Pour gagner la paix, il faut préparer la guerre, et montre tes muscles si tu ne veux pas avoir à t’en servir. L’Algérie a bâti sa doctrine militaire sur la synthèse de ces deux adages martiaux empruntés aux Chinois pour sanctuariser son vaste territoire dans une région en ébullition.
Par Hassen Zenati
Issue d’une guérilla de paysans soldats, l’armée algérienne a entamé sa professionnalisation à la fin des années 1990, dans la foulée de la tentative d’insurrection islamiste dirigée par le Front islamique du salut (FIS – dissous), qui lui avait révélé ses multiples failles. Elle a connu en trente ans, une profonde modernisation de son organisation opérationnelle et de ses équipements.
L’Armée nationale populaire (ANP – dénomination officielle) est classée par les revues spécialisées comme l’une des plus puissantes armées d’Afrique, qui aspire à jouer un rôle pivot dans la géopolitique complexe du Maghreb arabe, trait d’union entre le Moyen-Orient et l’Afrique, deux régions déchirées par d’interminables conflits.
Poursuite de l’alliance historique avec la Russie
Forte de 410.000 hommes (230.000 actifs et 180.00 réservistes), selon le Global Fire Power Index de 2020, l’ANP est en passe de faire évoluer sa doctrine d’engagement. Elle a entrepris d’y inscrire la projection à l’extérieur, dans le cadre d’opérations internationales de paix, parmi ses missions constitutionnelles possibles, réduites jusqu’ici à la défense d’un pays-continent très vaste (2,3 millions km2,15 fois la Tunisie), le plus étendu d’Afrique et le 10e le plus grand du monde.
Avec une façade maritime de 1.200 km au centre de la Méditerranée, face à l’Europe, l’Algérie partage des frontières terrestres pour un total de 6.511 km avec sept pays voisins : Libye, Mali, Mauritanie, Maroc, Niger, Tunisie et Sahara occidental, dont plusieurs sont de véritables poudrières.
Les préoccupations régionales sont dominantes dans la diplomatie algérienne et ses traductions militaires. La première visite à l’étranger du nouveau chef d’état-major de l’ANP, le général de corps d’armée Saïd Chanegriha, a été consacrée à la Russie, allié historique d’Alger depuis l’indépendance en 1962, et son principal fournisseur d’armes. Parmi les sujets abordés, si l’on en croit les échos de cette visite à Moscou et à Alger, figuraient la Libye et le Mali, deux pays en proie à des poussées de terrorisme qui risquent de déstabiliser l’ensemble de la région, Maghreb et Afrique subsaharienne.
La menace de nouvelles infiltrations de jihadistes
Pour les Algériens, la question des frontières reste une des plus sensibles. C’est à travers la frontière libyenne que des islamistes s’étaient infiltrés le 16 janvier 2013 pour attaquer le site gazier de Tiguentourine, le plus grand du pays. Le raid terroriste s’est soldé par la mort de 37 otages parmi les personnels gaziers, dont la plupart étaient des étrangers, outre 32 jihadistes tués et 5 capturés.
La riposte massive de l’ANP a depuis dissuadé d’autres groupes jihadistes de récidiver. Mais tant que l’opération Barkhane de traque des jihadistes, conduite par la France en partenariat avec cinq pays du Sahel : Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad, n’aura pas porté ses fruits, la menace de nouvelles infiltrations ne peut être totalement exclue.
En Libye, le chaos auquel le pays est livré depuis l’expédition militaire occidentale contre le régime de Mouammar Kadhafi en 2011, s’est doublé ces dernières semaines par une intensification des ingérences armées étrangères directes, dont celles de la Turquie, de l’Egypte et des Emirats arabes unis. De guerre par procuration entre «frères ennemis», le conflit menace ainsi de se transformer en confrontation directe entre «parrains» étrangers de ces mêmes protagonistes libyens : le président du Gouvernement d’entente nationale (GEN) Fayez Sarraj et le commandant de l’Armée nationale libyenne (ANL), le maréchal Khalifa Haftar.
L’Algérie agacée par la présence militaire étrangère en Libye
L’Algérie, qui déclare se tenir à équidistance des belligérants, s’est proposée comme facilitateur d’une solution politique négociée entre Libyens. Son ministre des Affaires étrangères Sabri Boukadoum, a marqué il y a quelques jours ses craintes, son agacement et son impatience en signifiant que «l’Algérie n’est pas disposée à laisser la Libye se diriger vers un avenir inconnu», après neuf ans «d’enlisement dans une crise qui pèse lourdement sur les Libyens d’abord, mais aussi sur la communauté internationale et principalement les pays voisins, dont l’Algérie». Il a rappelé que «l’approche algérienne» est basée sur l’établissement d’un «cessez-le-feu immédiat et la désescalade dans tous les domaines, y compris en ce qui concerne la répartition des richesses qui doivent profiter à tous les Libyens», relevant qu’il «ne peut y avoir de solution politique si les forces extérieures continuent d’intervenir en Libye».
