Contrairement à certaines critiques, j’ai trouvé que la visite de travail du chef du gouvernement Hichem Mechichi cette semaine en France a été utile et particulièrement dense en contacts de qualité. Je me permets d’y apporter une modeste contribution en ma qualité de diplomate ayant été en poste à notre ambassade en France dans les années 90, en tant que conseiller.
Par Sémia Zouari *
Cette visite signe un déploiement diplomatique tunisien vers la France suite au malencontreux attentat terroriste de Nice commis par un jeune migrant tunisien, qui a porté atteinte à l’image de la Tunisie et mis notre nombreuse colonie régulière (800.000 ressortissants voire 1,4 million si l’on compte les binationaux) en situation de précarisation et de risque d’amalgame. En ce sens, elle constitue un signal politique d’ouverture et de solidarité auprès de nos partenaires français et de nos compatriotes en France, qui ont besoin de tout l’appui de nos structures consulaires dans une conjoncture de pandémie nécessitant une nouvelle approche et la digitalisation des procédures.
«Négocier et régler» la réadmission des immigrés illégaux
Ceux qui n’ont pas apprécié l’annonce de la volonté des autorités tunisiennes de lutter contre l’immigration illégale et ses fâcheuses conséquences (d’où le lapsus révélateur de M. Mechichi sur le terrorisme) doivent se résoudre à la logique de la légitimité: le ministère des Affaires étrangères tunisien a le devoir de protéger ses ressortissants en situation régulière et de coopérer avec les autorités des pays hôtes pour «négocier et régler» la réadmission des ressortissants en infraction avec la législation des États souverains.
Par ailleurs, les visites de M. Mechichi auprès des présidents du Sénat et de la Chambre des Députés sont importantes de même que celle auprès du Premier ministre, sachant que protocolairement, en France comme en Tunisie, un officiel est reçu par le chef de l’Etat ou par le Premier ministre et non les deux. Notre secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères Mohamed Ali Nafti a assisté à tous ces entretiens et il connaît bien ses dossiers car c’est un diplomate de carrière chevronné qui a d’excellents états de service. Notre ambassadeur, le ministre Karim Jamoussi a également pris part à toutes ces rencontres, nul n’est besoin de rappeler son excellent parcours professionnel et politique.
Anecdotiquement, ni M. Mechichi, ni les autres membres de la délégation ne sont tenus d’avoir un bloc note et un stylo pour garder en mémoire le rapport détaillé d’un entretien, contrairement aux critiques simplistes des réseaux sociaux… Comment croyez vous que les diplomates rédigent des rapports circonstanciés suite à une rencontre, la présentation de leurs lettres de créances, un dîner officiel ? Ce sont les ABC du métier d’un politicien de mémoriser, de rester attentif et concentré, de ne rien oublier…
Le point d’orgue de l’inauguration de la Maison Tunisie
Évidemment, l’inauguration de la Maison de Tunisie a constitué le point d’orgue de cette visite. Quand on se rappelle combien l’ancien bâtiment était vétuste et sans âme on ne peut que se féliciter de voir notre pays si bien représenté par ce monument architectural empreint d’originalité et portant la signature tunisienne dans tous les sens du mot.
N’oublions pas la mobilisation de l’Utica en appui à cette visite. Non pas qu’il faille attendre un flux d’investissements en cette période de récession en relation avec la pandémie. Il s’agit plutôt de rassurer et de préserver l’investissement existant et c’est essentiel.
De même la réunion organisée au siège de notre ambassade avec les professionnels du tourisme en France qui travaillent sur la destination Tunisie avec la participation du ministre du Tourisme et du Transport est une initiative à saluer. Elle est essentielle pour promouvoir la destination Tunisie, écouter les propositions des professionnels, les rassurer et préparer la reprise post Covid.
Enfin, précisons que contrairement à ce qui a pu circuler sur les réseaux sociaux, l’ambassadeur de Tunisie, le ministre Karim Jamoussi a participé à tous les entretiens et à toutes les réunions ainsi qu’en attestent les vidéos publiées sur le site de l’ambassade et celui de la présidence du gouvernement. Son cercle de relations auprès des ministres français est très large ce qui n’en fait certainement pas un «néophyte».
Notons pour finir que les responsables français aussi ont multiplié ces dernières années les visites de travail en Tunisie, souvent de façon impromptue car dans les relations internationales il est important d’être réactif et de privilégier le contact direct.
En conclusion, une visite utile et qui doit s’inscrire dans un cadre consultatif élargi à tous nos grands partenaires économiques et financiers. Notre ambassade avec toute son équipe a assuré et il faut en féliciter tous les acteurs au lieu de céder à la tentation du «tambir» à la tunisienne.
Un lobbying en faveur de la restructuration de la dette publique
Ainsi que l’a annoncé M. Mechichi, la Tunisie traverse une phase de grande vulnérabilité économique et financière qui exige des décisions névralgiques de sa part, en termes de réformes et d’assainissement des finances publiques et de l’organisation de son économie mais également des soutiens solidaires de la part de ses partenaires et de ses créanciers.
À cet égard il serait souhaitable de voir s’organiser un lobbying en faveur de la restructuration de la dette publique tunisienne avec l’annulation d’une partie de sa dette notamment auprès des banques privées à l’instar de ce qui a été consenti à la Grèce, en 2012, à la demande des États-Unis d’Amérique.
La Tunisie a aussi droit à un traitement particulier si l’on veut soutenir sa laborieuse transition démocratique et lui éviter un effondrement qui serait préjudiciable à toute une région méditerranéenne tout aussi précarisée.
Il est certain que les Etats-Unis ont un rôle à jouer en tant que garant de nos crédits… En espérant qu’il ne nous sera pas réclamé de nous joindre au peloton de la braderie de la cause palestinienne et sachant que la Tunisie est en mesure de faire valoir son statut d’allié stratégique non membre de l’Otan et d’échapper à une quelconque transaction de ce genre… pour le moment… et compte tenu de la difficile conjoncture libyenne…
À bon entendeur…..
* Diplomate.
Donnez votre avis