À la salve de missiles iraniens, Donald Trump a répondu par une main tendue pour une paix durable dans la région. Un double coup de «pub» de la part de deux ennemis redoutables qui laisse perplexe : pause ou clap de fin d’un affrontement qui n’a que trop duré ?
Par Hassen Zenati
Pendant une poignée de secondes, le monde a retenu son souffle en suivant Donald Trump, nimbé de lumière, s’avancer le pas assuré pour franchir le seuil d’une galerie de la Maison Blanche et s’installer au milieu d’une brochette de généraux en tenue de parade, l’avant bras orné de plusieurs rangées de galons dorés. D’habitude pointilleux et si exact à ses rendez-vous d’affaires, il avait une demi heure de retard sur l’horaire annoncé d’une conférence de presse au cours de laquelle il devait faire état de l’évaluation de la situation et donner sa réponse à la salve de 22 missiles lancée dans la nuit par l’Iran contre deux casernes américaines en Irak, en représailles à l’assassinat du N°2 du régime islamique, le général Qassem Soleimane, chef des unités d’élite Al-Qods, par un drone américain près de Bagdad. Pause ou clap de fin ?
Plus tôt dans la matinée, dans un tweet présidentiel, il s’était contenté de commenter les deux opérations iraniennes par un laconique : «so far, so good» (jusqu’ici tout va bien), promettant de donner plus de détails dans l’après-midi après avoir évalué la situation et en avoir discuté avec ses généraux.
Alors qu’il s’avançait vers le pupitre dressé entre deux colonnes en marbre précieux de la galerie, les reporters s’échinaient à décrypter la mise en scène digne de Hollywood de cette apparition à pas lents, triomphale, en majesté, inhabituelle. Que pouvait-il donc cacher sous sa tignasse rousse, dont la couleur et le peignage sophistiqués ont fait la joie des commentateurs ?
D’emblée, Trump s’est félicité en quelques mots qu’aucun soldat américain n’ait été atteint – alors que les Iraniens annonçaient un très lourd bilan de 80 morts – et que les dégâts occasionnées aux installations étaient limités. Pour ajouter aussitôt, premier avertissement sans transition et sans frais pour l’instant, à des adversaires coriaces : «Tant que je serai président des Etats-Unis, l’Iran n’aura jamais la bombe atomique».
Voilà Téhéran averti, alors que les informations se succèdent sur sa décision d’élever progressivement son niveau de production d’uranium enrichi en faisant tourner plus de centrifugeuses, jusqu’à atteindre le niveau fatidique pour la fabrication d’une arme atomique, qui lui est interdit par l’accord sur la non-prolifération nucléaire.
Pour Trump, si les Américains, qui étaient prêts à tout, n’ont pas eu de morts à déplorer dans leurs rangs, c’est grâce à leurs moyens de détection sophistiqués qui leur ont permis de voir venir les missiles iraniens et leur technique de dispersion rapide des forces qui ont permis à celles-ci de se mettre instantanément à l’abri.
Les experts diplomatiques et militaires privilégient pour leur part une autre explication. Les Iraniens auraient, selon eux, sous-calibré les charges de leurs missiles et auraient prévenu à l’avance leurs alliés irakiens, qui se sont chargés, à leur demande, d’en avertir aussitôt les Américains, pour qu’ils prennent les précautions nécessaires. Car pour Téhéran, ce qui importait en premier lieu n’était pas de faire des victimes et de nourrir le cycle des représailles, mais d’adresser un coup de semonce à son ennemi, le Grand Satan, tout en satisfaisant l’instinct de vengeance de la rue, qui s’est vigoureusement exprimé lors des funérailles du général Soleimani.
Au coup de «pub» iranien, Trump a répondu par un coup de «pub» identique, appelant à la désescalade, allant jusqu’à rassurer les dirigeants iraniens qu’il est prêt à parler paix avec eux «s’ils le veulent», en annonçant en même temps un renforcement des sanctions économiques, qui ne seront levées, a-t-il précisé, que lorsque l’Iran aura renoncé à l’arme nucléaire et cessé de soutenir le terrorisme. Chacun s’est alors souvenu qu’il avait écrit il y a trente ans un manuel de management pour jeunes hommes d’affaires: ‘‘The art of the deal’’, dans lequel il leur conseillait de «frapper puis de négocier».
Fidèle à sa méthode, Trump alterne ainsi le miliaire, le diplomatique et l’économique. Il sait que ses alliés européens ne peuvent que le suivre étant eux-mêmes soumis à la loi d’airain d’exterritorialité du droit américain, leur faisant obligation d’appliquer les mêmes sanctions que Washington à ses adversaires, au risque de sévères représailles.
Un à un, match nul, balle au centre, serait-on tentés de dire pastichant une rencontre de football. Alors pause ou clap de fin ?
Chaque partie s’est convaincue que son champion a gagne
Les dirigeants des deux pays ont montré leurs muscles et se sont affichés en vainqueurs d’une première manche militaire, ils peuvent désormais ouvrir une séquence diplomatique et commencer à parler, diagnostiquent les plus optimistes. Dans les deux camps, la «rue» s’est convaincue que son «champion» a pris le meilleur sur l’autre. Trump en avait besoin à quelques mois d’un scrutin présidentiel pour un second mandat qui s’annonce plus périlleux que jamais alors que le Congrès doit examiner une procédure de destitution (impeachment) qui le vise pour diverses accusations de mensonge et de collision avec les Russes. Les dirigeants iraniens avaient besoin, eux, d’une «victoire» pour venger le général Soleimane, ça c’est pour la forme, mais aussi pour resserrer les rangs de la population autour d’eux, quelques mois après des protestations populaires qui se sont soldées par des dizaines de morts en province.
Le sursaut nationaliste iranien contre le Grand Satan, a surpris plus d’un observateur après la féroce répression des semaines précédentes, et la solidarité exprimée par les pays voisins a convaincu Téhéran qu’elle est sur la bonne voie. Le régime réputé agressif et imprévisible a montré beaucoup de responsabilité, estiment les analystes. Les deux opérations contre les bases de Ain El Assad et Erbil, si elles étaient bien signées de Téhéran, étaient «bien dosées et rationnelles», renchérissent certains experts, alors que l’ayatollah Khamenei, chef suprême du pays, se flattait d’avoir infligé aux Etats-Unis une «gifle en pleine face».
Ces gesticulations de part et d’autre peuvent-elles suffire pour autant à rétablir le dialogue? L’avenir n’est jamais écrit connaissant le manque de finesse diplomatique de Trump et s’agissant de deux pays dont les relations sont marquées par une méfiance extrême, beaucoup de ressentiments et de rancune. Pour l’instant, ils ont évité de s’engager dans une guerre conventionnelle, qui aurait sans doute tourné à l’affrontement régional généralisé. Mais dans cet Orient compliqué, les théâtres d’affrontement possibles restent en place et sont très nombreux.
En choisissant d’alterner le militaire, l’économique et le diplomatique, Trump a privilégié l’option Netanyahou, éprouvée avec les Palestiniens. Un magazine américain l’a d’ailleurs caricaturé en aveugle, les yeux cachés par d’épaisses lunettes noires, guidé par un chien d’aveugles à l’effigie du Premier ministre israélien. C’est un résumé éloquent de l’actuelle politique américaine dans la région.
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