Alors que les élèves s’apprêtent à passer les épreuves du baccalauréat, dans des conditions assez exceptionnelles en raison de la pandémie de la Covid-19, il est temps de penser à séparer les résultats de ce concours de l’orientation universitaire et d’opter pour une orientation plus participative et plus active où l’élève ne sera plus un score manipulé mécaniquement par un algorithme informatique mais une partie prenante pour le choix de l’établissement et la filière qu’il désire.
Par Pr. Ridha Bergaoui *
Du 8 au 15 juillet 2020, plus de 140.000 jeunes vont passer les épreuves du baccalauréat dans des conditions particulières et une année scolaire perturbée et marquée par la crise sanitaire de la Covid-19. Les cours ont été suspendus le 12 mars. Ils ont repris du 28 mai pour quatre semaines afin de terminer le programme du troisième trimestre. En posant la question à un de nos jeunes «que veux-tu faire après le bac ?», il vous répondra presque automatiquement «je ne sais pas, tout dépend du score que je vais avoir».
C’est dommage que nos jeunes manquent d’ambition et de motivation, qu’ils n’aient aucun projet personnel et qu’ils se trouvent accrochés au satané ordinateur du ministère de l’Education nationale qui va les orienter et décider de leur avenir.
Le baccalauréat, un examen sous haute tension
Passer le bac représente pour le candidat, ses parents, toute la famille éducative et même tout le pays, un événement symbolique important.
Instauré en France par Napoléon premier en 1808, le baccalauréat a résisté maintenant durant plus de deux siècles, malgré de nombreuses mises en question et des tentatives de l’annuler.
En Tunisie le baccalauréat a subi de nombreuses réformes. La dernière date de 2017 et consiste en la suppression totale et définitive, dans le calcul de la moyenne du baccalauréat, des 25% de la moyenne annuelle de la quatrième année, introduite en 2002.
Le baccalauréat, qui sanctionne la fin des études secondaires et la possibilité d’accéder à l’université, représente un tournant important dans la vie et le parcours de nos jeunes. Le baccalauréat est un diplôme d’Etat qui garantit un certain niveau de connaissances. Il marque le premier examen sérieux auquel est confronté le jeune candidat. Réussir au bac est important. Réussir avec une bonne moyenne serait le rêve qu’ambitionne tous les jeunes lycéens qui ont fourni des années d’efforts pour arriver jusqu’au bac. Les élèves sont ainsi soumis, dès le début de l’année, à la pression pour bien se préparer et réussir cet important examen. Cette pression, qui résulte de la peur d’échouer à l’examen, avec l’angoisse, l’inquiétude et beaucoup de stress qui l’accompagnent, augmente de plus en plus avec l’approche des examens.
Pour cette année, des épreuves dans des conditions encore plus difficiles
Cette année, de nouveaux facteurs viennent s’ajouter à cette ambiance, un peu électrique. La crise sanitaire, le mois de ramadan, le confinement et le dé-confinement et les précautions sanitaires recommandées par les instances sanitaires (port du masque, utilisation répétée du gel alcoolique ou du lavage au savon, la distanciation sanitaire, l’interdiction de se regrouper…) ont perturbé le déroulement des cours, la préparation du bac et ont des impacts négatifs sur le moral des candidats et probablement leurs résultats.
Les dates un peu tardives de passage des examens au mois juillet, qui correspond à la période estivale avec l’arrivée des chaleurs et de la canicule, est encore un facteur perturbateur et désagréable. Le bac blanc, qui permettait à l’élève de connaitre un peu ses lacunes, a été annulé. La peur de ne pas terminer le programme durant les quatre semaines de rattrapage est également source de stress pour les élèves.
Les épreuves du bac sport ainsi que certaines épreuves pratiques ont été annulées. Ces épreuves, relativement faciles, permettaient aux élèves d’avoir de bonnes notes (des notes de 19 et même 20/20 pour l’examen du bac sport sont assez courantes surtout que la plupart des élèves préparent en salle de sport les enchaînements et les exercices à faire) et de recoller les mauvaises notes qu’ils peuvent obtenir dans d’autres disciplines.
La course aux notes et le bac qui perd de sa valeur
La réussite au baccalauréat conditionne l’accès à l’université. Une bonne moyenne garantit l’accès du jeune aux études supérieures qu’il souhaite poursuivre, à l’établissement universitaire de son choix, la réalisation de ses rêves et son avenir professionnel.
L’élève et ses parents, qui pensent non seulement au baccalauréat mais également à l’orientation universitaire auquel il est associé, se focalisent sur la moyenne au bac.
