Joe Biden a certes pris ses fonctions à la Maison Blanche, mais il est prématuré de dire, comme le font les plus optimistes, que l’Amérique est de retour ! Oui… sa dérive infernale a été stoppée par le bon sens éthique d’une courte majorité d’Américains permettant ainsi au processus de guérison de commencer. Mais l’avenir seul nous dira si la défaite de Trump constitue un coup d’arrêt pour le vent populiste, qui a failli l’emporter.
Par Taha Abdelkader Allouche *
La cérémonie d’investiture du 46e président des Etats-Unis s’est déroulée dans une atmosphère de défiance extrême marquée non seulement par l’absence du président sortant Donald Trump qui est une première depuis 150 ans mais aussi par un dispositif sécuritaire hors pair composé de 25.000 soldats de l’armée déployés sur toute la capitale fédérale Washington D. C. Sur les marches du capitole, le démocrate Joe Biden et sa colistière Kamala Harris ont prêté serment donnant ainsi le coup d’envoi à leur présidence. Cette soirée de l’Inauguration Day s’est achevée par un discours rassembleur et un feu d’artifice signant un nouveau départ !
Le nouveau président a doublement marqué l’histoire politique américaine. La première fois en étant l’un des plus jeunes sénateurs élus de l’histoire des Etats-Unis, à 29 ans en 1972. Et la seconde en devenant le plus vieux président américain, à l’âge de 78 ans, parachevant ainsi une longue et patiente ascension politique. De même pour madame Kamala Harris, ancienne sénatrice de la Californie, qui entre par la grande porte de l’histoire car à l’âge de 56 ans, elle est devenue la première femme et la première Asio-Américaine à accéder à la vice-présidence de la première puissance mondiale.
Le plan anti-Covid : 100 jours pour sauver l’Amérique
Le nouveau président américain veut aller vite et surtout tourner la page de l’ère Trump. D’ailleurs, dès son installation dans le bureau ovale, Joe Biden a signé une série de décrets touchant plusieurs dossiers chauds à la fois. Ces ordonnances intéressent en premier lieu le domaine de la santé poussé en haut de la liste des priorités vu l’impact important de la pandémie de la Covid-19 ayant fait plus de 400.000 morts aux Etats-Unis, dépassant de loin le nombre des soldats américains tués pendant la Seconde Guerre mondiale.
Devant ce lourd bilan, Joe Biden veut accélérer la campagne de vaccination massive des Américains contre la Covid-19 par le biais d’un plan vaccinal ambitieux à raison de 100 millions de doses injectées pendant les 100 premiers jours de son mandat. Pour aboutir à cet objectif, il prévoit, notamment, des centres de vaccination de proximité mobilisant plus de 100.000 soignants et une coopération renforcée entre le pouvoir fédéral et les Etats.
En parallèle et afin de sauver le plus de vies possibles, l’administration Biden mettra l’accent sur le volet préventif en terme de gestion de la crise sanitaire. Ceci aidera à diminuer relativement la vitesse de propagation du virus et à réduire la pression sur les structures de soins à court terme. En cohérence avec le défi des 100 days masking challenge lancé lors de sa campagne électorale.
Le nouveau locataire de la Maison Blanche a désormais décrété l’obligation du port du masque dans les bâtiments fédéraux par le grand public. Il a également annoncé que dès lors un test RT-PCR négatif au Sars-cov-2 et une quarantaine seront indispensables, pour toutes personnes arrivant aux États-Unis par avion.
Ainsi le président fraîchement investi n’a pas fait la sourde oreille comme son prédécesseur à ces mesures tant réclamées par le comité scientifique américain. De plus, il a arrêté la procédure de retrait des Etats-Unis de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) amorcée par Donald Trump en juillet dernier. Cette réintégration à l’OMS s’est concrétisée officiellement par la nomination d’Anthony Fauci comme chef de la délégation américaine.
