Les Palestiniens viennent d’obtenir coup sur coup deux jugements qui fondent sur le plan international la légitimité de leurs revendications contre les pratiques illégales de l’occupant israélien.
Par Hassen Zenati
Après la Cour internationale de justice (CIJ), la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a frappé un grand coup en faveur des Palestiniens, en autorisant les campagnes de boycott d’Israël, déclarées illégales par l’establishment sioniste et ses alliés européens et américains, mais qui relèvent, selon elle, de la liberté d’expression.
L’affaire a commencé lorsque des militants pro-palestiniens se sont tournés vers la CEDH, après avoir épuisé toutes les voies de recours contre leur condamnation en France pour «incitation à la discrimination économique envers des personnes en raison de leur appartenance à une nation».
Immobilisme international face aux abus et crimes israéliens
Vêtus de tee shirts barrés du slogan : «Palestine vivra, boycott Israël», ces militants du collectif Palestine 68, s’étaient introduits dans l’hypermarché Carrefour de d’IIlzack (Mulhouse, Bas Rhin, est de la France), en distribuant des tracts aux clients affirmant qu’«acheter des produits importés d’Israël, c’est légitimer les crimes à Gaza, c’est approuver la politique menée par le gouvernement israélien» dans les territoires occupés de Palestine.
La campagne, baptisée BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions), a été lancée en 2005, en réaction à l’immobilisme international à la suite d’une décision en 2004 de la CIJ de la Haye, déclarant illégal le mur en béton érigé par le Premier ministre israélien Ariel Sharon, en violation du droit international, au-delà de la ligne de démarcation fixant les limites territoriales provisoires de la Palestine et d’Israël.
La CIJ soulignait dans son avis que «l’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-est, et le régime qui lui est associé, sont contraires au droit international». Elle rappelait aux Etats signataires leurs obligations de tout mettre en œuvre pour contraindre Israël à mettre fin à son projet.
L’Etat français contredit par la jurisprudence européenne
Comme ils n’avaient rien entrepris dans ce sens, les ONG de la société civile palestinienne ont lancé, en 2005, un appel international en faveur du boycott d’Israël, puissance coloniale et puissance occupante, à l’image de la campagne de boycott lancée contre l’Afrique du Sud de l’apartheid. La campagne a provoqué un tollé dans les rangs des alliés d’Israël en Europe, qui l’ont pointée du doigt comme une «campagne antisémite». Les militants de BDS, condamnés en première instance, ont été déboutés en appel, puis en cassation. Mais la CEDH de Strasbourg ne l’entendait pas de la même oreille : elle a rendu à l’unanimité un jugement contredisant la jurisprudence française, et condamné l’Etat français.
Selon la CEDH, en effet, la France a violé l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme sur la liberté d’expression, car, souligne-t-elle, cet article «ne laisse guère place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou de question d’intérêt général». Elle ajoute : «Par nature le discours politique est souvent virulent et source de polémiques. Il n’en demeure pas moins d’intérêt public, sauf s’il dégénère en un appel à la violence, à la haine ou à l’intolérance».
Dans sa décision, la Cour européenne souligne par ailleurs que «les actions et les propos reprochés aux requérants concernaient un sujet d’intérêt général, celui du respect du droit international public par l’Etat d’Israël et de la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés, et s’inscrivaient dans un débat contemporain, ouvert en France comme dans toute la communauté internationale. Ils relèvent de l’expression politique et militante».
Le boycottage est une forme légitime d’expression politique
Contre les interprétations divergentes des tribunaux français, les juges européens se sont appuyés sur une déclaration du rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté de religion ou de conviction, selon laquelle «en droit international, le boycottage est considéré comme une forme légitime d’expression politique, et que les manifestations non violentes de soutien aux boycotts relèvent, de manière générale, de la liberté d’expression légitime qu’il convient de protéger».
Pour la Fédération internationale des droits de l’homme (FDIH) et la Ligue des droits de l’homme (LDH), la décision de la CEDH «met en évidence que la critique des autorités israéliennes et l’usage de moyens pacifiques pour s’opposer à leur politique ne sauraient être confondus avec une manifestation d’antisémitisme».
C’est un camouflet pour ceux qui ont fait de l’antisémitisme un fonds de commerce qu’ils brandissent à chaque fois qu’Israël est critiqué pour ses actions illégales dans les territoires occupés palestinien.
Quelques semaines plus tôt, c’est la CIJ de la Haye qui, infirmant une clause du plan américain dit de paix interdisant aux Palestiniens toute démarche après de la CIJ pour faire valoir leurs droit, avait statué que «tous les critères définis dans le Statut de Rome pour l’ouverture d’une enquête (sur des crimes de guerre présumés dans les Territoires Palestiniens Occupés) sont remplis», et qu’«il n’existe aucune raison sérieuse de penser que l’ouverture d’une enquête desservirait les intérêts de la justice», semant un vent de panique parmi les dirigeants sionistes. Les dirigeants palestiniens sont ainsi habilités à s’adresser à la CIJ pour dénoncer les crimes de guerre commis contre leur peuple et à demander la condamnation de leurs auteurs.
L’obstination des Etats-Unis à protéger les dirigeants israéliens
Célébrées comme «un pas très important vers la recherche de la reddition de comptes», par le rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des Droits de l’homme dans les territoires occupés, cette décision risque cependant de se heurter à l’obstination des Etats-Unis à protéger les dirigeants israéliens quoi qu’il en coûte, en faisant passer ses intérêts devant les «intérêts de la justice». Par ailleurs, sans la pression internationale, Israël pourrait refuser d’ouvrir ses frontières à des enquêteurs indépendants.
En 2002, les lobbies israéliens à Bruxelles avaient obtenu d’une Cour belge de déclarer «irrecevable» une plainte déposée par 23 rescapés du massacre du camp libanais de Chatila, perpétré par Ariel Sharon et Ygal Allon en 1982, en invoquant une loi belge de 1993 accordant la «compétence universelle» aux tribunaux du Royaume pour les crimes de guerre. Depuis, le texte a été remisé aux oubliettes.
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