L’auteur, ingénieur tunisien récemment naturalisé français, s’adresse à ses nouveaux compatriotes et les appelle à ne pas se laisser emporter par les voix de l’extrémisme, ceux de la réflexion facile et niaise.
Par Youssef Aouida *
Chère France, cette semaine, entre la décapitation de Samuel Paty, messager de tes valeurs et prophète de la connaissance humaine, et le massacre de trois fidèles jouissant d’un moment de spiritualité dans une église, entre ces deux tragédies morbides, œuvres de deux sous-êtres puant les relents de leur haine, tu m’as ouvert les bras, encore une fois, pour l’ultime acceptation : celle d’être un citoyen français.
Car cette semaine, j’ai vécu l’euphorie de devenir l’enfant adopté de cette patrie, un membre de ce qu’on appelle la communauté nationale, moi qui suis, non sans fierté et amour, fils de la Tunisie, pays qu’on associe malheureusement ces derniers temps, à tort des fois, à raison souvent, à des faits de terrorisme actés par des «Tunisiens» contre la Tunisie, contre toi et ailleurs dans le monde.
Congédier la haine et faire fi de la colère
Une telle concomitance ne me laisse point sans questionnement. A quoi bon me prodiguer autant de philanthropie, quand d’autres voient en toi une haineuse? Quelles impartialité et indépendance de tes institutions quand certains de tes enfants te taxent de ségrégationnisme? Quelle volonté de sagesse, toi qui n’a cessé de subir des perfidies? Alors pourquoi moi? et tant d’autres comme moi – dont les noms remplissent le journal officiel de naturalisation – qui ont toqué à ta porte pour devenir Français? Sûrement pas tous pour les mêmes raisons d’ailleurs, mais tu as su leur ouvrir tes bras pour congédier la haine et faire fi de la colère grondant.
Et puis qu’ai-je de Français pour le devenir? À quel idéal aspire un Français? Quelle identité est celle d’un français? Que doit-on partager comme socle commun? Suffit-il de connaître la devise de la république? Ou de réciter les présidents de la cinquième république comme on le demande pendant cet entretien de naturalisation? Doit-on forcément apprécier le vin, savourer la gastronomie française et s’adonner à l’art caractéristique de râler? Doit-on avoir ce fameux droit du sang ou droit du sol pour se prétendre français? Car moi je n’ai ni l’un ni l’autre.
Dois-je m’appeler Paul au lieu de Youssef et Simon au lieu de Mohamed pour s’inscrire dans tes racines judéo-chrétiennes? Et puis que faire de ton histoire? Car certains ne la comprennent pas, beaucoup ne la connaissent pas. Peut-on prétendre à une quelconque appartenance sans connaître l’histoire du groupe, de la communauté, son esquisse, ses fondements, son immanence et sa transcendance, sa philosophie ? Je ne le pense point, j’imagine que toi non plus.
Alors, parlons-en.
Je ne vois pas comment peut-on être français sans connaître et adopter le cogito cartésien du ‘’Discours de la méthode’’, car rien n’est plus français que la rationalité. Je ne vois pas comment peut-on être français si l’on ne partage pas la sagacité de Montaigne et son appel à la tolérance et à se méfier des pensées extrémistes, et ce dès le XVIe siècle. Je ne vois pas comment peut-on être français sans se définir dans le contrat social de Rousseau et la volonté de Voltaire de combattre le «droit divin» et le pouvoir théologique.
Le refus de l’assujettissement dans un moule identitaire
Être Français c’est croire en cet idéal républicain, d’égalité, de liberté, de justice qu’inspirent les mouvements populaires de résistance à travers le monde et dont la première forme politique fut la Révolution française, couronnée par la Déclaration de Droit de l’Homme et du Citoyen. Cette Révolution populaire, qui a façonné toutes les philosophies et idéologies occidentales et dont on hérite des bienfaits aujourd’hui : de l’idéalisme kantien à la dialectique hégélienne, de la volonté de puissance de Schopenhauer à la morale de ressentiment de Nietzsche, de la philosophie matérialiste de l’histoire de Marx à toutes les déclinaisons du libéralisme, on y trouve partout et toujours des influences de la Révolution française.
