La Tunisie est déficitaire en protéines végétales, aussi bien pour l’alimentation humaine qu’animale. Elle importe chaque année des quantités de plus en plus importantes de légumes secs ainsi que du soja destiné à l’alimentation animale. Aussi l’élaboration d’une stratégie de création d’une filière «légumineuses alimentaires» et sa mise en place sont-elles devenues urgentes pour développer ce secteur et assurer la sécurité alimentaire du pays en légumineuses.
Par Ridha Bergaoui *
Les légumineuses sont riches en protéines, fibres et vitamines. Elles jouent un rôle important dans le maintien de la fertilité des sols et la santé du consommateur. Elles ont été cultivées et utilisées, depuis très longtemps, presque partout dans le monde, pour la préparation de plats divers. Ayant constitué les aliments de bases de nombreuses civilisations, elles font partie des traditions culinaires de nombreux pays.
Les légumineuses dans la cuisine tunisienne
La cuisine tunisienne réserve une place importante aux légumineuses. De nombreux plats doivent comporter nécessairement des légumineuses comme les fèves (mdemmes, chekchouket foul…), les pois chiches (couscous, riz, mermez, lablabi et sandwich homs de Bizerte…), les pois (ragout de pois et artichaut…), les haricots (ragout loubia…) ou les lentilles (ragoût de lentilles…). Elles servent également pour la préparation de diverses salades.
Certaines légumineuses sont aussi utilisées pour la confection de pâtisseries traditionnelles comme la «ghraiba homs». Le pois chiche est très apprécié grillé (sucré ou salé).
La viande disponible mais peu accessible
Le secteur de l’élevage en Tunisie est soumis à de nombreuses contraintes dont particulièrement de faibles disponibilités fourragères en rapport avec des disponibilités hydriques fluctuantes et limitées. Une partie importante des aliments destinés aux animaux est importée sous forme de maïs grain, du soja et d’additifs (minéraux, vitamines…). De l’orge, des bouchons de luzerne et même du foin sont importés en quantités importantes en années de sècheresse pour sauvegarder le cheptel.
Le prix des viandes, surtout les viandes rouges, est relativement élevé comparé au pouvoir d’achat du simple citoyen. La consommation de viandes (rouges et blanches) est faible et se situe autour de 32 kg/personne/an dont 60% du poulet et dindon.
Dans un contexte de changement climatique et de rareté des ressources, l’élevage n’est pas prêt à décoller. Les légumineuses représentent pour le consommateur, l’unique possibilité, dans la limite de ses possibilités financières, pour couvrir ses besoins nutritionnels en protéines.
Situation actuelle de la culture des légumineuses
Les surfaces réservées à la culture des légumineuses ne cessent de se réduire. La surface est passée de plus de 100.000 ha fin des années 1990 à près de 80.000 ha de nos jours. Les féveroles et fèves représentent presque 75% des terres cultivées. Le pois chiches et les pois occupent un peu plus de 20% des surfaces cultivées. Les superficies réservées aux lentilles et haricot sont très faibles.
Comparée aux céréales (1,6 million d’ha en moyenne), la superficie réservée aux légumineuses est marginale et représente à peine 5%. Les cultures se font essentiellement dans les régions du nord et du cap-bon correspondant aux étages bioclimatiques humides et semi-arides.
Moyennant un rendement de près de 10 qx/ha, la production de légumineuses avoisine les 800.000 quintaux. La consommation des légumineuses est estimée à 10-11 kg/personne/an. La production est insuffisante et l’Etat doit importer chaque année des quantités importantes (environ 400.000 qx) surtout de lentilles, d’haricot et de pois chiches.
La culture des légumineuses nécessite une lutte permanente contre les mauvaises herbes, généralement envahissantes et très résistantes. L’utilisation des herbicides est peu efficace. La plupart des agriculteurs sont obligés d’intervenir manuellement pour éliminer ces adventices. Avec le manque de main d’œuvre et les coûts élevés, ces interventions reviennent chères à l’agriculteur. Celui-ci est de plus en plus réticent à la culture des légumineuses, que le prix de vente de la production aux intermédiaires est faible, généralement peu rémunérateur.
