Un mois et demi de tractations et consultations à n’en plus finir, de bas en plus bas, de bras de fer, de je-t’aime-moi-non-plus, de j’y-vais-je-n’y-vais-pas, d’annonces fixées et sans cesse reportées… pour qu’en fin de course le laborieux remue-ménage du chef de gouvernement désigné, Habib Jemli, débouchent sur une copie où il est impossible de trouver la justesse du choix…
Par Marwan Chahla
Et c’est cette liste truffée d’erreurs qui sera soumise demain, samedi 4 janvier 2020, au vote de confiance de la plénière de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), présidée par le chef du parti islamiste d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, qui obtiendra la bénédiction du nombre nécessaire de députés.
Les choses sont ainsi faites en Tunisie de la Constitution de 2014. Malgré les nombreuses réserves exprimées sur la désignation de Habib Jemli lui-même et les tours de passe-passe qui ont accompagné la formation de son équipe, il y aura assez de députés à l’ARP pour accorder leur aval à cette armée de plus d’une quarantaine de ministres et de secrétaires d’Etat… faite de bric et de broc et transpirant majoritairement l’appartenance nahdhaouie.
L’art de transformer un petit quart en une majorité
Le calcul est vite fait pour deviner l’issue de ce scrutin parlementaire: les députés d’Ennahdha et ceux de Qalb Tounes voteront comme un seul homme en faveur de ce gouvernement; les islamistes radicaux d’Al Karama –à moitié, aux trois-quarts ou plus– s’aligneront également; des «indépendants» ne sachant pas où donner de la tête se joindront à eux; des inexpérimentés leur emboîteront eux aussi le pas; en plus d’autres parlementaires qui traînent certaines casseroles et qui sont à la recherche d’une protection quinquennale jusqu’en 2024.
Donc, tout ce «beau» monde hétéroclite fera le nombre suffisant pour ce premier examen de passage parlementaire de l’équipe Habib Jemli. A Carthage, le constitutionnaliste chef de l’Etat Kaïs Saïed n’aura plus qu’à apposer le sceau de son approbation et, orthodoxe et puriste comme il est, il ne fera qu’appliquer son slogan électoral de la volonté populaire (‘‘Achaabou yourid’’).
Il ne pouvait en être autrement. Avec ses 52 ou 54 députés nahdhaouis, le gourou de Montplaisir peut toujours exercer sa magie de transformer ce petit quart des représentants du peuple en une majorité pour composer un gouvernement, l’imposer à un président de la République aux pouvoirs limités et donc de gouverner.
Contre la volonté d’une opposition que l’on qualifie de «gonflée à bloc», «féroce» et «qui attend au tournant», les choses se passeront comme le souhaitera Ennahdha, c’est-à-dire de mal en pis. Le chaos sera total et le sauvetage du pays… devra sans doute attendre encore.
Les incompétences flagrantes d’un improbable chef de gouvernement
Les quelques compétences que comprend ce gouvernement Jemli n’arriveront pas à se faire entendre, ni à compenser les incompétences flagrantes de leurs chef et coéquipiers.
Cela durera ce que ça durera. Cela dure déjà depuis neuf ans et pourrait durer encore plus, jusqu’au jour où l’on réalisera que tout ce jeu auquel nous avons joué depuis le 14 janvier 2011 est vicié, «jusqu’à la moelle» depuis le jour où, en octobre 2011, le peuple a donné le pouvoir aux Frères musulmans parce que ce sont «des personnes qui craignent Dieu», qu’il a cru naïvement au projet fédérateur de Nidaa Tounes pour faire un front progressiste contre l’invasion islamiste… et qu’il a décidé, en 2019, de faire table rase et de rejeter tout le monde de l’establishment sans faire de détail. Pour se retrouver, aujourd’hui, à la case départ, avec un Ennahdha dominateur et détenteur de toutes les cartes du pouvoir et ne laissant à l’opposition que l’illusion que les Attayar, Echaab, Tahia Tounes et autres formations minimes feront le poids contre les sorciers de Montplaisir.
Dansons, maintenant, car le peuple l’a voulu.
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