La formation et le savoir, qui devaient développer les capacités de l’élève à bien réfléchir, améliorer ses aptitudes d’analyse et de synthèse, ne sont plus prioritaires. Dans cette logique, l’élève apprend plutôt comment avoir de bonnes notes, à mémoriser même s’il oubliera tout plus tard et qu’il ne se souviendra plus de rien du tout. L’objectif c’est apprendre par cœur, sans forcément comprendre, ni assimiler ou raisonner. C’est le bachotage qui consiste à travailler beaucoup pour retenir le maximum qu’il faut restituer dans la copie le jour de l’examen. L’élève cherche ainsi à apprendre les automatismes pour solutionner les exercices en multipliant la résolution des diverses séries du bac. Il fait également ses calculs pour éliminer telle ou telle partie des cours à réviser en se référant aux sujets du bac de l’année dernière et en se disant qu’il y a très peu de chance que cette année on revienne aux thématiques traitées lors du bac précédent.
Il faut reconnaître qu’il y a d’excellents bacheliers aussi bien au niveau de la formation qu’au niveau de la communication et des langues. Ce sont surtout les élèves des lycées pilotes ainsi que les bons élèves des autres lycées qui travaillent d’une façon assidue et régulière durant toute leur scolarité.
Que peut-on attendre des bacheliers de la queue du peloton, rachetés et admis avec une moyenne de 09/20 ? Il semble que compte tenu des difficultés rencontrées cette année, la note du rachat des élèves pour la réussite au bac va passer de 9/20 à 8/20. Descendre le rachat au bac au seuil de 8/20, même en tenant compte du contexte difficile dans lequel se passe le bac cette année, risque de porter préjudice à la valeur de notre baccalauréat et à la qualité de nos bacheliers.
Nombreux sont ceux qui se plaignent d’une détérioration de la qualité du bac et qu’il n’a plus de valeur. On peut l’avoir sans trop se fatiguer. Ils suggèrent même de le supprimer et faire l’économie des frais et des efforts engagés pour le maintien de ces épreuves fort onéreuses. Les grèves et les arrêts intempestifs le long de l’année laissent penser que les élèves désormais n’apprennent plus grand-chose au lycée.
Depuis 2011, chaque année scolaire a son lot de problèmes, de grèves et d’arrêts des cours. Des conflits entre les syndicats et le ministère entraînent fréquemment l’arrêt de l’enseignement et l’entrée en grève, parfois pour plusieurs semaines, des enseignants ou du personnel administratif. Ceci a poussé de nombreux parents à déserter, moyennant beaucoup de sacrifices, l’école publique et inscrire leurs enfants dans des établissements privés.
La catastrophe des cours particuliers
Dans cette course aux notes et la peur de l’échec, les élèves, quelles que soit leurs conditions sociales, se trouvent poussés aussi bien par leurs enseignants que par leurs parents à suivre des cours particuliers. Ces cours, qui coûtent parfois des centaines de dinars par mois, ne concernent pas uniquement les matières principales de la section du bac mais, de plus en plus, toutes les matières sur lesquelles portent les épreuves y compris les langues, les matières à option et le sport. Assister aux cours au lycée, les suivre ou essayer de les comprendre n’ont plus d’importance puisque l’élève a à sa disposition l’enseignant particulier qui va lui montrer les astuces et les trucs pour trouver facilement la solution le jour de l’examen.
L’élève, surtout au troisième trimestre, n’a plus le temps de se reposer, il n’a plus la capacité d’apprendre et d’assimiler ce qu’on veut lui enseigner. Il passe du lycée, aux cours particuliers, pas le temps de réfléchir ou faire le point ou la synthèse. Ces cours, qui devaient en principe aider les élèves, deviennent une source de préoccupation, de stress et de fatigue. L’élève arrive le jour des épreuves bien à bout, épuisé, saturé. Certains attrapent même du surmenage et de la déprime.
Après l’examen, vient l’attente des résultats. C’est une période également dure à surmonter. Angoissé, stressé et subissant toutes les conséquences de la mauvaise hygiène de vie que l’élève a dû mener surtout lors de la période de révision et les épreuves (manque de sommeil, café et même tabagisme excessif…), l’élève attend impatiemment les résultats du bac et plus encore la moyenne au bac. Il y a certaines réussites au bac au gout d’un malheureux échec. On n’ose plus féliciter un élève qui a réussi au bac mais avec une petite moyenne car on sait qu’il ne pourra pas suivre des études dans des filières dites «nobles» comme la médecine ou l’ingéniorat ou tout simplement dans la filière qui l’intéresse.
