Hier, j’ai reçu une lettre de Nicolas, un ami français, qui venait de passer quelques mois dans notre pays. Les propos de cette lettre m’ont tellement touché et son contenu m’a tellement rempli de joie et de fierté d’appartenir à la communauté mahométane que je m’empresse de les partager avec vous.
Par Salah El-Gharbi *
«Caunery-sur-seine, le 4 mars 2020
Cher Salah,
(…) J’ai encore en mémoire les quelques mois passés à voyager à travers votre très beau pays, partageant vos traditions et vos coutumes, savourant les délices de vos magnifiques paysages, toujours fasciné par votre dynamisme et votre ouverture d’esprit… Aujourd’hui, bénéficiant d’un peu de recul, je peux mesurer combien l’expérience que je venais de vivre parmi vous était riche et édifiante.
Cher ami, ce qui m’a le plus fasciné chez vous, c’est votre attachement à la foi. D’ailleurs, à mon humble avis, jamais un peuple sur terre ne saurait cultiver autant que vous l’art d’adorer Dieu. Ainsi, jour et nuit, en ville comme au fin fond de la campagne, nulle conversation, nul débat, public ou privé, nul soupir ni murmure, sans que le nom du ‘‘Seigneur de l’univers’’ ne soit invoqué ou loué, et que Sa parole ne soit citée ou psalmodiée.
Peuple béni du Seigneur… De ma vie, je n’ai jamais vu de femmes, ni d’hommes aussi attachés à leur foi que chez vous. Au café, autour d’un thé chaud à la menthe, comme au restaurant, devant un plat de grillade mixte, il n’était jamais question de s’accabler de ces futiles et ridicules questions du quotidien…
L’appel de l’au-delà était toujours là pour vous sauver de la médiocrité de l’existence et élever votre âme assoiffée de béatitude. D’ailleurs, c’était dans ces lieux feutrés qu’il m’était arrivé d’assister avec beaucoup d’intérêt aux houleux, et néanmoins sérieux, débats sur des questions essentielles telles que: ‘‘L’épouse a-t-elle le droit de se refuser à son mari ?» ou ‘‘Faut-il adorer Dieu, les bras croisés ou ballants…?’’
Assurément, rien n’échappe à votre sagacité. Et même si les réponses pouvaient paraître confuses, contradictoires, voire parfois, un peu saugrenues pour les esprits débiles que seraient les nôtres, vous aviez toujours le génie de vous y retrouver avec des réponses qui fusaient pleines d’une surprenante certitude… Et c’était toujours un moment délicieux que d’assister à de tels échanges, certes, enflammés, mais toujours courtois. Car, cher ami, en matière de tolérance, vous êtes, désormais, une référence planétaire.
De même, pas un repas de famille auquel j’avais eu l’occasion d’être invité sans que la parole de votre Dieu ne fût invoquée, ni me fût laborieusement traduite, comme si l’on s’obstinait à me faire partager les délices de ce précieux savoir qui manquerait à mon intelligence… Ainsi, après le délicieux couscous, pas de triviales palabres sur les questions en rapport avec ce ‘‘bas monde’’. Dans de pareilles circonstances, chez les mécréants que nous sommes, on se serait empressé de parler politique, papoter à propos de l’avenir de nos enfants, échafauder des projets farfelus… Chez vous, on ne mange pas de ce pain-là… Vous, vous allez à l’essentiel, discourir tout à loisir, paisiblement et des heures entières, sur le mérite d’apprendre par cœur le Saint livre pour fortifier vos méninges, cogiter sur les modalités, inspirées de la sainte tradition, qui puissent enrichir la vie intime du couple, commenter les exégèses de vos sages ulémas…
Et puis, Salah, as-tu oublié les scènes du vendredi, jour du Seigneur ? Mais, qui pouvait rester insensible à l’agitation qui s’empare de vous ? D’ailleurs, fous d’Allah, comme vous l’êtes, transis, pressés de fouler le parterre de la maison de Dieu, dès que vous vous retrouviez devant la mosquée, vous saurez du siège de votre véhicule, comme éjecté, pour répondre à l’appel du créateur. Mais quel spectacle magnifique, celui de ces voitures (que quelques esprits de mauvaise foi trouveraient mal garées, gênant la circulation), qui ne témoignait que de l’intensité d’une ferveur sans limites.
Pour l’anecdote, un jour, j’eus l’occasion de confier ma voiture à Mustapha, ton mécanicien, pour un problème de fuite d’huile. Et en revenant récupérer ma Clio, je fus surpris de trouver le jeune homme assis sur le siège avant, en train d’écouter, non pas de la musique tels les jeunes aux mœurs dissolues de chez nous, mais le Coran, laissant à son apprenti le soin de fixer la roue. ‘‘Inchallah mrigla’’, me lança Mustapha comme pour me rassurer, avec son sourire bienveillant qui éclairait un visage rayonnant de piété… Même si, le lendemain matin, je dus lui ramener le satané véhicule qui continuait à suinter, je ne pus que m’en vouloir d’avoir importuné, la veille, le jeune mécanicien et de l’avoir ravi à sa séance de profond recueillement…
En somme, chez vous, ce qui force encore plus le respect et l’admiration, c’est que la foi n’est pas l’exclusive des petites gens. Partout, la même exaltation et la même ferveur… Ainsi, même chez le dentiste, cet homme de science, la providence divine n’est pas loin. Jamais je n’oublierai le praticien du Bardo qui, un jour, se penchant sur moi, brandissant sa seringue, et comme pour dissiper mon appréhension, me confia sentencieusement : ‘‘En fait, c’est sa Volonté qui soigne… On n’est que les instruments entre les mains de Dieu. C’est Lui qui, par sa bénédiction, guérit !’’ D’ailleurs, ses paroles furent tellement troublantes que je dus oublier vite les terribles douleurs de mon abcès, sans pour autant que le miracle eût lieu, puisque, le surlendemain, je dus retourner me faire arracher la maline dent !
Chez vous, le plus émouvant, c’est que lorsque, dans la rue, vous vous querellez et que vos esprits s’échauffent, vous perdez vos nerfs, mais jamais votre foi. Car, avant que les bras ne s’en mêlent, ‘‘Dieu’’ est aussitôt sollicité et son nom, vociféré rageusement, accompagné de mots dont le sens m’avait toujours échappé, que les deux parties s’échangent, annonçant un féroce combat…
Sacré pays que le vôtre ! Vous respirez la sérénité et la plénitude… Surtout, cher Salah, préservez votre pureté d’âme ! Surtout, ne vous mêlez pas aux mécréants, ces damnés du ciel, ces êtres prétentieux et arrogants qui se laissent tenter par la boue de ce monde, qui chantent les louanges du métal jaune et se prosternent devant ce qu’ils appellent le ‘‘progrès’’, un dieu qui ne saura les sauver des tourments du terrible Enfer qui les attendent»…
* Universitaire et écrivain.
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