Dans le but de «dynamiser la production scientifique et pour assurer un meilleur classement des universités tunisiennes dans le monde», le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique a instauré en mai 2019 une prime à la production scientifique. Cette mesure, applaudie par les syndicats – d’après le ministre de l’époque – et bien accueillie par les universitaires chercheurs, est à l’évidence une mesure louable et positive. Nous nous en félicitons. Cependant, sa toute récente mise en œuvre vient d’en révéler certains «travers» qu’il importe d’exposer pour envisager leur éventuelle correction.
Par Abdellatif Mrabet *
En vérité, s’agissant de sciences humaines et sociales, le présent mode de calcul de cette prime à la production scientifique nous paraît beaucoup plus servir l’objectif de classement international qu’il ne vise à dynamiser la production scientifique.
En effet, parmi les critères aujourd’hui retenus dans l’établissement de la prime, nous ne trouvons pas la catégorie de publication la plus consentie par les universitaires chercheurs et la mieux partagée par nos laboratoires et unités de recherche en sciences humaines et sociales, à savoir les contributions aux actes de colloques internationaux. Ne pas retenir ce type de publication est véritablement aberrant car, dans les faits, cela équivaut à saborder l’action des laboratoires et des unités de recherche et à détourner de ces structures les chercheurs qui, de ce fait vont regarder plus du côté des revues étrangères indexées. Or, celles-ci, qu’on se le tienne pour dit, ne sont pas toutes de la valeur et de la qualité attendues et leur impact scientifique n’est pas toujours lié à leur indexation. Afficher un comité de lecture ne doit pas être systématiquement considéré comme étant un absolu label de qualité.
Par ailleurs, il ne fait pas de doute que certaines publications tunisiennes parues dans des actes de colloques ou des revues non encore indexées ont des impacts scientifiques bien reconnus des grands spécialistes qui d’ailleurs les citent abondamment dans ces mêmes prestigieuses références.
Soutenir nos revues pour qu’elles puissent gagner en notoriété
Certes, les bases de données bibliographiques et bibliométriques internationales – Scopus d’Elsevier, Web of Knowledge (ISI), Google Scholar – garantissent aux publications ainsi qu’à leurs auteurs une visibilité à l’international. Nous en convenons pleinement et c’est en conséquence que nous recommandons de soutenir nos propres revues pour qu’elles puissent – elles aussi – gagner en notoriété et disposer des moyens nécessaires à la qualité, à la régularité de parution, et à la visibilité internationale. Ce faire leur attirera pour sûr des auteurs de l’étranger et inversera par voie de conséquence une tendance que malheureusement, le présent mode d’évaluation – dit d’encouragement à la production – tend à consacrer.
Autrement dit, cela contribuera aussi à créer une dynamique de nature à servir la recherche dans le pays tout en permettant – en même temps – d’atteindre cet objectif de meilleur classement à l’international.
Publier en Tunisie mais avec avec une plus grande visibilité internationale
Le Centre national universitaire de documentation (CNUDST) a fait, il y a quelques années, certains pas dans cette direction en montant «un projet de valorisation des revues scientifiques tunisiennes». Il faut poursuivre cet effort et œuvrer à ce que nos chercheurs en sciences humaines et sociales puissent trouver en Tunisie où publier avec une garantie de plus grande visibilité.
De même, telle qu’elle vient d’être établie, la prime d’encouragement à la production scientifique ne prend pas en considération ou ne bonifie pas cette autre catégorie de production scientifique que constituent les contributions aux ouvrages thématiques et collectifs, lesquels, dans beaucoup de domaines, sont des livres scientifiques à part entière. Grand nombre de ces références sont d’autant plus appréciables qu’elles satisfont souvent aux objectifs de la stratégie nationale de recherche et développement, vouées aux priorités retenues par le ministère lui-même. Les experts du Comité national de l’évaluation des activités de la recherche scientifique (CNEARS) sollicités pour l’appréciation de ce type de contributions doivent convenir de leur utilité et les noter en conséquence. On ne peut pas plaider la cause du développement et en même temps négliger d’encourager ceux qui y sacrifient en lui consacrant des travaux appropriés.
La recherche scientifique n’est pas que classement à l’international
Certes, il est important de courir le classement mondial des universités pour essayer d’y avoir une meilleure position mais, ce faire, ne doit pas – sous quelque prétexte que ce soit – nous conduire à minorer celles de nos publications qui servent nos priorités nationales et visent le développement du pays. Le tout est une affaire de notation, de pondération car les deux objectifs ne sont pas antinomiques et la recherche scientifique n’est pas que classement à l’international.
Il y a une spécificité sciences humaines et sociales dont il faudra mieux tenir compte à l’avenir. Sans cela, il ne saurait y avoir de réel encouragement à la production scientifique ! Sans cela, on ne peut soutenir vouloir «dynamiser la production scientifique».
* Professeur d’histoire, Directeur de laboratoire de recherche.
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