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Covid-19 : Quand un prix Nobel de médecine monte en ligne

Dans le monde vu par Donald Trump (et sans doute aussi par le président chinois Xi Jimping), il n’y a pas de place pour les catastrophes biologiques issues des désastres écologiques, et attribuer la responsabilité d’une pandémie aux erreurs d’un concurrent, c’est faire la guerre, par d’autres moyens.

Par Dr Mounir Hanablia *

Le Professeur Luc Montagnier, prix Nobel de médecine pour sa découverte du rétro virus HIV, vient de jeter un pavé dans la mare de la science en soutenant l’hypothèse que le virus SARS Cov-2, (Covid-19) soit issu d’un laboratoire de virologie de la ville de Wuhan, là où l’actuelle pandémie avait débuté.

Le professeur Montagnier a argué de la présence dans l’ARN viral du Covid-19 de séquences identiques à celle du HIV et du plasmodium du paludisme, pour justifier ses convictions concernant son caractère artificiel, une espèce de créature virale d’un Dr Frankenstein chinois, fabriqué selon lui dans le cadre de la recherche d’un vaccin contre le virus HIV, et qui, dans des circonstances encore inconnues, a franchi l’enceinte du laboratoire et s’est propagé à l’extérieur.

Montagnier apporte de l’eau au moulin de Trump

Ainsi la contamination survenue dans le marché animalier de Wuhan, et les réservoirs de virus constitués par la chauve souris et le pangolin, n’auraient aucune crédibilité scientifique; il ne s’agirait que de récits dénués de tout fondement inventés par le gouvernement chinois pour rejeter toute responsabilité directe dans l’actuelle pandémie, après les trois semaines initiales au cours desquelles il avait tenté d’étouffer l’alerte propagée par les médecins de Wuhan ayant examiné les premiers malades infectés, en les emprisonnant.

Evidemment cette intervention du Professeur Montagnier se situe, il faut bien le noter, en pleine polémique déclenchée par le président américain Donald Trump visant l’Organisation mondiale de la santé (OMS), accusée d’être un instrument au service de du gouvernement chinois. Une décision de geler la contribution financière américaine, estimée à 15% du budget total de l’Organisation, soit plus de 400 millions de dollars, a suscité partout dans le monde les plus vives critiques, au moment où les pays pauvres, confrontés à la perspective d’un désastre sanitaire sans précédent, ont plus que jamais besoin de l’aide internationale.

Au moment où les Etats Unis d’Amérique en sont à près de 700.000 atteintes dont plus de 30.000 décès, que beaucoup attribuent à l’incurie et à l’imprévoyance de l’actuelle administration américaine, celle-ci a donc tout intérêt à rejeter la responsabilité de la catastrophe sur une tierce partie, et à cet effet, la Chine, le grand rival économique, apparaît comme la cible idéale, face au courroux américain.

Dans ces conditions, le Professeur Luc Montagnier apporterait un appui de poids aux thèses défendues par le président Trump relativement au «virus chinois», tel qu’il l’avait depuis le début qualifié, et l’usage politique n’en éliminerait bien entendu nullement la validité. Le Professeur Montagnier aurait-il un intérêt personnel pour se ranger en ce moment dans le camp américain? Il serait hasardeux de le dire.

Un virus qui en cache d’autres

Il ne faut pas oublier qu’au moment de la découverte du virus HIV qui lui avait valu le prix Nobel, une très vive rivalité scientifique l’avait opposé au Pr Robert Gallo, son collègue américain, reconnu finalement en 1992 comme étant l’auteur d’une faute déontologique majeure lorsqu’il a été avéré que les cellules contaminées au HIV sur lesquelles il avait travaillé pour publier ses résultats provenaient en fait de l’Institut Pasteur de Paris, c’est-à-dire du laboratoire de Luc Montagnier. A priori, celui-ci aurait donc des raisons de se montrer hostile aux Américains, qui avaient fait bloc durant la controverse autour de leur compatriote, mais ces raisons remonteraient quand même aux années 80.

