Deux anciens Premiers ministres, huit ministres, une fratrie d’hommes d’affaires, plusieurs hauts cadres font partie de la nouvelle charrette du tribunal d’Alger.
Par Hassen Zenati
Le tribunal de Sidi M’Hammed (Alger) a de nouveau eu la main lourde en condamnant mercredi 1er juillet 2020 plusieurs anciens responsables de haut niveau à de sévères peines de prison dans l’opération «mains propres» déclenchée après la chute de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika, et qui en est encore à ses débuts.
La charrette est bien fournie. Elle compte deux anciens Premiers ministres – déjà condamnés lourdement dans d’autres volets de ce procès marathon, et qui doivent encore comparaître dans des affaires à venir – huit ministres, une fratrie d’hommes d’affaires et plusieurs hauts fonctionnaires de l’Etat.
Blanchiment d’argent, abus de pouvoir et corruption
Les mis en cause étaient poursuivis pour blanchiment d’argent, abus de pouvoir et pression sur des fonctionnaires afin d’obtenir d’indus avantages, corruption de fonctionnaires et financement occulte de campagne électorale. Il s’agit en l’occurrence des collectes de fonds pour financer la campagne électorale du cinquième mandat du président déchu, avorté sous la pression de la rue.
Les chefs d’accusation concernent plusieurs grands projets d’infrastructures publiques, dont l’autoroute Boudouaou-Zéralda, la pénétrante de l’aéroport international d’Alger et l’autoroute Est-Ouest. Courant de la frontière tunisienne à la frontière marocaine, parallèlement au littoral, sur une longueur de plus de 1.200 km, l’ouvrage a dépassé son budget initial de plus de 60%, passant de 11 à 17 milliards de dollars, selon des estimations encore provisoires. Sa réalisation, confiée à des groupes chinois et japonais, aux côtés d’entreprises algériennes, a en outre pris beaucoup de retard et connu diverses déboires s’agissait de la qualité du travail accompli.
Prévu pour entrer en service en 2010, l’autoroute, qui dessert 24 préfectures, a été ouverte partiellement à la circulation en 2015, sans que les ouvrages d’art, les stations de péage et les aires de service et de repos prévues n’aient été achevés en totalité.
Principaux condamnés dans ce dossier exhalant depuis ses débuts des odeurs de corruption : Ali Haddad, patron de la plus importante société privée de travaux publics du pays, l’ETRHB, et ses frères Mohammed, Sofiane, Ammar et Méziane.
Sale temps pour les anciens proches de Bouteflika
Accusé principal, Ali Haddad, à la tête de la fratrie, écope de 18 ans de prison et d’une amende de 8 millions de dinars, tandis que ses frères en prennent pour 4 ans de prison chacun et 8 millions de dinars d’amende. Le tribunal a ordonné la saisie de la totalité des biens de la fratrie.
Selon l’évaluation du parquet, Ali Haddad était à la tête d’un groupe de 55 sociétés, qui avait bénéficié de 2000 à 2019 de 275 marchés publics, le plus souvent de gré à gré, de 452 crédits bancaires, dont 80% auprès de banques publiques, et obtenu la cession de 57 biens fonciers dans 19 départements. «Il pleuvait des milliards sur le tribunal», écrit un chroniqueur judiciaire.
Proche du frère et conseiller de l’ancien président, Said Bouteflika, Ali Haddad était président du Forum des chefs d’entreprises (FCE), une puissante organisation patronale, redoutée, qui faisait la pluie et le beau temps dans les ministères économiques et à la présidence, selon la presse algérienne. Il se mêlait même de la formation des gouvernements depuis que le président déchu, éprouvé par la maladie, avait relâché les rênes. Avant sa descente aux enfers, il a été annoncé comme premier ministrable.
Les deux anciens Premiers ministres Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, déjà lourdement condamnés, écopent dans ce dossier de douze ans de prison ferme, assortis d’une amende d’un million de dinars, chacun. «Nous étions des coordinateurs du gouvernement. Nous avons agi en fonction d’un plan de développement validé en Conseil des ministres, puis par les deux Chambres du Parlement», ont-ils tenté de se défendre, en rejetant la responsabilité sur l’ancien président, sans convaincre le tribunal apparemment.
Parmi les huit ministres condamnés figure l’islamiste Ammar Ghoul, président d’un micro-parti, qui faisait l’appoint au sein de «l’Alliance présidentielle» soutenant Abdelaziz Bouteflika. Il en prend pour 10 ans de prison ferme.
Un autre ministre proche des Bouteflika, Amara Ben Younes, a été condamné à 3 ans de prison et 500.000 dinars d’amende. Il est l’auteur d’une phrase célèbre destinée à justifier le maintien à son poste de l’ancien chef d’Etat malade se déplaçant en chaise roulante : un président gouverne avec sa tête pas avec ses pieds.
Plusieurs des ministres ayant occupé le portefeuille de l’Equipement, qui avait en charge la réalisation des infrastructures routières, ont été condamnés dans le même dossier.
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