Il ne s’agit pas de soumettre la liberté d’expression à des limites pour ménager autrui, d’autant plus qu’il est impossible de mesurer le degré de sensibilité (extensible à l’infini) des humains, mais de faire accepter l’idée que les hommes puissent ne pas avoir les mêmes croyances, sensibilités ou religions. Et que ce qui est sacré pour l’un ne l’est pas forcément pour l’autre.
Par Raya Bennaji *
Le professeur d’Histoire Samuel Paty a été décapité, en pleine rue, à Paris, par un extrémiste islamiste, et cela a choqué le monde et on en est tous venus à condamner l’acte lâche, abominable, criminel. Et puis, on a cherché à comprendre, à expliquer (pas à justifier bien sûr). Mais en cherchant, on a trouvé que l’homme avait peut-être heurté des sentiments… et nous voilà à mettre dans la balance le droit à la liberté d’expression et le devoir de ménager l’autre, celui qui est différent et son sens du sacré.
Confusion de paradigmes et négation des principes
Pareille attitude qui se présente comme nuancée, porte une confusion de paradigmes qui aboutit à la négation des deux principes. Car chacun est conçu pour neutraliser l’autre : la liberté d’expression est justement promulguée pour contrecarrer la sacralité des pensées et croyances. Et la proclamation de la sacralité de celles-ci élimine d’office la liberté d’expression en confortant «la loi du plus fort». Or, la liberté d’expression, comme droit universel, a pour but essentiel de mettre un terme à la loi du plus fort et aux violences qui en découlent. Sa proclamation comme un droit humain s’accompagne cependant de l’affirmation du devoir de respect vis-à-vis de la personne humaine – personne humaine en tant que telle et à ne pas confondre avec les croyances des personnes ou leurs convictions et sentiments. Tout est dans cette distinction. D’ailleurs, ceux-ci, au regard de leur diversité et multitude parmi les hommes, ne peuvent avoir qu’une sacralité subjective et donc relative. C’est-à-dire valable pour les uns et non pour les autres.
C’est ce sens de la relativité qu’il serait primordial d’enseigner pour qu’un vivre-ensemble soit possible, plutôt que le ménagement systématique des émotions d’autrui…
Respect de la personne humaine et sacralité universelle des religions
La pire des erreurs serait de laisser se confondre, dans l’esprit des jeunes, le respect de la personne humaine et une sacralité universelle des religions. Les religions, elles, doivent finir par être perçues comme jouissant d’une sacralité relative, à laquelle tout le monde n’est pas obligé.
C’est seulement ainsi que la liberté d’expression pourrait coexister avec la liberté de croyance ou de conscience. Principes fondamentaux à défendre dans leur intégralité, clairement et sans louvoiement. Et c’est ainsi, que la liberté d’expression pourrait elle-même désamorcer les bombes mises au point par le fanatisme, et que le fanatisme et son corollaire, la violence, pourraient être jugulés.
Il ne s’agirait donc pas de soumettre la liberté d’expression à des limites pour ménager autrui, d’autant plus qu’il est impossible de mesurer le degré de sensibilité (extensible à l’infini) des humains, mais de faire accepter l’idée que les hommes puissent ne pas avoir les mêmes croyances, sensibilités ou religions.
Alors, au lieu de perdre la raison, en lisant un texte, ou en voyant des images qui déplaisent, on aurait tendance à en rire ou à y répondre par des mots et des arguments ou des dessins.
* Universitaire.
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