La phrase clé de l’article de Ridha Kéfi, ‘‘Qu’est-ce qui fait courir encore Ghannouchi’’ est sans conteste que Rached Ghannouchi ne gagne que les batailles perdues par ses adversaires. Autrement dit, il nous faut reconsidérer toute la problématique démocratique en Tunisie.
Par Hassen Zenati
Si, en effet, c’est la faiblesse du camp d’en face qui fait la force du camp Ghannouchi, alors la question est la suivante : comment faire pour se donner la force d’affronter cet animal politique à sang froid comme les reptiles ?
Que sont devenus nos révolutionnaires, nationalistes, progressistes, démocrates, séculiers, laïcs et autres que l’on entendait beaucoup discourir de plateau en plateau de télévision, et que l’on ne voit plus agir ?
Sans doute étouffés par leur ego, ils ne sont jamais parvenus à se rassembler en une alliance, front, mouvement — et tout ce qu’on veut d’autres — contre l’islam politique qui s’est installé progressivement dans nos institutions, par effraction presque, en profitant de la moindre erreur de ses adversaires. Avec un dénominateur commun : reconstruire un Etat et le faire tenir debout.
La cause de ce gâchis, c’est le virus du «zaïmisme», qui nous vient de très loin, qui les a condamnés tous à l’impuissance, leur faisant commettre des erreurs d’aiguillage fatales. Ils ont ainsi rompu plus de lances contre l’islam en tant que religion participant de la culture populaire de base du Tunisien depuis quinze siècles, que contre l’islam politique, cette aspiration à gouverner au nom de Dieu, qui n’a jamais demandé tant des hommes.
L’islam politique s’installe confortablement en Tunisie
Résultat des courses : Ghannouchi a construit un parti, pierre par pierre, formé des militants, enraciné son mouvement dans la société en tirant profit de sa propre victimisation face à des régimes répressifs et de la misère des laissés pour compte des modèles de croissance imposés à la Tunisie par l’Europe, le FMI, la Banque Mondiale et autres institutions internationales, qui ont érigé le néo-libéralisme en nouvel Evangile.
Il se trouve que ces laissés pour compte, ce sont aussi les «gens du Sud», installés à vie dans ces zones de l’ombre que Zine El-Abine Ben Ali avait en vain tenté d’éclairer d’une bougie piteuse, ou lancés sur les routes de l’exode rural, et que l’on retrouve dans les îlots de misère qui ceinturent Tunis, de Ben Arous, à Sidi Hassine, en passant par Ettadhamoun et autres quartiers de la désespérance et de la promiscuité.
La boucle est ainsi bouclée : alors que les Narcisse continuent à se mirer dans l’eau de leur source, au risque de s’y noyer, l’islam politique s’est installé sur ses trois terrains de prédilection : le tribalisme, la résignation devant le destin écrit par Dieu le tout-puissant et le caritatif qui permet de soulager la souffrance du moment, en ignorant celle qui va suivre.
Une masse d’agneaux encadrés par des chiens de garde
Entre les mains de militants experts en manipulation, cette masse de résignés s’est transformée en masse d’agneaux, encadrés par des chiens de garde, qui suivent leur berger en bêlant. Et en face, on continue à discourir, discourir, discourir. De quoi ? De tout ce qui peut éloigner de l’action immédiate et projeter dans un lointain et incertain avenir fait de «lendemains qui chantent», dans la certitude que l’on a raison contre tous les autres à cause d’un mot de travers, d’une idée qui ne cadre pas bien avec les «impératifs du moment» et de toutes sortes de prétextes, qui sont des milliers.
Et voilà que cette note se termine par une banalité à pleurer : reprenez-vous, rassemblez-vous, sachez faire le tri entre l’essentiel et l’important et vous construirez la Tunisie de vos rêves, qui ne sera sans doute pas parfaite, mais qui sera au moins vivable pour les générations qui attendent en piaffant de vivre heureux, sans rêver d’exil ni de harga.
Jamais ces jeunes déboussolés, acculturés parfois, ne trouvant plus dans leur culture la sève leur permettant de se construire, ne se sont posé autant de fois la question douloureuse qu’ils jettent à la figure de leurs aînés : qu’avons nous fait de notre indépendance et de notre souveraineté ? Oui qu’en avons nous fait. La vie se termine à peine commencée, dit une maxime que l’on attribue à Epicure.
Conclusion : construisons moins CONTRE Ghannouchi et ses affidés, que POUR la Tunisie et nous balaierons nos adversaires avant qu’ils nous balaient. Le temps presse.
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