Baccalauréat et orientation universitaire
Des notes du baccalauréat dépendent l’accès à la filière vers laquelle le bachelier sera orienté. En effet, après l’obtention du bac, le ministère de l’Education nationale se charge de l’orientation du futur étudiant en fonction d’un score établi tenant compte de la moyenne générale au bac ainsi que des notes des matières principales de la section du bac et des langues. L’élève doit remplir une fiche de choix (jusqu’à 10 établissements de son choix parmi ceux indiqués dans le guide d’orientation). Un algorithme se charge, en fonction du score de l’élève et de la capacité d’accueil des établissements, d’affecter le candidat.
Ce système d’orientation par ordinateur a été critiqué à plusieurs reprises. Avec ce système, seuls ceux qui ont les meilleures notes au bac auront l’orientation qu’ils souhaitent. Les autres sont casés dans les divers établissements supérieurs. Il arrive que l’élève soit affecté selon l’un des derniers établissements ou filières de son choix. Cette affectation, aux yeux du MESRS, correspond bien au vœu de l’élève puisqu’elle figure parmi ses 10 choix.
En réalité ce qui intéresse l’élève ce sont les premiers choix, le reste a été fait sans aucune motivation, rien que pour remplir la fiche telle que l’exige le ministère de l’Education. En apparence, l’élève a eu ainsi une filière de son choix alors qu’en réalité ce n’est pas du tout ce qu’il souhaite le plus. Dans ces conditions, l’élève est amené à suivre l’une des nombreuses filières dans un des établissements supérieurs, dont la plupart dispose de peu de moyens humains et matériels et souffre de mauvaises conditions de formation. Sans motivation, désarmé de ses ambitions, l’étudiant traîne les quelques années d’étude pour obtenir finalement le diplôme et venir renforcer statistiquement l’effectif des diplômés chômeurs ou à la recherche d’emploi.
Le ministère de l’Education a essayé de porter quelques ajustements depuis l’année dernière. Le score tient désormais compte d’une part des notes des langues dans l’établissement du score. Il tient également compte des inégalités socio-économiques régionales, pour l’accès aux filières de la médecine et de l’ingéniorat, en réservant quelques places aux bacheliers issus des régions défavorisées.
Les bacheliers, qui ont réussi brillamment et qui se trouvent parmi les 50 premiers, peuvent obtenir une bourse nationale pour étudier en France ou en Allemagne. Ces étudiants qui feront d’excellents parcours continuent généralement, après le diplôme, à séjourner et travailler à l’étranger et représentent une perte sèche pour le pays et un gaspillage à la fois matériel et intellectuel. Ils s’ajoutent aux meilleurs des diplômés de nos universités qui fuient en masse par vagues successives le pays, chaque année à la première occasion. Ces jeunes ne manquent nullement de patriotisme ni d’amour pour le pays, ils sont tout simplement à la recherche d’une ambiance de travail plus saine, des conditions matérielles plus confortables et une meilleure qualité de vie.
Par ailleurs, que le MESRS octroie des bourses aux meilleurs de nos bacheliers pour qu’ils partent à l’étranger c’est reconnaître que notre université est incapable de gérer ces jeunes doués et que la qualité de notre enseignement est très médiocre et ne convient pas à ce genre d’étudiants à très haut potentiel.
Séparer l’orientation universitaire des notes du bac
Relier l’orientation universitaire aux notes obtenues aux épreuves du bac a entrainé une détérioration de la qualité du bac et l’épuisement tant des élèves que des parents. Durant le lycée, l’élève est essentiellement obsédé par la préparation et le passage de l’examen du baccalauréat. Il ne s’intéresse nullement à la formation, l’acquisition de connaissances et le développement d’un esprit critique et de synthèse. La culture générale, les langues, la communication… ne font nullement partie de ses préoccupations.
La révision de ce système du baccalauréat et de l’orientation est devenue nécessaire et urgente. Il est indispensable de séparer le baccalauréat de l’orientation universitaire. Le bac doit être un diplôme qui sanctionne la fin des études secondaires et qui certifie un certain niveau de connaissances pouvant donner accès à l’université rien de plus. L’orientation universitaire doit se baser sur d’autres critères. Il faut trouver un autre moyen d’évaluation des connaissances et des compétences de l’élève qui vont lui permettre de suivre et de réussir telle ou telle filière de formation.
Il est possible d’utiliser par exemple les notes obtenues au cours de la dernière année (moyenne générale et notes des matières principales). On peut remplacer, dans le système actuel des scores, les données du bac, par les notes obtenues en terminale. Une pondération peut-être effectuée pour éliminer les écarts entre les différents établissements. On pourrait y inclure, par un système de bonus/malus, d’autres critères comme l’âge du candidat, les redoublements au cours des années du lycée. On peut même tenir compte des conditions économiques et sociales des parents…
En effet, tous les élèves ne sont pas égaux devant le bac. Ceux des régions intérieures ainsi que ceux des milieux matériellement et intellectuellement défavorisés sont largement désavantagés. Et il faut en tenir compte pour plus d’équité et de justice.