En d’autres temps, de telles opinions, soutenues par un prix Nobel, eussent été taxées de complotistes; c’était avant la réapparition du populisme. Mais certaines constatations provenant de cliniciens semblent néanmoins corroborer ces affirmations, à savoir la sensibilité du Covid 19 à l’Hydroxychloroquine et à des antirétroviraux utilisés dans le traitement du Sida, sur la réalité desquelles l’actuel essai clinique britannique Recovery va bientôt être en mesure de jeter objectivement toute la lumière.

Suffit-il dans un virus de retrouver des séquences identiques à celles d’autres virus pour en conclure le caractère artificiel ? le Pr Luc Montagnier le pense, il est en effet fréquent de retrouver des séquences de virus dans le génome des cellules humaines ou animales infectées, mais jusqu’à présent la fusion entre des virus différents ne constitue pas une donnée scientifique courante.

Et d’autre part, si le Covid-19 comprenait bel et bien des composants issus du HIV et du Plasmodium, il faudrait que les patients atteints du Sida et du Paludisme, par un effet de vaccination, résistent mieux à l’actuelle pandémie, que les autres. On n’a jusqu’à présent relevé aucune observation qui puisse le laisser penser mais on n’en est qu’au début. Et le «théorème» du Pr Montagnier ne fait pas l’unanimité chez ses collègues, loin de là.

Beaucoup pensent justement que le caractère «combiné» du Covid-19, assez complexe, en prouve justement le caractère naturel, alors que la sensibilité aux différents médicaments n’en est qu’une donnée empirique, issue simplement de l’expérimentation des produits et de l’observation de leurs effets.

Quant aux épidémies à coronavirus, elles ne sont certes pas nées avec le Covid-19 (Sars Cov-2), puisqu’il y a déjà eu le SARS et le MERS dont les réservoirs étaient des animaux (chauve-souris, chameaux), et nul n’a jamais pu prouver qu’il s’agissait de produits de laboratoires.

Ce faisant, une autre réalité est à relever, celle que la recherche scientifique étant dans une large mesure tributaire pour ses activités de subventions publiques ou privées, admettre qu’un virus puisse s’échapper d’un laboratoire pour déclencher une catastrophe sanitaire mondiale risquerait d’abord de porter préjudice à la recherche médicale dans son ensemble. Et il est vrai que le Pr Montagnier, étant un retraité, n’a plus à se préoccuper de ce genre de considérations.

La catastrophe de Tchernobyl avait sonné le glas des réacteurs nucléaires, du moins en Europe, où il est depuis lors devenu beaucoup plus compliqué d’en faire construire, du fait de l’irruption de la question nucléaire dans le champ du débat public et politique; le discours politique avait d’abord essayé de l’attribuer au manque de maîtrise de la technologie soviétique, mais la catastrophe de Fukushima avait apporté la preuve du risque technologique non maîtrisable du nucléaire.

Il est remarquable que le discours actuel du président Trump puisse reprendre en d’autres circonstances des arguments semblables relativement à une supposée incompétence chinoise, par ailleurs relevée dans un article publié en 2018 par le ‘‘Washington Post’’, relativement au fameux centre de recherches virologiques de Wuhan.

Dans le monde vu par Trump (et sans doute par le président chinois Xi), il n’y a pas de place pour les catastrophes biologiques issues des désastres écologiques, et attribuer la responsabilité d’une pandémie aux erreurs d’un concurrent (ou à des militaires en visite de courtoisie), c’est faire la guerre, par d’autres moyens.

Vraies ou fausses, désintéressées ou non, les opinions du Pr Montagnier prouvent en tous les cas que la vérité, en particulier scientifique, n’est pas ce fait objectif mesurable reproductible dont fait état l’épistémologie, mais la composante visible d’un Léviathan polymorphe au sein duquel les peurs enracinées ou suscitées, les calculs politiques et économiques, les ambitions humaines, et la désinformation, ne sont jamais absents.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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