Les actes de violence physique dans l’hôpital, toujours condamnés, toujours renouvelés, se multiplient, se perpétuent, font tache d’huile, au point d’être désormais perçus comme des phénomènes consubstantiels à l’institution hospitalière publique, dans notre pays. Faut-il les considérer comme des faits de société inhérents à la dégradation morale et matérielle que traverse un pays qui a perdu ses repères?
Par Dr Mounir Hanablia *
Ces actes qui entraînent tout autant et bien souvent des destructions des locaux et des équipements possèdent pourtant quelques caractéristiques qui les rendent spécifiques. Ils visent les jeunes médecins, ceux qui assurent le travail le plus dur et le plus ingrat, particulièrement ceux qui sont en formation dans le cadre de leur cursus universitaire, c’est-à-dire ceux qui généralement sont de passage et ne sont pas considérés comme des membres intégrés des services où ils travaillent. Mais ces violences ignorent rarement quand elles se produisent les médecins urgentistes de la santé publique, sans incriminer concomitamment le personnel paramédical avec qui ils travaillent depuis plusieurs années.
Face à la violence, la protection du groupe, qui plus est dans un cadre syndical, joue donc souvent un rôle dissuasif important, dont les jeunes internes et résidents, nomades appelés à partir, ne jouissent pas, du moins de la même manière.
L’angoisse des familles ne peut tout justifier
Ce déchaînement de violence ne peut pas être uniquement imputable à une quelconque nervosité inhérente à l’inquiétude et à l’angoisse des familles. En effet, force est de constater qu’elle épargne les cliniques privées, où pourtant le public, composé de diverses catégories sociales, débiteur de sommes en général importantes, serait en droit d’être plus exigeant sur la contrepartie en qualité des soins, et surtout en résultats, conformes à ses attentes. Dans ce cas, c’est la réputation professionnelle et l’organisation en groupe devenue inhérente à la pratique médicale, qui font en général office de garde-fous; ainsi d’ailleurs que le sentiment d’obtenir éventuellement réparation auprès de la justice, en cas de nécessité.
Le problème se pose donc depuis des années au sein de l’institution hospitalière publique mais aucune solution ne semble lui avoir été apportée. En général c’est la solution sécuritaire qui prévaut. Les coupables sont arrêtés, traduits en justice, et condamnés.
Pendant quelque temps, la police fait acte de présence sur les lieux, et le calme étant en règle spontanément rétabli, elle ne juge plus au bout de quelques jours sa présence nécessaire et finit par disparaître, appelée à d’autres missions plus prioritaires.
Ce qu’il faut donc appeler le rituel cathartique de l’administration face à la violence hospitalière ne vise en fait qu’à une auto absolution selon un rituel juridique, non seulement de ses échecs passés, mais surtout, plus préoccupants, de ceux à venir, dans la préservation de l’intégrité physique et de la sécurité de ses propres agents. Cette catharsis est dépourvue de tout caractère dissuasif, et sa répétition régulière face à chaque acte de violence en est la meilleure preuve. C’est le directeur général de l’hôpital qui est chargé de faire régner l’ordre et la sécurité de l’institution qu’il dirige, c’est là une mission inhérente à ses fonctions, mais force est de constater que s’il est responsable, il n’est que rarement tenu pour coupable des manquements à cette obligation inhérente à sa charge.
Le délabrement de l’hôpital public est en partie responsable
L’hôpital public est il est vrai dans un état de délabrement tel qu’on ne peut pas en imputer la responsabilité seule à ceux qui en assument la gestion, du moment que la politique de l’Etat depuis plus de 25 ans a eu pour corollaires la privatisation de la santé, et les restrictions budgétaires des ressources publiques. Mais il y a une différence de nature entre un ascenseur à l’abandon faute des ressources nécessaires que le ministre, en toute connaissance de causes, n’a pas jugé utile de débloquer, et qui cause la mort d’un jeune médecin dans ce qui peut n’être qu’un homicide involontaire par négligence, comme cela est passé récemment à l’hôpital de Jendouba, et une organisation défectueuse du travail qu’on eût pu et dû modifier sans dépenses supplémentaires significatives, et qui dans un centre hospitalo-universitaire, ne préserve pas l’intégrité physique ou la dignité d’une jeune médecin traînée par les cheveux par ceux qui ont jugé qu’elle ne faisait pas preuve de la diligence nécessaire dans la prise en charge d’un patient.
Par ailleurs, le contexte général du pays, comme par exemple le cirque dont l’Assemblée a été dernièrement le siège, sans aucune sanction pour les coupables, n’appelle pas au respect de l’Etat et de ses représentants, particulièrement les plus vulnérables. Or quoi qu’on en croie, les jeunes internes et résidents ne sont pas les Hilotes (population servile dans la Grèce antique) de l’hôpital. Le ministère de la Santé publique doit se départir des faux-semblants et faux-fuyants et doit donc assumer ses responsabilités dans l’imposition du respect de la loi et des règlements adaptés à la situation.
Le sentiment d’impunité favorise l’agressivité
Dans un contexte de pandémie, il n’est déjà pas normal que le public puisse accéder librement aux lieux d’hospitalisation des malades. En principe, seuls les patients hospitalisés devraient être à même de le faire. Le problème des urgences doit être envisagé de la même façon. Les malades fatigués pourraient bénéficier de l’assistance d’un seul accompagnant.
Ces mesures là sont facilement applicables, au prix de quelques aménagements des accès des hôpitaux, par l’installation de portillons avec tourniquets. Le cas échéant la délivrance de cartes d’accès pour les accompagnants ne pourra se faire qu’avec l’assentiment de l’administration, contre la remise de leurs cartes d’identité à l’entrée de l’hôpital. En effet le sentiment d’anonymat, donc d’impunité, peut favoriser l’agressivité de beaucoup. Il n’en demeure pas moins que l’absence de réactivité de l’administration et du ministère depuis des années face aux agressions hospitalières et à la violence intrinsèque à l’activité hospitalière est elle-même inquiétante, et appelle certaines conclusions.
Alors que toute organisation administrative est basée sur la division rationnelle du travail et la hiérarchie des compétences, que les médecins soient soumis à l’autorité de gestionnaires est un non sens, dans la mesure où ils demeurent dans leur domaine les détenteurs de la compétence et que les hôpitaux soient avant tout des établissements prestataires de soins. Seuls des établissements dirigés par des médecins directeurs, comme ce fut le cas auparavant, pourraient prendre en compte et intégrer autant la nécessité d’un accès efficace aux soins, que l’organisation adaptée préservant leur dignité et leur intégrité physique.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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