Pour une orientation active
Il est temps de penser à une orientation plus participative et plus active où l’élève ne sera plus un score manipulé mécaniquement par un algorithme informatique mais une partie prenante pour le choix de l’établissement et la filière qu’il désire.
En France, par exemple, les démarches pour l’inscription à l’un des établissements de l’enseignement supérieur se font par l’élève durant toute l’année de la terminale. Elle comporte plusieurs étapes dont une information abondante et facilement accessible sur les différentes filières et les aptitudes et compétences nécessaires. L’élève bénéficie également de conseils personnalisés dispensés par le cadre enseignant en fonction des résultats de l’élève au lycée. Au cours du deuxième trimestre de la terminale, l’élève adresse aux établissements de son choix un dossier de préinscription précisant les filières dans lesquelles il souhaite s’inscrire. En fonction des notes de première et de terminale, sa candidature sera retenue ou rejetée. L’inscription définitive se fera après obtention du bac.
L’orientation active permet à l’élève de choisir de plein gré l’établissement qui lui convient le mieux. Il sera dans ces conditions beaucoup moins frustré et aura vraiment l’impression d’avoir participé activement à l’orientation et qu’il a eu l’établissement qu’il a lui-même choisi. Il sera forcement plus responsable et plus motivé. L’orientation active permet ainsi de réduire le taux d’échec et d’abandon les premières années de l’université.
Le baccalauréat gardera ainsi sa valeur symbolique et stratégique. Il est indispensable pour accéder aux études supérieures. L’orientation et l’affectation des bacheliers se feront en fonction des efforts fournis tout le long de la scolarité et surtout la dernière année du lycée. Ceci va permettre de finir avec le bachotage, la course aux notes finales du bac, les cours particuliers, le stress et tous les problèmes signalés précédemment. Pour être accepté dans l’établissement où il désire suivre ses études supérieures et avoir la filière de son choix, l’élève sera obligé de travailler régulièrement tout le long de l’année et sera constamment à jour. Le problème de la sur-notation au cours de l’année risque de se poser. Un contrôle adéquat et le suivi des institutions par les inspecteurs du ministère de l’Education permettraient de détecter les abus et de les corriger en apportant la pondération adéquate au niveau du calcul du score de l’élève.
Pour conclure, la crise du Covid-19 nous a révélé beaucoup de réalités et surtout qu’il est possible de faire autrement, de faire mieux. Le bac tel qu’il est vécu actuellement est devenu un véritable cauchemar pour tous. Il est à l’origine d’une pression intense aussi bien pour le candidat que tout son entourage, suite à son importance dans l’orientation des futurs étudiants.
Séparer le baccalauréat de l’orientation universitaire permettrait de finir avec cette pression dans l’intérêt de tous. Le bac est tout simplement le passeport pour accéder aux études supérieures. De nombreux pays ont supprimé le baccalauréat comme la Suède (depuis 1968). D’autres pays ont recours non seulement à l’examen final écrit mais également au contrôle continu, à des oraux… Suite à la pandémie covid-19, la France a annulé, cette année, les épreuves écrites classiques et va évaluer les élèves sur les notes du contrôle continu tout le long de la terminale.
Par ailleurs, il est temps de revoir le système d’orientation passive par ordinateur tel qu’il est pratiqué jusqu’ici par le ministère de l’Education. L’orientation doit se baser sur les efforts fournis par les élèves durant toute leur scolarité au lycée et plus particulièrement les notes de la dernière année. Le système doit permettre également à l’élève de participer activement à son orientation. Il doit disposer de toutes les informations nécessaires sur les compétences et les capacités exigées pour l’accès et la réussite des études dans les filières de son choix.
Il est nécessaire de réformer nos systèmes universitaire, éducatif et professionnel afin d’assurer plus de cohérence, de logique et de continuité. Ces réformes, tant demandées par tous les partenaires, sont indispensables et urgentes pour contribuer à réduire le taux du chômage de nos jeunes et l’abandon scolaire. Il faudrait également revoir la question de l’exode de nos jeunes pour voir comment les retenir tout en leur garantissant une vie digne et honorable. Il en va de l’avenir de notre pays.
Enfin souhaitons à nos candidats au baccalauréat bon courage et bonne chance aux épreuves avec tous nos souhaits de réussite.
* Professeur à l’Institut national agronomique de Tunisie, à la retraite.
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