Alger est par ailleurs impliquée dans la recherche d’une solution politique au Mali. Florence Parly, ministre française des Armées, a indiqué devant la commission des Affaire étrangères du Sénat, que «l’Algérie est un acteur important du processus de paix malien et, probablement, a vocation à le devenir plus encore». Le président Abdelmadjid Tebboune a multiplié les contacts ces derniers jours avec son homologue français Emmanuel Macron sur ces deux dossiers explosifs.
Des exercices de préparation au combat aux frontières
En ligne avec ces préoccupations, l’armée algérienne a bouclé ces dernières semaines ses exercices de préparation au combat, en se livrant à des exhibitions en direction de ses frontières est (Libye), sud (Mali), ainsi qu’en direction de sa frontière ouest (Maroc). Celle-ci est fermée depuis 1994, mais reste néanmoins le siège d’un intense trafic de drogue, que les autorités algériennes souhaitent éradiquer.
Alger se dit par ailleurs préoccupée par le projet de Rabat d’installer un établissement militaire à quelques kilomètres de sa frontière, présentée par la presse algérienne comme une «base militaire» pour mener une cyber-guerre contre l’Algérie, et décrit par le Maroc comme «une petite caserne à vocation d’hébergement de troupes, n’ayant aucunement la dimension d’une base militaire». La décision marocaine a cependant été qualifiée laconiquement par le président Tebboune d’une «autre forme d’escalade» visant son pays. Les deux voisins se livrent depuis quelque temps à une véritable course aux armements.
La 28e armée au classement mondial du Global Fire Power Index
L’armée algérienne occupe en 2020 la 28e place mondiale du classement annuel du think tank américain Global Fire Power Index, sur 138 pays analysés. Elle disposerait de 551 avions de différents types, 880 tanks et 201 unités des forces navales tous types confondus. Elle est la deuxième armée en Afrique après l’Égypte (9e place mondiale) et la première au Maghreb, devançant de loin ses voisins marocains et tunisiens, qui occupent respectivement la 56e et la 81e places mondiales.
À l’occasion de sa campagne d’entraînement 2019-2020, l’ANP a fait usage de nouveaux équipements récemment acquis en Russie, comme le sytème anti-aérien Bouk-M2E visant des drones comme cibles volantes, ou le sytème Krassoukha-4 destiné à faire face à des radars terrestres et aériens, pouvant bloquer tout radar dans un rayon de 300 km.
Selon le site d’information militaire Menadefense, elle vient de réceptionner par ailleurs de Russie les 60 premiers blindés de défense anti-char BMPT-72 Terminator-2, partie d’un contrat portant sur des centaines d’autres. Le site précise qu’avec cet équipement, l’armée algérienne devient de fait l’une des plus puissantes de la région et du pourtour méditerranéen. Il indique aussi que pour la première fois, l’armée algérienne a simulé à l’ouest du pays à tirs réels, un «assaut contre un ennemi et non une contre-attaque», en utilisant le sytème anti-chars russe Kornet-EM. L’exercice a permis de déployer des chars T-90, des hélicoptères Mi-28NE et Mi-171SH, des bombardiers Su-24 et Su-30, des blindés BTR-80 et BMP-1 Berezhok, des camions lance-roquettes BM-21 et des systèmes anti-aériens Buk-M2E, le tout sous un seul commandement intégré.
L’ANP a par ailleurs mis le cap sur l’acquisition de matériels de technologie de pointe pour équiper son armée de l’air. Le site Menadefense indique à ce sujet que l’Algérie va acquérir en Russie 14 chasseurs furtifs Su-57, un fleuron de l’aviation de combat de 5e génération, dont elle sera le premier client étranger. Elle a signé deux autres contrats pour l’achat de 14 bombardiers de type Su-34, dont elle sera aussi le premier client étranger, et 14 appareils de domination aérienne Su-35. En 2025, elle sera en mesure de déployer deux escadrons de Su-30MKA, un de Su-57, un de Su-35 et un de MiG-29M2. Elle a également en sa possession deux escadrons de Su-24 modernisés et un de Su-34 pour la flotte de bombardiers, rappelle Menadefense.
L’Algérie préoccupée par l’équilibre stratégique en Méditerranée
Mokhtar Mediouni, colonel de l’armée de l’air à la retraite, a souligné à l’agence russe Sputnik, la nécessité pour l’Algérie de maintenir l’équilibre stratégique en Méditerranée et la sécurisation de ses frontières et de ses eaux territoriales. «L’armée algérienne n’a pas d’autres choix que de se développer pour faire face à d’éventuelles menaces dues au déséquilibre stratégique induit par l’introduction de ce genre d’avions (furtifs) de 5e génération», a-t-il affirmé. «Elle ira vers tous les partenaires étrangers qui seront disposés à accepter le principe de transfert de technologie et à l’aider les maîtriser, notamment dans les domaines de la surveillance et de la guerre électronique», selon lui.
Selon le site spécialisé Military Watch Magazine, les forces aériennes algériennes sont en 2020 les plus puissantes du continent africain devant l’Egypte, l’Angola, l’Ethiopie et le Maroc. Elles sont les seules du continent à déployer une flotte entièrement composée de la quatrième génération d’avions de combat, souligne Military Watch Magazine. Il précise enfin qu’elles disposent d’une «formidable flotte d’hélicoptères» et du «réseau de défense aérienne le plus dense et le plus moderne du continent».
Donnez votre avis