L’exemple de la Tunisie prouve bien que l’islam n’est pas une religion qu’on peut livrer ainsi à la gestion libre de ses fidèles, et que quand cela arrive, ce sont toujours les groupes organisés et riches qui finissent par prendre le contrôle des mosquées par le biais de l’influence issue des associations caritatives qu’ils financent, et par y imposer un discours wahhabite exclusif et sectaire. Et en fin de compte, en assurant le contrôle de la mosquée, en France, par l’Etat français, Macron n’agit pas autrement que ne l’ont toujours fait les émirs musulmans des temps anciens, et les gouvernements des pays musulmans des temps présents.
Par Dr Mounir Hanablia *
Il y a quelques jours, Emmanuel Macron a été accusé ici en Tunisie d’avoir recours à des mesures discriminatoires à l’égard des musulmans. Ainsi que l’a écrit une chroniqueuse sur sa page fb, le président français essaierait d’empêcher l’extension de l’islam en France. Elle se référait sans doute aux mesures envisagées en France d’interdire les sermons et les prêches en langue arabe dans les mosquées, ainsi que de nommer les imams, et d’exercer un contrôle sur leurs discours adressés aux fidèles. Atatürk n’avait pas agi différemment, et le Coran avait même été traduit en turc.
Macron compare la Tunisie d’avant et d’après 2011
En fait les mesures annoncées, à l’exception évidemment de celle concernant la langue arabe, sont celles qui ont cours dans la majorité des pays arabes, à la notable exception de la Tunisie, où depuis 2011, un tel contrôle ne s’exerce plus. Fallait-il donc s’étonner que Macron enfonce le clou en comparant justement ce qu’était notre pays avant à ce qu’il est devenu maintenant, malgré le bon niveau général d’éducation de la population? Avant, c’était bien sûr l’époque de Ben Ali, mais ce que Macron, poursuivant dans la même voie a voulu dire, c’est que si un pays éduqué comme la Tunisie est actuellement confronté à de tels problèmes de terrorisme, de crise économique et sociale, d’émigration clandestine, ce n’est pas à l’ignorance qu’il le doit, mais à l’islam lui-même, et plus précisément à l’organisation libre du culte musulman en dehors de l’autorité de l’Etat qui a cours depuis l’époque de Ben Ali.
En faisant étalage de son hostilité à l’islam, Macron peut certes autant viser à récupérer les faveurs de l’électorat populaire, devenu hostile avec les gilets jaunes, les licenciements massifs, les grèves des transports publics, le coronavirus. Mais il doit non moins certainement justifier auprès des Etats arabes et musulmans l’ingérence de l’Etat dans le culte musulman, et surtout par là même son entorse au principe de la laïcité, sur le sol français bien entendu, parce que du temps de la colonisation française, la mosquée a toujours été inféodée à ses exigences, au Maghreb et ailleurs.
Mais ces commentaires n’ont pas laissé certains tunisiens indifférents. Ahmed Nejib Chebbi a ainsi dénoncé l’ingérence du président français dans les affaires internes de la Tunisie ainsi que ses propos relatifs à l’islam, et il a été suivi par le député Yassine Ayari, qui s’est demandé ce que serait la réaction de la France si le président tunisien en commentait la situation actuelle à celle qui prévalait sous De Gaulle ou Mitterand. Mais ces critiques, qui s’apparentaient beaucoup plus à un patriotisme de circonstance, sont demeurées marginales. Les plus hautes autorités tunisiennes ont préféré ne pas donner suite aux propos du président français, tout comme les principaux partis politiques, ou les partis populistes, qui avaient bâti une partie de leur campagne électorale sur les réparations dues selon eux par la France.
Cependant, et abstraction faite du caractère peu diplomatique, ou peu amène, des propos de Macron, en particulier celui concernant l’islam en tant que deuxième religion de France partagée par 6 millions de personnes, il y a une réalité indéniable. L’Etat français pouvait fermer les yeux sur les mosquées contrôlées et financées par le Qatar et ses agents Frères musulmans, et il l’a fait. Il ne le peut plus lorsque l’obédience en est transférée à la Turquie, un pays perçu comme belliciste ou belligérant en Libye, en Syrie, en Méditerranée orientale contre la Grèce et Chypre, et maintenant, au Caucase, dans le conflit du Nagorno Karabakh.
On ne peut réellement pas reprocher au président français pour se justifier de citer justement le cas tunisien, où la mosquée, désertée par l’Etat pendant le gouvernement provisoire de Beji Caid Essebsi, en 2011, était tombée sous le contrôle d’Ennahdha ou de groupes jihadistes comme Ansar Charia. La conséquence en perdure jusqu’à aujourd’hui.
Les islamistes veulent mettre le secteur de l’information sous leur contrôle
Les islamistes occupent le quart des sièges du parlement, et grâce aux alliances qu’ils contractent avec des partis politiques opportunistes, rien ne peut politiquement se faire sans leur assentiment. Leurs députés peuvent faire les déclarations les plus inacceptables concernant des accusations de financement illégal contre leurs adversaires, en incriminant des pays étrangers, ou des services secrets, ils ne font l’objet d’aucune information judiciaire. Les personnes arrêtées pour suspicion de participation à des entreprises terroristes sont souvent immédiatement relâchées.
