Le travail municipal, ce n’est pas le dallage des trottoirs ou l’éclairage public, c’est rendre la vie plus agréable et plus aisée aux habitants de la commune, c’est trouver les solutions aux problèmes épineux, c’est être à l’écoute des doléances des administrés, c’est être citoyen soi même et non gouvernant. Mais sont-ce là vraiment les principales préoccupations des élus locaux en Tunisie ? Qu’on nous permette d’en douter. Explications…
Par Kamel Eddine Ben Henia *
Ghassan Salamé (ex-médiateur de l’Onu en Libye), déclarait dans une de ses interviews : «Je ne suis pas un Don Quichotte,mais j’ai le courage de mes idées et de mes convictions»; et je vais tenter de m’y faire moi aussi; car je voudrais bien m’accrocher encore un peu à l’idée qu’on peut toujours espérer un réveil constructeur et salutaire.
Je n’arrive toujours pas à discerner entre l’action municipale à laquelle on nous a habitués, et celle qui se veut aujourd’hui autonome et «révolutionnaire», avec l’appellation alléchante d’«autorité locale».
Les deux versions ont été et sont d’ailleurs de simples autorités, sans initiative autonome, sans le moindre soucis des vrais préoccupations des administrés, qu’on invite à prendre part aux réunions périodiques des conseils municipaux uniquement pour se conformer aux règles d’usage, et on a remarqué le nombre réduit de citoyens qui y participent, dans des salles de réunion presque désertes (je parle du moins de salles qu’il m’a été donné de visiter), le cœur n’y est pas quand on sait que mis à part les questions de proximité, aucune doléance importante ne trouve la bonne réponse, et même si c’est le cas on évoquera toujours la question de la lourdeur des procédures, et l’impossibilité des démarches, vu que «c’est une situation héritée», dans certains cas on renvoie certains problèmes à la compétence du gouvernorat, voire même à l’autorité centrale, et on vide l’autonomie d’action de son sens.
Le champ illimité du travail municipal
On constate la même stérilité au niveau des discussions des budgets participatifs à la fin de chaque année, où le choix n’est pas laissé aux citoyens dans la définition des priorités, mais au conseil municipal qui fixe le champs d’application limité le plus souvent au problèmes de proximité (parfois on vote le réaménagement d’une rue qui a toutes ses commodités, mais on détruit tout et on réaménage à nouveau, à la grande surprise des habitants qui ne comprennent pas le pourquoi d’un tel gaspillage; l’important c’est de solder le budget de l’année qui s’écoule.
À un moment donné, j’ai pris la décision de me confiner dans l’indifférence totale, en m’abstenant de toutes activités, de tous commentaires et de toutes suggestions que je considérais comme vains dans ce marasme infernal que nous vivons et qui semble perdurer malheureusement, mais l’idée d’œuvrer au changement des choses me pousse à me réengager dans une lutte désespérée empreintes d’un espoir factice, qui me laisse croire qu’un jour, on cessera de considérer le travail municipal uniquement sous l’angle des projets de proximité (tâches routinières et automatiques).
Le travail municipal, ce n’est pas le dallage des trottoirs ou l’éclairage public, c’est rendre la vie plus agréable et plus aisée aux habitants de la commune, c’est trouver les solutions aux problèmes épineux, c’est être à l’écoute des doléances des administrés, c’est être citoyen soi même et non gouvernant.
Les autorités locales ne semblent pas mesurer le degré de gravité de la façon dont elles gèrent les affaires communales, et qui confisquent le bonheur des citoyens. Personne ne semble conscient d’une situation devenue comique pour ne pas dire burlesque, personne ne semble mesurer le degré du ras-le-bol des citoyens, qui ne se sentent plus délaissés comme dans le passé, mais totalement exclus d’une société dont ils ont toujours rêvé. Ils prennent conscience du fait que le code des collectivités locales n’est qu’un simple écrit comme tout autre texte, inapplicable et totalement insignifiant, incolore, inodore et sans goût, comme disait un ancien ministre. Ils sont devenus ou plutôt ils sont demeurés les soumis à l’ordre établi.
Voilà où nous en sommes. Un peuple qui regarde un horizon sombre, et sans lendemain, livré à lui-même dans un chaos désespérant, et qui continue à se sacrifier pour une utopie dont le réveil sera douloureux. On effacera alors comme de coutume, rapidement, ce drame comme tant d’autres, et on continuera dans la dérive.
Cette longue introduction m’amène à aborder deux questions importantes, au niveau de deux communes, en l’occurrence les mairies de Tunis et de Ben Arous.
