Walter Whitman, plus connu sous le nom de Walt Whitman, né le 31 mai 1819 New York et décédé le 26 mars 1892 à Camden, fut un grand poète américain. Il exercera une influence importante sur des poètes européens, sud-américains mais aussi russes. Le présent poème fut traduit par André Gide.
Issu d’un milieu modeste, sa famille doit déménager à Brooklyn lorsque son père perd la ferme qu’il possédait. À l’âge de 11 ans, Walt Whitman quitte l’école pour travailler dans une imprimerie. Il poursuit seul son apprentissage des lettres, notamment à travers la lecture des œuvres classiques. Passionné de littérature, à 17 ans, il décide de devenir instituteur, puis il se tourne vers le journalisme. Au cours des années qui suivent, il travaille pour plusieurs journaux, et fonde ses propres revues. À travers ses articles, il dénonce notamment l’esclavage.
En parallèle, il commence à composer des poèmes. En 1855, Walt Whitman auto-publie son premier recueil, ‘‘Leaves of grass’’. L’ouvrage frappe par son style innovant, qui s’écarte des conventions poétiques en vogue. Il rencontre cependant un succès mitigé.
Avec la guerre civile, Walt Whitman rencontre de nouvelles difficultés financières. En 1862, il déménage à Washington, où son frère, blessé, est hospitalisé. Commence alors une période épuisante et productive. Walt Whitman partage son temps entre un travail alimentaire, l’écriture, et les visites à l’hôpital auprès des blessés de guerre. C’est au cours d’une de ces visites qu’il rencontre Peter Doyle, qui deviendra son compagnon.
Whitman publie un second recueil, ‘‘Drum-taps’’, consacré à la guerre. En 1873, une crise cardiaque le laisse très affaibli et partiellement paralysé. Il publie une nouvelle version de ‘‘Leaves of grass’’, retravaillée et enrichie, qui rencontre le succès, lui permettant de vivre plus confortablement. Il devient un poète reconnu et continue à travailler sur son recueil, ‘‘Leaves of grass’’ qui, lors des dernières années, comptait plus de 300 poèmes. Malheureusement, sa santé continue à se dégrader. Il décède en 1892.
Whitman inspirera tant de grands poètes de par le monde à l’instar de Pablo Neruda, Allen Ginsberg, Fernando Pessoa, Oscar Wilde, Ossip Mandelstam, Cesare Pavese (qui lui consacrera sa thèse de doctorat), André Gide (qui le traduira en français), Langston Hughes, Federico Garcia Lorca, Jorge Luis Borges et tant d’autres…
Walt Whitman, un cosmos, de Manhattan le fils,
Turbulent, bien en chair, sensuel, mangeant, buvant et procréant,
Pas sentimental, pas dressé au-dessus des autres ou à l’écart d’eux
Pas plus modeste qu’immodeste.
Arrachez les verrous des portes!
Arrachez les portes mêmes de leurs gonds!
Qui dégrade autrui me dégrade
Et rien ne se dit ou se fait, qui ne retourne enfin à moi.
À travers moi le souffle spirituel s’enfle et s’enfle, à travers moi c’est le courant et c’est l’index.
Je profère le mot des premiers âges, je fais le signe de démocratie.
Par Dieu! Je n’accepterai rien dont tous ne puissent contresigner la copie dans les mêmes termes.
À travers moi des voix longtemps muettes
Voix des interminables générations de prisonniers, d’esclaves,
Voix des mal portants, des désespérés, des voleurs, des avortons,
Voix des cycles de préparation, d’accroissement,
Et des liens qui relient les astres, et des matrices et du suc paternel.
Et des droits de ceux que les autres foulent aux pieds,
Des êtres mal formés, vulgaires, niais, insanes, méprisés,
Brouillards sur l’air, bousiers roulant leur boule de fiente.
À travers moi des voix proscrites,
Voix des sexes et des ruts, voix voilées, et j’écarte le voile,
Voix indécentes par moi clarifiées et transfigurées.
Je ne pose pas le doigt sur ma bouche
Je traite avec autant de délicatesse les entrailles que je fais la tête et le cœur.
L’accouplement n’est pas plus obscène pour moi que n’est la mort.
J’ai foi dans la chair et dans les appétits,
Le voir, l’ouïr, le toucher, sont miracles, et chaque partie, chaque détail de moi est un miracle.
Divin je suis au dedans et au dehors, et je sanctifie tout ce que je touche ou qui me touche.
La senteur de mes aisselles m’est arôme plus exquis que la prière,
Cette tête m’est plus qu’église et bibles et credos.
Si mon culte se tourne de préférence vers quelque chose, ce sera vers la propre expansion de mon corps, ou vers quelque partie de lui que ce soit.
Transparente argile du corps, ce sera vous!
Bords duvetés et fondement, ce sera vous!
Rigide coutre viril, ce sera vous!
D’où que vous veniez, contribution à mon développement, ce sera vous!
Vous, mon sang riche! vous, laiteuse liqueur, pâle extrait de ma vie!
Poitrine qui contre d’autres poitrines se presse, ce sera vous!
Mon cerveau ce sera vos circonvolutions cachées!
Racine lavée de l’iris d’eau! bécassine craintive! abri surveillé de l’œuf double! ce sera vous!
Foin emmêlé et révolté de la tête, barbe, sourcil, ce sera vous!
Sève qui scintille de l’érable, fibre de froment mondé, ce sera vous!
Soleil si généreux, ce sera vous!
Vapeurs éclairant et ombrant ma face, ce sera vous!
Vous, ruisseaux de sueurs et rosées, ce sera vous!
Vous qui me chatouillez doucement en frottant contre moi vos génitoires, ce sera vous!
Larges surfaces musculaires, branches de vivant chêne, vagabond plein d’amour sur mon chemin sinueux, ce sera vous!
Mains que j’ai prises, visage que j’ai baisé, mortel que j’ai touché peut-être, ce sera vous!
Je raffole de moi-même, mon lot et tout le reste est si délicieux!
Chaque instant et quoi qu’il advienne me pénètre de joie,
Oh! je suis merveilleux!
Je ne sais dire comment plient mes chevilles, ni d’où naît mon plus faible désir.
Ni d’où naît l’amitié qui jaillit de moi, ni d’où naît l’amitié que je reçois en retour.
Lorsque je gravis mon perron, je m’arrête et doute si ce que je vois est réel.
Une belle-de-jour à ma fenêtre me satisfait plus que toute la métaphysique des livres.
Contempler le lever du jour!
La jeune lueur efficace les immenses ombres diaphanes
L’air fleure bon à mon palais.
Poussées du mouvant monde, en ébrouements naïfs, ascension silencieuse, fraîche exsudation,
Activation oblique haut et bas.
Quelque chose que je ne puis voir érige de libidineux dards
Des flots de jus brillant inondent le ciel.
La terre par le ciel envahie, la conclusion quotidienne de leur jonction
Le défi que déjà l’Orient a lancé par-dessus ma tête,
L’ironique brocard: Vois donc qui de nous deux sera maître!
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