Un journaliste d’investigation avait dévoilé, il y a plusieurs mois, l’existence d’une école coranique de la haine, qualifiée d’Ecole Daech, avec des enfants maltraités, dans les environs de Sidi Bouzid; les faits ont été corroborés par des témoignages de personnalités dignes de foi, des associations, des juges, des députés, qui ont pu approcher les enfants. Les parents ayant décidé de ne pas porter plainte, pour des raisons qu’on ignore, la justice a blanchi le directeur de ladite école de l’accusation de terrorisme et de traite d’êtres humains. On ignore encore ce qu’il en est advenu de celle d’abus sexuels sur mineurs, mais ceci n’a pas dissuadé l’avocat de la défense, en l’occurrence le désormais célèbre Seifeddine Makhlouf, surnommé par certains journalistes «l’avocat des terroristes», ou du terrorisme, de faire claironner par le biais du parti populiste qu’il préside, Al-Karama, de l’innocence de son client, et de dénoncer ce qu’ils appellent les médias de la honte et les journalistes corrompus, pour avoir monté de toutes pièces un dossier dénué de toute réalité factuelle, afin d’induire l’opinion publique en erreur.
Al-Karama est ce parti dont certains représentants font l’apologie de la force sur leur page fb, et l’exercent verbalement, ou semble-t-il parfois physiquement, dans l’enceinte du parlement. Le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) a rejeté ces accusations et ces insultes, et a appelé ses membres à boycotter ledit parti politique, dont les sections d’assaut ont inondé la page fb du syndicat de commentaires désobligeants.
C’est que cette affaire tombe à point nommé pour le parti populiste dont l’hostilité aux syndicats ne s’est jamais démentie, et qui vient de déposer un projet de lois visant à mettre fin aux activités de la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica), dont le mandat est arrivé à échéance depuis plusieurs mois, et surtout, à créer un fait accompli irréversible avant l’élection des membres de la Cour Constitutionnelle, pour autant que celle-ci voie le jour, puisque depuis 6 ans, le pays en est privé, la faute en revenant avant tout à la part belle faite, dans la Constitution, aux partis politiques dans le choix de ses membres. Et d’ailleurs, l’autorité provisoire chargée d’examiner la constitutionnalité des lois, qui fonctionne depuis plus de 6 ans en dehors du cadre constitutionnel, n’a pas soulevé autant d’intérêt.
Evidemment cette loi si elle était votée profiterait avant tout à l’allié parlementaire d’Al-Karama, Nabil Karoui, président du parti Qalb Tounès , et patron de la chaîne privée de télévision Nessma, émettant illégalement et accusée plusieurs fois par la Haica de violation de la loi, accusations dont l’ancien chef de gouvernement Youssef Chahed s’était servi pour en obtenir la fermeture pendant quelques jours lors de la campagne présidentielle de M. Karoui.
Cette loi profiterait également aux chaînes radio Zitouna et Al Qoran qui ont également été dans le collimateur de la Haica. Elle ferait surtout de la Tunisie un pays ouvert aux vents de la mondialisation où n’importe qui, de quelque origine qu’il soit, pour peu qu’il disposât des moyens financiers nécessaires, pourrait dans le domaine des médias audiovisuels, dire et faire n’importe quoi.
Mohamed Abbou, l’ancien ministre de la Fonction publique, de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption, avait bien porté des accusations très précises concernant le financement illégal et le blanchiment d’argent contre 4 chaînes privées opérant dans le champ audiovisuel. Mais comme d’habitude, ces accusations sont demeurées sans suite.
Malgré l’existence de lois spécifiques les réprimant, il n’y a jusqu’à présent jamais eu en la matière de poursuites contre une association ou un parti politique pour pratiques illégales. Mais que la Haica soit ou non caduque, la poursuite de sa mission relève des lois de la nécessité et ne pourra se conclure qu’avec l’institutionnalisation d’une nouvelle autorité de tutelle. Ce n’est pas l’avis des islamistes pour qui l’information doive tomber sous leur contrôle afin d’assurer leur emprise idéologique et politique sur la société dans son ensemble. Et leurs accusations contre la gauche dite éradicatrice, qui avait selon eux collaboré avec Ben Ali dans sa guerre aux islamistes, prouvent bien leurs motivations.