La mairie de Tunis :
L’axe principal de la capitale, qui est l’avenue Habib Bourguiba, et qui sous d’autres cieux représente le centre névralgique de la ville principale, voire même la vitrine du pays, est laissé à l’abandon et ce n’est un secret pour personne, le charme de cette grande artère historique, a déjà été altéré depuis les années 90, ou on l’a démunie de toutes ses attractions, tels que les fleuristes et les kiosques à journaux pour ne citer que ces deux exemples. On a beaucoup espéré une reprise en main après 2011, or c’est l’inverse qui s’est produit, on sait par définition que toute révolution construit, or chez nous il semble que toute notion semble perdre sa valeur.
La mairie de la capitale n’a pas trouvé mieux à faire que de faire disparaître les bancs publics, sous prétexte, aux dires de certains, du respect des consignes sanitaires lors du confinement décrété par les autorités, mais c’est le «on dit», car aucun communiqué n’a été publié à ce sujet, on persiste dans le mystère, laissant le citoyen tiraillé entre de multiples interprétations. Mais si c’est le cas de mesures sanitaires, le confinement a été levé, pourquoi donc les bancs n’ont pas été réimplantés, pour relancer l’animation de cette avenue symbolique, et lui rendre ainsi sa vocation de lieu de promenade et de rencontres, qui contribuera à rééquilibrer un tant soit peu l’harmonie et l’esthétique, d’une artère qui continue à symboliser la liberté et la cohérence, ce sera un soulagement relatif, face aux angoissantes barricades autour de l’ambassade de France et du ministère de l’Intérieur, qui sont devenues obsolètes, si on considère que l’avance des technologies de pointe procure la capacité de se protéger et d’être vigilants sans défigurer le paysage urbain. Déjà délaissées avant même 2011, cette artère est devenue un lieu désert et hostile, dans un pays supposé être touristique.
Si on considère la suppression des bancs publics comme le moyen adéquat d’éviter les contacts directs et les encombrements entre les citoyens pour parer à la propagation du coronavirus, on ne pourrait que rire d’une telle mesure, car les passants et les promeneurs en quête d’un peu de repos, et en l’absence des bancs publics, se trouvent contraints de se ruer sur les arceaux et les clôtures métalliques des espaces verts entre les arbres centenaires, et s’y installent inconfortablement certes, mais au risque de les déformer (fer forgé ) à longueur de temps, pire encore les bacs à fleurs sont aussi utilisés à cet effet, et donc le but recherché par l’enlèvement des bancs semble compromis, car cette situation est préjudiciable à plus d’un titre, et les gens continuent à se frotter les uns aux autres, presqu’assis à même le sol, ou sur l’esplanade du théâtre municipal, altérant encore plus l’esthétique de l’avenue, et on laisse un goût d’amertume pour ceux qui ont pris pour habitude de se reposer sur les bancs publics, ne pouvant pas se permettre le luxe de s’installer dans l’une des terrasses des cafés de l’avenue, qui pratiquent des tarifs inabordables pour certaines bourses.
S’il est vrai que le retrait des bancs publics est conséquent des mesures sanitaires, alors pourquoi permet-on aux terrasses des cafés d’exister et même des bancs des jardins publics? Le risque n’est il pas le même? Pourquoi la mairie de Tunis ne juge-t-elle pas nécessaire d’éclairer les citoyens à ce sujet ? Je dis citoyens et non administrés car l’avenue Habib Bourguiba appartient à tous les Tunisiens.
La mairie de Ben Arous :
Je me limiterai à évoquer la dégradation de la situation écologique dans une partie de la ville, malgré les doléances des administrés et les promesses électorales non tenues. Je ne parlerai ni du problème des eaux pluviales, qui est simple à résoudre si on essaie ne serait qu’une fois d’écouter les propositions des citoyens, ni d’autres contraintes qu’il serait pervers de mentionner, vu leurs diversités.
Habiter certains arrondissements de la circonscription de Ben Arous-Est est devenu synonyme de cauchemar. Cette circonscription est devenue un vaste champ de casse et de ferraillage de toutes sortes, triste héritage d’une époque qu’on croyait révolue. Il va sans dire qu’on ne doit pas oublier les garages de mécanique et de peinture auto, et des mécaniciens qui travaillent à même les trottoirs, au bon milieu des zones d’habitation.
Les commerces de pièces de rechanges usagées et de vieux moteurs prolifèrent à vue d’œil, et jusqu’à présent, je me demande s’il existe un plan d’aménagement municipal les autorisant à exercer légalement, ce qui est loin d’être le cas, quand on constate les dégats causés à tous les habitants et surtout aux infrastructures de base tels que les trottoirs et les chaussées (les services municipaux dallent les trottoirs pour que ces dits commerçants se les approprient au dépens des piétons et des habitants, et ce n’est qu’un détail).
Si on remonte un peu vers le début des années 70, on se rappelle qu’il y avait un champs de casse, un vrai marché de ferraille, tout le long de la route de Sousse (GP1), qu’on a tenu à déplacer et transférer vers Henchir Lihoudia (il y est à ce jour) car il altérait le paysage, alors il fallait préserver l’esthétique et embellir l’entrée de la ville de Ben Arous.