Biden et le défi écologique
Concernant la question écologique, Joe Biden qui a fait de la lutte contre le réchauffement climatique une autre priorité de son mandat n’a pas perdu beaucoup de temps avant de détricoter l’héritage de Donald Trump en la matière. Dès mercredi 20 janvier, le démocrate a donc adressé un courrier à l’ONU afin que les Etats-Unis puissent rejoindre l’Accord de Paris d’ici un mois et dans la foulée il a confirmé Gina McCarthy comme responsable de ce dossier au sein de la nouvelle équipe présidentielle. Par la suite, et comme prévu, il reviendra aussi sur une série de mesures de dérégulation prises par l’administration sortante en matière de normes environnementales, notamment, il révoquera l’autorisation donnée par Donald Trump au projet controversé d’oléoduc Keystone XL, entre les Etats-Unis et le Canada.
«Build back better» : un programme économique ambitieux
Après une année assez dominée par l’épidémie du coronavirus et ses conséquences néfastes, la tâche du 46e président des États-Unis s’avère un peu plus complexe dans le domaine économique et social. En effet, Le président a dévoilé un plan de relance titanesque de 1 900 milliards de dollars pour empêcher un naufrage économique imminent du pays. Au menu, tout d’abord, des mesures exceptionnelles pour répondre en urgence à la situation économique critique via des chèques directs de 1 400 dollars par personne aux familles, un salaire minimum doublé à 15 dollars de l’heure, la prolongation des aides au chômage ou encore des aides pour les Etats et collectivités locales.
En outre, le président démocrate a prolongé aussi le moratoire sur le remboursement des prêts étudiants, sur les expulsions locatives et surtout sur les saisies immobilières jusqu’à la fin du mois de mars 2021 donnant ainsi un moment de répit pour l’ensemble des acteurs économiques fragilisés par cette crise. Ensuite, un plan d’investissements massifs doit suivre ces mesures d’accompagnement pour solidifier cette relance économique et recréer les millions d’emplois perdus à cause de la pandémie. Finalement, et afin de financer une partie de son plan, Joe Biden veut augmenter les impôts des plus grandes entreprises du pays et des personnes gagnant plus de 400.000 dollars par an.
L’immigration sous le scalpel de Biden
Avec la même approche, le sujet de l’immigration va être revu dans sa totalité par le nouveau président.Ce dernier, à peine investi dans le bureau ovale, a commencé par l’annulation du décret migratoire controversé travel ban interdisant aux ressortissants de pays en majorité musulmans d’entrer aux Etats-Unis. Ainsi Joe Biden espère donner des signaux forts du changement vers une politique migratoire plutôt flexible et inclusive, en rompant avec cette démarche islamophobe adoptée par le président sortant Trump. Les prémices de la rupture sur ce flanc se confirment petit à petit, par ailleurs, le président démocrate a signé une proclamation pour suspendre les travaux de construction de ce fameux mur à la frontière Mexicaine, celui-ci a suscité d’âpres batailles politiques et judiciaires durant les quatre années précédentes.
Enfin, Joe Biden s’est engagé à transmettre dans les plus brefs délais un projet de loi sur l’immigration au Congrès qui apportera des solutions radicales aux 700.000 jeunes arrivés clandestinement aux Etats-Unis lorsqu’ils étaient enfants, les Dreamers, et aux autres immigrés en situation irrégulière depuis plusieurs années en leurs offrant une possibilité de naturalisation à terme et sous conditions.
Le dilemme union-rupture
Comme par effet pendulaire, le parfait contraire de Donald Trump s’est installé à la Maison Blanche. Bien que Joe Biden ait derrière lui une longue carrière politique, une expérience hors pair du Congrès et une connaissance fine du pouvoir exécutif sa tâche reste quand même immense à cause de la fragmentation culturelle du pays de l’oncle Sam et le désaccord de la majorité de ses citoyens sur l’essentiel imposant alors une politique du dialogue et un sens du compromis à la hauteur des fractures existantes.
Tout compte fait, il est prématuré de dire, comme le font les plus optimistes, que l’Amérique est de retour ! Oui… sa dérive infernale a été stoppée par le bon sens éthique d’une courte majorité d’Américains permettant ainsi au processus de guérison de commencer. Mais l’avenir seul nous dira si la défaite de Trump constitue un coup d’arrêt pour le populisme, ou un simple accident de parcours, lié à la Covid-19.
* Médecin et activiste politique.
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