Le quotidien tunisien à tirage national Le Temps a publié, en une de son numéro de ce mardi 29 décembre 2020, un dessin satirique du blogueur et caricaturiste Z, sans en citer la source ni l’auteur, et en se permettant, de surcroit, de le censurer. Qui plus est, la censure a été hypocritement sélective. Bref, on a eu droit à un vrai scandale journalistique, révélateur de problèmes bien plus profonds que ce dont ils ont l’air.
Le dessin en question représente et critique les députés de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), et il est, à l’image de tous ceux du caricaturiste Z, très audacieux. Vraisemblablement beaucoup trop audacieux pour la rédaction du journal, qui a choisi de le… déformer.
Toutefois, curieusement, ce ne sont pas les caricatures des présidents des blocs du Parti destourien libre (PDL) et d’Al-Karama, respectivement Abir Moussi et Seifeddine Makhlouf, représentés sous forme de postérieurs humains, qui ont dérangé la rédaction, mais simplement l’image de la Kaâba (édifice saoudien sacré pour les musulmans) ainsi qu’une ardoise sur laquelle il est écrit « Mohamed » (par allusion au prophète de l’islam).
Ces deux images, qui signifient simplement que les islamistes du Parlement utilisent la religion comme fond de commerce, ont donc été lâchement, hypocritement et laidement censurées, et le reste du dessin a été publié, en une du journal… sans aucune mention de sa source (à savoir le blog DébaTunisie), sans doute parce que celle-ci, connue notamment pour ses dessins blasphématoires, est trop gênante pour nos confrères.
En dépit de la violation du droit d’auteur, éthiquement injustifiable, la censure sélective appliquée au dessin mérite qu’on s’y attarde. Elle montre qu’il faut beaucoup plus qu’une révolution faite au nom de la liberté pour que les peuples apprennent à jouir de la liberté et à la respecter.
En l’occurrence, même si la liberté d’expression et de la presse sont constitutionnellement garanties en Tunisie, les médias et la presse n’osent toujours pas en user pleinement, particulièrement lorsqu’il y a le risque de toucher, ne serait-ce que de très loin (comme c’est le cas dudit dessin), au « sacré« . Et ce, évidemment, pour des raisons entièrement populistes.
La plupart des journalistes tunisiens renoncent, ainsi, à leur liberté pour ne pas contrarier les esprits bornés… rien que parce que ces esprits représentent, selon eux, majoritairement, la société. Pourtant, la liberté n’a absolument aucun intérêt et aucun sens si elle consistait à dire uniquement ce que les autres veulent entendre, car dans ce cas, on n’en aurait, tout bonnement, pas besoin.
«Par ce simple exemple, vous avez ici une démonstration de la petitesse de certains de nos journalistes : pleutres, malhonnêtes, bigots au point d’être plus choqués par la représentation du cube de la Mecque que du cul de nos députés. A mes amis qui m’ont gentiment félicité de voir enfin après 10 ans de révolution un dessin de Z en une de nos grands quotidiens, sachez que je préfère encore la franche censure de Ben Ali à cette mesquine hypocrisie», a commenté Z, sur sa page Facebook.
Cherif Ben Younès
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