Être français c’est le refus de l’assujettissement dans un moule identitaire; être français c’est galvauder l’inanité de toute représentation matricielle, car le moi d’hier n’est point celui d’aujourd’hui et celui de demain sera sûrement meilleur. Être français, c’est assumer que mon existence précède mon essence car c’est moi qui donne un sens à ma vie et que mon identité est un perpétuel dynamisme, des convictions mais non des vérités absolues, des idées mais non des préjugés, des réflexions mais non des dogmes. Être français, c’est assumer ce malaise existentiel, cette absurdité de la vie, qui nous pousse à l’aimer d’avantage et à la vivre pleinement.
Alors regarde derrière toi chère France.
Ton oracle a façonné la pensée humaine et c’est ce que tu dois transmettre à tes enfants, car tu n’es pas seulement une entité politique, ni une géographie limitée dans l’espace. Tu es la voix de tous ceux qui pensent que la séparation des pouvoirs politiques et religieux n’est pas seulement un gage de vivre ensemble et d’égalité face aux différences ethniques, mais surtout une prodigalité de confiance en l’Homme pour organiser sa vie sociale, politique et économique, confiance en l’hégémonie de la raison et de la rationalité face aux lois divines et aux textes ancestraux.
Alors permets moi chère France, mais tu as commis quelques erreurs ces derniers temps, dans ta politique d’intégration et d’assimilation de masse car beaucoup d’«administrativement français» ne partagent pas ton idéal et ne connaissent pas ton histoire, et ailleurs tu as soutenu, à maintes reprises, ceux qui ne te ressemblent pas qui militent violemment contre tes valeurs, permets-le moi mais tu as pactisé avec le diable (en Libye, en Syrie, avec l’Arabie Saoudite et le Qatar…). Mais l’heure n’est pas aux reproches alors je m’adresse à tes enfants:
Chers Français, non sans fierté et exaltation, chers compatriotes. Aujourd’hui nous affrontons un ennemi violent. Cet ennemi d’une grande duplicité est belliqueux, fourbe et acariâtre surtout quand il est parmi nous, il voudra nous poignarder par la main de ses adeptes à tout moment, dès que l’occasion se présentera. Nous devons être à l’affût, pour les isoler, les attraper et les éradiquer à l’image de ce qu’ils sont, des rats qui rongent de l’intérieur. Nous devons être impitoyables, car c’est bien une guerre totale, tant idéologique que physique, qu’ils nous mènent.
Et il ne s’agit pas là seulement de l’ennemi de la France, c’est l’ennemi de l’intelligence, de la raison et de l’humanité. La France n’est pas seule, comme veulent nous le faire croire certains, qui appellent par ailleurs à un repli identitaire, un repli à l’antipode de ce que représente la France. Ne nous isolons pas, car cela ne fera qu’affaiblir la France, et notre ennemi s’en réjouira.
La sagesse contre les vociférations, les idées contre la violence
Aujourd’hui, nous ne sommes pas seuls, des «âmes françaises» existent partout dans le monde. Ces gens qui partagent cet idéal humain, républicain sont très nombreux, surtout là où on le pense le moins. Il faut leur tendre la main, il faut soutenir ces aspirations politiques qui nous ressemblent et rassemblent, partout où ils sont, et encore davantage dans l’espace géopolitique vital de la France.
Je ne suis pas partisan, chers compatriotes, de la vision conflictuelle des civilisations, mais nous faisons face là au conflit de la sagesse contre les vociférations, l’intelligence contre la médiocrité, les idées contre la violence, le cumul de connaissances contre l’ignorance rétrograde, la lumière contre les ténèbres.
La France ce n’est pas seulement le luxe, le savoir-vivre, le vin et la gastronomie. La France est une vision du monde, une politique de l’Homme pour l’Homme, une philosophie. Partageons-la davantage au-delà de nos frontières, reprenons en main l’étendard de la liberté et guidons les peuples qui y aspirent, car nos ennemis avancent avec des voiles noirs et des visions obscures. C’est un travail de longue haleine mais faisons-le avec détermination, assurance et force partout où nous le pouvons.
Chers Français, ne nous laissons pas emporter par les voix de l’extrémisme, ceux de la réflexion facile et niaise. Car, et comme l’a si bien écrit Amine Maalouf, un Français dont l’histoire m’est familière, «la sagesse est un chemin de crête entre deux précipices, deux bêtises qui ne cessent de se confronter».
* Jeune ingénieur tunisien qui vient d’obtenir la nationalité française, entre les 2 attentats de Paris et de Nice.
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