La polémique suscitée par la proposition d’un illustre inconnu Taoufik Charfeddine pour un ministère aussi important et exigeant que celui de l’Intérieur, n’est pas près de tomber. Et pour cause, tout le monde est gêné par cette candidature imposée par le président de la république Kaïs Saïed. Et personne ne sait quoi en penser au juste.
Par Ridha Kéfi
D’abord, l’indépendance de l’homme vis-à-vis des partis ne peut, dans l’état actuel de nos connaissances, être mise en doute, car il son nom et sa photo n’ont jamais figuré en haut de l’affiche d’aucun des partis actifs en Tunisie. Et ce n’est pas là, à proprement parler, une qualité : l’homme n’a jamais vraiment rien prouvé qui pouvait l’habiliter à occuper un poste aussi important et requérant des qualités de leadership et de chefferie. Dans un ministère où les gradés ne manquent pas et où les petits chefs font souvent la loi, un vrai chef n’est jamais de trop. Et, désolé de le dire, aussi crûment, M. Charfeddine a beau être un bon avocat doublé d’un footballeur amateur, cela ne suffit pas pour justifier la décision de le «bombarder» flic-en-chef.
Un Martien au ministère de l’Intérieur
Par ailleurs, M. Charfeddine, originaire de Kairouan et ayant pignon sur rue à Sousse, où il a sans doute réussi à faire son trou, comme on dit, ou peut-être même d’intégrer des réseaux dans le milieu des avocats (il est membre du bureau de l’Ordre des avocats à Sousse) et des sportifs (il a participé à la création du championnat de football des avocats dont la première édition eut lieu en 2018-2019), est indépendant des partis… mais pas de l’homme qui l’a propulsé manu militari sur la planète Mars, en le proposant, contre toute attente, pour prendre la tête le ministère de l’Intérieur, à savoir le président Saïed, dont il M. Charfeddine a dirigé la campagne pour la présidentielle à Sousse.
Simple renvoi d’ascenseur, fréquent en politique, où l’ingratitude n’interdit pas, parfois, des signes de reconnaissance ? Il faut dire cependant que M. Saïed, un véritable Martien lui-même, complètement perdu dans le milieu politique tunisien, où il ne connaît pas grand-monde et où il soupçonne tout le monde de comploter contre lui, a besoin d’hommes de confiance, et complètement dévoués à sa personne, dans les quatre départements les plus importants à ses yeux : la Justice, la Défense, les Affaires étrangères et l’Intérieur. L’attribution de ce dernier département à M. Charfeddine n’est donc pas un cadeau pour l’avocat de Sousse (sinon un cadeau empoisonné, car il risque d’y laisser toutes ses illusions politiques), mais une assurance vie pour le locataire du Palais de Carthage.
Si, plus haut, on a comparé le ministère de l’Intérieur à la planète Mars, c’est simplement pour dire que M. Charfeddine ne connaît rien à ce département, ni d’ailleurs à l’administration publique en général et à ses modes de fonctionnement (ou de dysfonctionnement) fort complexes où même les ronds de cuir les plus endurcis se perdent parfois.
Un profil lisse n’inspirant ni confiance ni hostilité
Tout cela pour dire qu’au final, les réserves exprimées à l’égard de M. Charfeddine sont fondées. On n’a rien contre sa personne, en tant que telle, l’homme étant lisse et n’inspirant ni confiance ni hostilité, mais son profil aurait, peut-être, fait de lui, à la rigueur et en forçant un peu la décision, un secrétaire d’Etat chargé du Sport. Il aurait été récompensé pour ses services rendus au locataire du Palais de Carthage et personne n’aurait rien à y redire.
On peut certes faire un peu de démagogie et dire que les vocations tiennent parfois à peu de chose et qu’il suffit de mettre le pied sur l’étrier pour devenir un bon cavalier, en citant des exemples de fulgurantes réussites politiques, en Tunisie ou ailleurs, mais on ne comptera pas sur moi pour cet exercice de mielleuse complaisance.
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