Entre promotions méritées mais aussi un parfum de vengeance avec des décisions arbitraires aussi injustes qu’injustifiées, lecture dans le mouvement des ambassadeurs et chefs de poste 2020 dont l’auteur estime qu’il exige quelques retouches. Othman Jerandi, ministre des Affaires étrangères et diplomate de carrière, doit prendre les choses en main et ne pas laisser de telles injustices se produire.
Par Sémia Zouari *
Le mouvement des chefs de postes diplomatiques et consulaires a été partiellement fuité hier, vendredi 4 septembre 2020, et si certaines nominations ont été unanimement approuvées et applaudies, d’autres n’ont pas manqué de susciter les interrogations légitimes des diplomates de carrière.
D’abord, les promotions justifiées et méritées
Commençons par les bonnes nouvelles. C’est un soulagement de voir des femmes diplomates de carrière nommées à des postes importants comme Berlin et Madrid attribués respectivement à nos brillantes collègues Hanène Tajouri Bessassi et Fatma Omrani Chargui. Enfin… Deux autres diplomates de carrière tout aussi estimées Hayet Talbi et Amel Ben Younes remporteraient les postes de Stockholm et Oslo. Des efforts restent à faire pour se rapprocher de la parité car le ministère des Affaires étrangères (MAE) foisonne de compétences féminines contrairement aux allégations des incorrigibles misogynes.
L’ambassadeur Mohamed Ben Youssef, directeur général monde arabe, est nommé au Caire, ce qui est un choix judicieux et cohérent. Il y fera un excellent travail.
De même la nomination à Abou Dhabi de Moez Ben Mime, titulaire de la direction Machrek, où il a fait preuve de toute l’efficacité requise, est saluée unanimement.
Le transfert de l’ambassadeur Nejmeddine Lakhal de New Delhi à Washington est justifié car c’est un parfait anglophone qui a géré le dossier Amérique à la direction générale Amérique et Asie.
Au chapitre des sanctions et des vengeances
Viennent ensuite une série de transferts et nominations qui font figure de sanctions et dont se trouvent victimes des ambassadeurs compétents et respectés.
Kaïs Kabtani, tout nouveau représentant permanent de la Tunisie auprès des Nations unies depuis seulement la fin avril, est muté de New York, où il a excellé en un laps de temps très court, vers Mascate. Décision incompréhensible qui ne manquera pas de susciter des réactions de stupéfaction auprès des membres du Conseil de Sécurité des Nations Unies où nous assurons un mandat mouvementé en dépit du succès remporté avec l’adoption du projet de résolution de Kaïs Saïed.
Comment notre collègue pourrait-il se soumettre à un transfert si arbitraire vers un pays où il ne trouvera même pas de lycée français pour ses enfants? N’y a-t-il pas d’autre alternative? Le laisser à son poste ou le muter vers un autre poste? Des rumeurs circulent sur son remplacement par Sami Bouguecha qui est excellent mais pourquoi toutes ces valses-hésitations qui déstabilisent tout le monde?
Même scénario pour l’ancien ministre des Affaires étrangères Noureddine Erray transféré à La Valette où il n’y trouvera pas d’école française pour ses enfants. Nos frères maltais seront enchantés… Mais lui… pourrait-il accepter ce poste? Un ancien diplomate spécialisé dans les dossiers européens d’autant plus ancien ministre des Affaires étrangères aurait pu nous représenter dans une grande capitale…
Aux dernières nouvelles, il semblerait que finalement le poste de La Valette serait attribué à Hayet Talbi qui céderait le poste de Stockholm à Riadh Ben Slimane, un diplomate de carrière tout aussi aguerri.
Idem pour l’ambassadeur Chafik Hajji muté d’Alger à Khartoum sans qu’il ait démérité à moins qu’il ne faille lui imputer le refus de la Sonatrach de continuer à faire crédit à la Société tunisienne d’électricité et de gaz (Steg) sans que celle-ci n’honore le paiement de ses fournitures de gaz algérien.
Pour l’ambassadeur Riadh Essid, directeur général Asie et Amérique, une affectation bien lointaine à New Delhi alors qu’il s’agit d’une compétence reconnue capable de prendre en charge un plus grand poste.
Surprise également pour la nomination à Nouakchott du très sérieux Sabri Chaabani, en charge de dossiers européens depuis des années.
Enfin s’agissant des nominations politiques, s’il est compréhensible que le poste de Paris soit attribué à un ancien ministre tel que notre très estimé ancien ministre de la Défense Imed Hazgui, il est étonnant de voir nommer l’ancien ministre de l’Intérieur Hichem Fourati à Beyrouth ou Raouf Mradaa à Milan ou encore Romdhane El Fayedh à Alger… Jeddah aussi serait attribuée à un outsider…
Plusieurs postes restent encore à pourvoir (Berne, Budapest, Hambourg, Addis-Abeba, Koweït…) et il serait souhaitable de les voir échapper aux convoitises de qui on sait. Beaucoup de candidats respectables attendent toujours une nomination méritée et il est triste de ne pas les voir figurer dans cette liste… Parmi eux l’ambassadeur Karim Ben Becheur, directeur général Afrique, qui honorerait la Tunisie dans tout grand poste.
Othman Jerandi, vous êtes un diplomate de carrière, tout le corps diplomatique attend de vous voir défendre vos collègues et refuser de les laisser sacrifier à l’arbitraire et l’injustice, jusqu’à donner crédit aux rumeurs concernant l’interventionnisme dévastateur de Nadia Akacha, la superpuissante directrice de cabinet du président Kaïs Saïed. Ne laissez pas brader des compétences car c’est un gaspillage de ressources humaines et comme le disent les musiciens «lorsque l’on a un Stradivarius on ne joue pas avec ‘‘Ah vous dirais-je Maman’’… ça lui abîme les cordes..»
A bon entendeur… En attendant la liste revue et corrigée du lundi 7 septembre où l’on annoncerait d’autres transferts, permutations et nominations…
* Diplomate.
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