Makhlouf et les islamistes cherchent à assurer l’impunité aux terroristes
Maintenant ces islamistes voient dans le syndicat des journalistes un outil au service des ambitions politiques d’Abir Moussi et du Parti destourien libre (PDL). Mais le parti Al-Karama, doté d’une frénésie législative, ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Profitant de la réelle émotion soulevée dans le public par des crimes horribles, ou bien de l’agression perpétrée contre son député Mohamed Mouha, à Bizerte, dont les mobiles demeurent obscurs, il a déposé un autre projet de loi, dont en réalité l’objectif principal est de diluer et de banaliser la signification du mot terrorisme juridiquement dans un concept plus vaste, celui du crime accompagné d’agression physique, en l’élargissant à toutes les formes les plus violentes et les plus horribles des agressions de droit commun, et en y incluant l’apologie de la dictature, ou bien l’appel au renversement ou au blocage des institutions démocratiques. Et dans le même temps, ce projet de loi prétend rendre la dénonciation du terrorisme soumise à des conditions, telles que l’ignorance par les autorités des actes rapportés, ou bien passible de poursuites pénales quand elle s’accompagne de l’accusation de takfirisme, c’est-à-dire de jeter l’anathème sur les apostats rendant leur meurtre licite, ou que cette dénonciation se révèle infondée. Et ce faisant, ce que les islamistes d’Al-Karama et leurs alliés veulent, c’est que l’impunité, du dénonciateur, et le secret dont son identité doive être entourée, fondements des lois antiterroristes à travers le monde, soient remis en cause, afin de dissuader tout candidat éventuel. Plus que cela, ils prétendent accorder à tout condamné par contumace pour terrorisme la possibilité de déposer un recours auprès de la justice, et de comparaître en liberté, devant le tribunal, pour le faire.
On l’aura bien compris, si ce projet de loi prétend bien s’opposer spécifiquement à Mme Moussi et au PDL, en réalité, ses implications sont beaucoup plus larges et aboutissent à une véritable omerta. Le citoyen qui dénoncera un acte de terrorisme, ou bien des suspects, outre qu’il risquera naturellement sa peau, encourra en prime des poursuites pénales, pour peu que la justice n’en établisse pas le bien-fondé, ce qui arrive la plupart du temps. Le dossier toujours fermé des combattants tunisiens en Syrie en constitue l’une des preuves les plus évidentes.
Le retour insidieux de la charia et l’islamisation rampante des lois
Pour en revenir aux propos de M. Macron, il faut donc se rendre à l’évidence : si les Français peuvent toujours lui reprocher, en livrant Alsthom à Général Electric, d’avoir placé la France à travers son secteur énergétique, entre les mains du gouvernement américain, on ne pourra pas prétendre que ses avertissements concernant un problème de l’islam en Tunisie soient dénués de tout fondement. Au nom de l’article I de la Constitution, qui cite l’islam comme religion de l’Etat, il y a en effet désormais une réelle volonté des partis islamistes opérant au sein du parlement d’imposer à la société tunisienne par le biais de lois adaptées un endoctrinement progressif, grâce au contrôle des médias, à la mise au pas de toute forme d’opposition, politique ou syndicale, et à la neutralisation de toute velléité de lutte contre la forme la plus dévoyée de la religion musulmane, le terrorisme.
Les appels à l’application de la peine de mort contre les condamnés entrent d’ailleurs dans ce cadre du retour insidieux de la charia et l’instauration d’un fond de la zakat, en réalité destiné à fidéliser une clientèle électorale, avait été rejeté par la majorité du parlement mais il est néanmoins revenu par la petite fenêtre des collectivités locales, en cela constitue un autre exemple de ce petit jeu où on utilise les institutions les unes contre les autres afin de tendre vers le but qu’on s’assigne en vertu de procédures de plus en plus rodées . On avait ainsi suspendu la décision d’une municipalité d’interdire un spectacle pour raison de Covid-19, parce que le spectacle en question était devenu un cheval de bataille des islamistes au nom de la liberté d’expression. Leur alliance parlementaire avec les milieux d’affaires, ou certains parmi eux, dont M. Karoui est le meilleur représentant, en constitue une seconde caractéristique, et rappelle à cet égard celle qui avait eu lieu en Allemagne entre le Parti national socialiste, le milieu chrétien conservateur, et le conglomérat industriel et financier, dans le but de s’opposer au communisme.
Dans tout ceci, il est bien évident que le niveau de vie qui chute du citoyen, l’inflation, l’économie du pays à la dérive, les victimes de la pandémie au coronavirus, les guerres qui se profilent, l’émigration clandestine…, rien n’entre dans les préoccupations de partis politiques qui semblent ne s’être assigné d’autre mission que d’envoyer leurs électeurs au paradis des crédules… et d’en retirer des profits plus que substantiels.
L’exemple de la Tunisie prouve bien que l’islam n’est pas une religion qu’on peut livrer ainsi à la gestion libre de ses fidèles, et que quand cela arrive, ce sont toujours les groupes organisés et riches qui finissent par prendre le contrôle des mosquées par le biais de l’influence issue des associations caritatives qu’ils financent, et par y imposer un discours wahhabite exclusif et sectaire. Et en fin de compte, en assurant le contrôle de la mosquée, en France, par l’Etat français, Macron n’agit pas autrement que ne l’ont toujours fait les émirs musulmans des temps anciens, et les gouvernements des pays musulmans des temps présents. Doit-on vraiment lui en tenir rigueur?
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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