Ici et là, des voix montent pour faire l’apologie de la terreur, minimiser le crime, n’y voyant faussement qu’une légitime défense contre une liberté d’expression, jugée blasphématoire. Pour ceux-là, en réalité, toute liberté est blasphématoire. Restons solidaires sans concessions car notre combat est le même ici et ailleurs.
Par Sana Ben Achour *
L’association Beity, apprenant avec effroi la nouvelle, tombée dans la soirée du 16 octobre 2020, de l’assassinat par décapitation du professeur d’histoire, Samuel Paty, par un porteur de la culture de la mort, pour avoir montré les caricatures de ‘‘Charlie Hebdo’’ sur le prophète de l’islam, dans le cadre d’un cours sur la liberté d’expression, s’incline devant la douleur de sa perte et exprime à sa famille, à ses proches, à ses collègues, enseignants et enseignantes et à ses élèves, ses condoléances les plus attristées et toute sa solidarité.
L’association Beity ne peut rester indifférente à cet acte odieux, commis au nom de Dieu, qu’elle dénonce avec force. Nous considérons que rien ne justifie le terrorisme, pas même le blasphème ou l’outrage au sacré. Nous nous sentons d’autant plus impliqué-e-s que nous avons eu, dans notre propre pays, alors en pleine transition démocratique, à défendre notre liberté d’expression, mise à mal et bien menacée. C’était en juin 2011, à l’occasion du saccage de la salle de cinéma l’Africa suite à la projection du film ‘‘Ni Dieu, ni maître’’ jugé blasphématoire; puis en octobre 2011, lors des agressions et des voies de fait sur les personnes pour empêcher la projection du film ‘‘Persépolis’’ jugé sacrilège; puis encore, en juin 2012, avec les exactions et la dévastation de l’exposition au Palais de la Abdellia des toiles d’artistes, jugées offensantes; enfin, en septembre 2012, lors de l’assaut contre l’ambassade américaine à Tunis suite à la sortie à New-York du film ‘‘L’innocence de Mohamed’’, jugé impie.
Contre l’obscurantisme, notre combat est le même. Ici et là les censeurs et les gardiens du temple sèment la mort et la ruine. À Beity nous recevons tous les jours le témoignage des victimes de ceux qui au nom de leur ordre moral, leur religion, leurs convictions, leurs privilèges, assassinent, brûlent, séquestrent, mutilent, frappent, cassent. C’est contre ces assignations «à être et à suivre» et contre les violences qui les accompagnent que nous nous battons. Oui nous nous considérons partie prenante dans cette affaire qui éclate «ailleurs». Il n’y a pas longtemps, tombaient de la même manière, sous leurs coups et leurs balles, Chokri Belaid et Mohamed Brahmi (dirigeant de la gauche tunisienne, assassinés par des extrémistes religieux les 6 février et 25 juillet 2013, Ndlr).
Contre le fanatisme, restons solidaires. Ici et là, des voix montent pour faire l’apologie de la terreur, minimiser le crime, n’y voyant faussement qu’une légitime défense contre une liberté d’expression, jugée blasphématoire. Pour ceux-là, en réalité, toute liberté est blasphématoire : la liberté d’expression, la liberté confessionnelle, la liberté sexuelle, la liberté de pensée, la liberté vestimentaire, la liberté d’opinion, les libertés académiques. Ne nous y trompons pas. Ils se dresseront contre toute expression de liberté comme ils se sont dressés contre les plus petites de nos libertés, à terroriser les non-jeûneurs, à pourchasser les couples, à traquer les artistes, à arracher les affiches, à dévaster les bibliothèques, jusqu’à commettre le meurtre.
Restons solidaires sans concessions. Notre combat est le même ici et ailleurs.
* Présidente de l’association Beity.
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