’écho
qui éclaire le chemin bouleversé

Jamila dit (extraits)

3
Jamila dit :
j’appartiens à la grande histoire
à la mer des Phéniciens
arabe berbère africaine
méditerranéenne
je suis
la brise marine
la lampe dans chaque maison
les grenadiers
les oasis le calame
la colombe
les narcisses
les icônes verbales
l’encre du mystique
le sang sacrifié des innocents
et l’éden de l’Orient
El Quods
Samarkand
l’Andalousie
la Tunisie
tout d’azur vêtue
je me suis construite avec la foudre
les éclats de mon nom
la faim inexplorée
femme lune je suis
qui tète le lait du monde
l’amie qui dénoue l’inconnu

Jamila dit :
c’est à ma terre d’enfance
aux senteurs du laurier du romarin
de la menthe et du basilic
au malouf et au muwashshah
la poussière de mes rues
que je retourne
au ciel transparent mon initiale
aux étoiles et nuages
aux oliviers à la palmeraie
au blé au caroubier
au fleuve la mer le désert
au bras de l’aube
que je retourne libre
à ma terre des origines
délivrée de la pesanteur
au plus près de la mémoire
de la sainte lella Mannoubia
Aziza Othmana la bienfaitrice
et les chants de Saliha
que je retourne
dans la transe
la douceur de vos yeux
le lexique du désert
et l’âme de toutes les âmes

ô mes enfants
vous êtes mes soleils impatients
l’Orient originel
mon foie
le flux les pulsations
le chemin l’oeuvre
les questions sans réponse
ma biographie spirituelle
d’aujourd’hui et demain

4
Au-delà de l’immensité tragique
une étoile insomniaque agonise
et dans nos veines
le jour
les rêves des arbres
les exclus de l’aurore
se lavent
je retrouve
l’envers du poème
le lointain horizon
la voix de l’absence
les habits de l’enfance
les saisons d’exil et de l’insouciance
des anges infirmes
et une pluie de roses
la nuit le jour brûlent
dans les entrailles à Gaza
que dire à l’inconnue
la mère tatouée de deuils
au visage d’eau et de miel
pourquoi as-tu abandonné
ta douleur à la douleur
l’orange la maison
le poème à la solitude
le combat se fera dans les pâturages du rêve
sang du jasmin sur le corps de décembre
comment guérirais-je
sans la douceur des nuages
le sourire des pierres
les bénédictions de l’eau
une provision de tendresse et de caresses
pour scinder le poème
et le baiser fugace
j’ai la légitimité de nous inventer
musique dans la chair des mots

5
ô Bouazizi
Aujourd’hui c’est demain
double chant
de l’olivier
de l’alfa
du palmier
et du soleil fraternel
nous voici enceints d’un nouveau souffle
de mains fertiles
pour donner créer partager
les germinations le flux de nos rêves
nous sommes
la mer
la place les rues
l’horizon
la parole
le lait du poème
de Chebbi et de Darwich
ô frère du refus
le brûlé brûlant du réel
l’annonciateur de l’aube
nous retrouvons le jouir
la ferveur le désir de vivre
la transe les paradoxes et les autres
le bleu voyage de nos atomes
le goût du pain des mots

la lumière est enceinte de nous

ô Bouazizi
ton cri se multiplie
recoud la terre
brise le silence gelé en nous
et l’épure de nos manques
salvateur ton feu originel
corps poème
à l’ombre de Dieu
lèvres du sirocco
de la rue des mers et déserts
nous donne voix et ouvre le chemin
un autre commencement qui dit l’homme

ô Bouazizi
“Tu es né pour être libre comme l’ombre du
zéphyr
Libre comme lumière céleste dans le jour”.

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