Difficultés de la culture des légumineuses
De nombreux problèmes entravent la culture des légumineuses allant de la culture à la commercialisation. Sans être exhaustif, nous présentons dans ce qui suit quelques unes de ces difficultés : le choix variétal limité et faible productivité des variétés disponibles; la sensibilité aux mauvaises herbes et absence d’herbicides efficaces; le besoin en main d’œuvre important pour les différents travaux agricoles (semis, désherbage, récolte…); la sensibilité aux diverses maladies et parasites; la nécessité d’inoculer par du rhizobium le sol lors d’une nouvelle culture de légumineuses; l’absence de circuits de commercialisation et dominance des intermédiaires qui monopolisent le marché, et le faible prix payé aux producteurs…
Il est possible de réduire les frais de main d’œuvre grâce à la mécanisation du semis, du désherbage et de la récolte. Toutefois, la culture des légumineuses est essentiellement pratiquée par de petits agriculteurs qui disposent de peu de moyens matériels et financiers.
D’une façon globale, la productivité des légumineuses est faible alors que les frais sont élevés et le prix au producteur peu rémunérateur. La culture des légumineuses est jugée peu rentable par les agriculteurs.
Absence d’une stratégie pour le développement des légumineuses
Face à la réticence des agriculteurs et au déclin des surfaces réservées à la culture des légumineuses, l’ex-ministre de l’Agriculture Saâd Seddik a déclaré en 2016, lors d’une conférence nationale sur «la réalité du secteur des légumineuses et les perspectives de son développement», que son département allait bientôt présenter une stratégie pour développer la filière. Malheureusement l’instabilité politique que connaît le pays et les multiples changements opérés à la tête du ministère de l’Agriculture n’ont pas permis à cette action d’aboutir et la stratégie ne semble pas encore au point.
La Tunisie est déficitaire en protéines végétales, aussi bien pour l’alimentation humaine qu’animale. Nous importons chaque année des quantités de plus en plus importantes de légumes secs ainsi que du soja destiné à l’alimentation animale. Elaborer une stratégie et la mettre en place est devenu urgent pour développer ce secteur et assurer une notre sécurité alimentaire en légumineuses.
Cette stratégie doit inclure tous les intervenants de la filière : semenciers, producteurs, conditionneurs, industriels, commerçants et consommateurs ainsi que les organismes de soutien : recherche, vulgarisation…
De nombreux établissements publics œuvrent dans le domaine de la recherche en général. Plusieurs laboratoires, chacun dans son domaine de compétence, travaillent sur les légumineuses (INRAT, INGC, CBBC, facultés et écoles d’ingénieurs…). Il serait primordial de fédérer tous ces organismes et de coordonner leurs actions dans le cadre d’un programme national de recherche. Les questions de recherche sont nombreuses : sélection variétale, lutte contre les mauvaises herbes, lutte contre les maladies, techniques culturales, aspect économiques, rentabilité et commercialisation, transformation… Les ministères de l’Enseignement supérieur et de l’Agriculture doivent mettre les moyens matériels nécessaires pour la réalisation de ces travaux.
Conclusion
Les légumineuses jouent de nombreux rôles très importants. Un rôle social (fourniture de protéines à prix abordables), rôle nutritionnel (aliments riches et sains) et un rôle agronomique et environnemental (fertilité du sol). La culture est actuellement peu rentable et les agriculteurs ont tendance à éviter cette production. Les superficies réservées sont de plus en plus réduites et la production actuelle est insuffisante. La culture des légumineuses est marginalisée et risque un jour de disparaître complètement.
Il est nécessaire de considérer les légumineuses comme produit stratégique au même titre que les céréales, la viande ou le lait par exemple. Il faut lui accorder la place qu’elle mérite dans les politiques de développement.
Il est urgent et nécessaire de mettre en place une stratégie pour sauver et développer ce secteur primordial. Il faut œuvrer à encourager la culture et augmenter les emblavures et la production. La stratégie doit permettre de résoudre les problèmes de la production et organiser les circuits de commercialisation.
* Professeur universitaire
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