Le débat et la discussion contradictoires, sur l’islam et tout autre sujet, en France ou ailleurs, doivent pouvoir avoir lieu, sans censure, à l’université et en dehors, sans prêter le flanc à la discrimination ou à la mise en cause indistincte de nos concitoyens musulmans. C’est à ce prix que le niveau du débat s’élèvera, et que les logiques de suspicions se résorberont, à défaut de disparaître complètement.
Par Haoues Seniguer *
Depuis au moins trente ans, les débats autour du fait islamique et des musulmans suscitent beaucoup de passions : de l’émoi, de l’inquiétude, de la lassitude et parfois aussi, de la colère de la part des premiers concernés. Ces derniers se sentent pris en otage par des discours au sein de l’espace politique et médiatique, lesquels peuvent aller jusqu’au mépris ou pire. Les musulmans confessants et visibles dans l’espace public sont ainsi vite assimilés aux islamistes qui eux, nonobstant leur légalisme, sont associés aux djihadistes, et la boucle est bouclée… Le discours du président Emmanuel Macron du 2 octobre 2020 contre «les séparatismes» n’a pas levé toutes les ambiguïtés, notamment celles afférentes à la distinction stricte entre le rigorisme religieux islamique, et ses effets réels ou supposés en société, et l’islamisme, qui peut flirter avec des attitudes et comportements à la fois sécessionnistes et violents.
La culture de la science ne prémunit pas contre l’aveuglement
Si l’on a bien des raisons objectives de souligner des errements dans les champs médiatique et politique lorsqu’il s’agit de traiter en toute rigueur de la place de l’islam et des musulmans, l’espace académique n’est pas pour autant totalement exempt d’approches manichéennes sur le sujet. Elles existent. Il faut savoir l’admettre. La culture de la science ne prémunit pas contre l’aveuglement, toujours possible.
J’aimerais, à ce titre, rapporter une expérience personnelle qui est cependant révélatrice des verrous quelquefois posés sur la porte islam/islamisme. J’ai toujours considéré, aujourd’hui plus qu’hier, qu’il était nécessaire, à la fois scientifiquement, socialement et éthiquement, de s’exprimer avec précision et nuance sur une réalité complexe, mouvante et contradictoire. De nourrir, intelligemment, la controverse.
Hélas, en dépit de toutes ces précautions méthodologiques, c’est-à-dire la prise en compte des formes réellement diverses d’expression publique de l’islamité et même de l’islamisme (qui n’est pas toujours violent au plan des moyens matériels) dans le paysage social français, le chercheur François Burgat, lui-même spécialiste de l’islam politique, n’a de cesse depuis quelques années de me dénigrer sur les réseaux sociaux, mais, pire, d’exercer des pressions directes ou indirectes sur des collègues et des institutions de recherche pour m’empêcher d’occuper des fonctions de direction (comme à l’Institut d’études de l’islam et des sociétés du monde musulman, IISMM, UMS 2000, EHESS/CNRS, Paris) ou tout simplement de m’exprimer dans des enceintes universitaires, n’hésitant pas à calomnier ou à tenir des propos mensongers à mon encontre. (Je n’ai jamais, comme il le prétend, écrit dans les colonnes de ‘‘Valeurs actuelles’’).
Cela a un coût au plan social, puisque, tout simplement, cela entretient un halo de suspicion autour des chercheurs qui veulent s’affranchir de toute tutelle morale ou moralisatrice, pour exercer pleinement leurs missions d’enseignants et de chercheurs dévoués à la diffusion de la connaissance, ouverts sur le monde et à la critique.
François Burgat, autrefois chercheur désormais sectateur
En cela, François Burgat, en plus du paternalisme et du mépris affichés à l’égard des musulmans en quête d’autonomie intellectuelle (comme c’est mon cas), recourt aux méthodes éculées, aussi bien des essentialistes/culturalistes identitaires antimusulmans, que de leurs alliés objectifs, autrement dit, les identitaires islamistes ou intégralistes musulmans, qui recourent à l’intimidation, à l’anathème et à l’excommunication vis-à-vis de toute voix discordante.
C’est étrange : François Burgat, autrefois chercheur désormais sectateur, se comporte comme les extrémistes de tout poil et autres islamophobes qui vampirisent une part non négligeable du débat médiatique : celui qui n’est pas d’accord avec moi est contre moi, et les musulmans ont besoin d’être dressés, matés et infantilisés pour devenir ce qu’ils doivent être, et devenir, dans le meilleur des cas… des activistes zélés !
Il est grand temps que ce genre de pratique cesse, au nom de l’intérêt général. C’est pourquoi le débat et la discussion contradictoires, sur l’islam et tout autre sujet, doivent pouvoir avoir lieu, sans censure, à l’université et en dehors, sans prêter le flanc à la discrimination ou à la mise en cause indistincte de nos concitoyens musulmans. C’est à ce prix que le niveau du débat s’élèvera, et que les logiques de suspicions se résorberont, à défaut de disparaître complètement. Le fait islamique est un fait bien trop sensible pour s’affranchir d’éthique de la discussion et de responsabilité, a fortiori en ces temps troublés.
(Dominique Avon, directeur d’études à l’EPHE, apporte son soutien entier à la démarche de son collègue Haoues Seniguer, avec lequel il partage la direction de l’IISMM).
* Maître de conférences en science politique à Sciences Po Lyon, chercheur au laboratoire Triangle, UMR 5206, Lyon, directeur adjoint de l’Institut d’études de l’islam et des sociétés du monde musulman (IISMM), UMS 2000, EHESS/CNRS, Paris.
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