Aujourd’hui toute cette ferraille fait son retour sous forme de commerces de pièces de rechange usagées, installés dans des locaux insalubres, démunis de toutes normes d’hygiène, et employant de jeunes enfants dieu seul sait sous quel régime, et à quel prix, au beau milieu des zones d’habitation, et malgré la contestation de certains habitants, et surtout dans un silence de mort des services municipaux qui observent et laissent faire.
On pouvait admettre cela à une époque donnée ou on vivait sous la contrainte (ce genre de commerce était contrôlé par des familles puissantes), mais aujourd’hui, on attend vainement l’action municipale tant vantée et qui tarde à venir, ne serait-ce qu’au niveau du contrôle de la dégradation des chaussées et des trottoirs (il n y a qu’à constater l’état des chaussées nouvellement goudronnées).
Est-ce que ces commerces exercent légalement ? Sont-ils tous patentés ? J’en doute fort, car c’est l’anarchie totale qui règne. Est-ce que les propriétaires qui ont loué leurs locaux, et gagnent des sommes énormes, la plupart du temps non déclarées, habitent encore ces ateliers à ciel ouvert ?, et surtout sont-ils soumis à des mesures fiscales?, et pourquoi ne les traite-t-on pas au même titre que les entrepreneurs qui ne déclarent pas leurs bénéfices au fisc? Est-ce que le service d’hygiène de la commune a procédé à l’agrément des normes sanitaires des locaux des commerces ouverts, et dans ce cas, pourquoi aucun commerce n’affiche les certificats de validation des locaux, qui doivent être aussi supervisés par la protection civile? Est-ce que la police municipale et la police de l’environnement peuvent interdire à des mécaniciens de démonter des voitures à même les trottoirs au grand dam des habitants ? Où en est la vigilance municipale face aux propriétaires qui transforment illégalement leurs habitations en de multiples locaux démunis de toute hygiène qu’ils louent par la suite ? Qui a délivré les permis de construire quand on sait que chaque demeure d’habitation n’a droit qu’à un seul garage de voiture ? Autant de questions qui n’ont aucune réponse claire et convaincantes.
Dans les programmes électoraux, tous les candidats ont promis une défense acharnée de l’environnement et des conditions d’une vie tranquille des habitants, certains parlaient même de créer des taxes imposées aux pollueurs, on a même laissé entrevoir la possibilité de créer une mini zone industrielle pour contenir tous ces commerces pollueurs; et il ne fait aucun doute, que toutes ces promesses sont restées lettres mortes, pire encore ces commerces envahissent de plus en plus nos quartiers; avec une particularité, c’est que la plupart de ces commerçants n’habitent pas l’arrondissement-est de Ben Arous.
La mairie à son tour n’arrive pas à éradiquer ce fléau, elle assiste passivement à la prolifération de cette anarchie et son expansion à d’autres endroits de la ville car, et jusqu’à ce jour, on continue à déborder sur d’autres rues sans que personne n’intervienne, et l’on se demande jusqu’où supporterons-nous cette vie au milieu des produits nocifs, et des bruits des moteurs des mécaniciens qui testent ce qu’ils ont réparé (certains testent les freins des voitures, avec des vitesses vertigineuses, entre les maisons). Pourquoi le conseil municipal ne stoppe pas dans un premier temps l’accroissement du nombre de ces commerces, et d’œuvrer à régulariser ceux existants? Il y a des citoyens qui, faute d’être soutenus par un conseil qu’ils ont élu, n’ont pas trouvé d’autre solution que celle d’ester en justice, et de bénéficier de jugements définitifs qu’ils peinent à appliquer.
Il m’est arrivé d’exprimer mon avis sur la crédibilité des nouveaux conseils municipaux Qui est à mettre en doute et je ne crois pas m’être trompé, car il n y aucune lueur d’espoir à l’horizon, ce qui est palpable, c’est que le conseil municipal ne compte pas changer de stratégie, on prend les affaires en cours et on assure la continuité, d’où cette gangrène qui n’est pas prête de la guérison. Je constate pour ma part qu’il y a un dysfonctionnement au niveau de la prise de décision, à tous les niveaux.
Ce que tous les électeurs ont exigé des candidats, c’est un changement total ,et une application stricte de la loi ,sans hésiter et sans trembler. Or ce qu’on constate c’est un vrai laisser faire, on est passif face aux garages de mécaniques, aux garages de peinture auto et leurs nocivités, aux voitures démontées à même les trottoirs, aux trottoirs qui n’existent plus surtout dans certaines grandes artères, c’est un no man’s land qui nous est imposé.
Je suis vraiment déçu, et croire que la déception est un mal insurmontable, c’est comme si on admettait une impuissance due à l’injustice que nous impose la vie, et qui devient une colère insurmontable.
* Ancien cadre d’administration.
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