Dans le communiqué de presse publié à Tunis, le 4 février 2021, et reproduit ci-dessous, la société civile tunisienne lance un appel à rompre instamment le cercle vicieux des violences policières dans la répression des manifestations populaires et des dérives politiques des syndicats des forces armées.
Suite aux dernières manifestations organisées pour dénoncer les arrestations massives et la riposte sécuritaire aux revendications sociales de la jeunesse tunisienne, nos associations ont observé et documenté une montée d’agressivité et de violence de la part des forces de sécurité à l’encontre des protestataires.
Nos organisations sont outrées par les propos tenus récemment par plusieurs syndicats des forces de l’ordre sur les réseaux sociaux à travers des publications incitant à la haine, à la stigmatisation et à la violence.
Nous déplorons les actes de menaces et d’intimidation à l’égard de plusieurs activistes et défenseurs des droits humains commises par des personnes appartenant aux forces de l’ordre, dans un silence assourdissant du gouvernement tunisien et du ministre de l’Intérieur par intérim.
Les forces de sécurité ont un devoir d’exemplarité et sont tenues de respecter des exigences légales et éthiques qui sont indispensables à l’exercice de leur fonction. Les insultes et les propos homophobes et sexistes véhiculés sur les réseaux sociaux ne font pas honneur à la police, ternissent gravement l’image des forces de sécurité et sont en outre constitutives de délits punissables pénalement et de fautes disciplinaires appelant des sanctions.
Dans le même esprit, dans un communiqué de presse publié le 1er février courant, l’Union nationale des syndicats des forces de la sécurité et le Syndicat des agents et des cadres du district des forces de la sécurité de Tunis ont formulé des revendications qui nous semblent contestables, tant sur la forme que sur le fond.
Si nos organisations reconnaissent bien sûr le droit légitime des syndicats à formuler des critiques et revendications concernant leur statut ou leurs conditions de travail, leur droit de grève, en plus du fait qu’il est interdit par l’article 36 de la constitution trouve ses limites dans la garantie du bon fonctionnement des services régaliens de l’État.
Ainsi, une grève des policiers ne peut entraver le fonctionnement de la justice et porter atteinte au droit fondamental des détenus d’être présenté à un juge dans le plus court délai et à être jugé dans un délai raisonnable. Cette entrave à l’activité judiciaire à l’appel de syndicats de forces de sécurité est une faute qui ne doit pas demeurer impunie.
Le communiqué du 1er février appelle à empêcher tout rassemblement ou mouvement de protestation non autorisé par la loi. Cet appel est illégitime et tout à fait contraire aux engagements internationaux de la Tunisie et notamment à l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques sur la liberté de réunion. Un rassemblement n’a pas à être autorisé et le rôle des forces de l’ordre est de protéger le rassemblement et aucunement de l’empêcher. Cela s’applique à tout rassemblement, qu’il soit «autorisé» ou non, dès lors qu’il est pacifique. Même si une manifestation donne lieu à la commission d’actes délictuels graves, il revient aux forces de l’ordre d’arrêter leurs auteurs, dans le total respect de leur intégrité physique et de leur droit à la défense, et de permettre au rassemblement de se poursuivre.
Quant à l’appel des syndicats à «arrêter les émeutiers» et «mettre en œuvre les instructions du ministère public», il est foncièrement illégal puisque «les instructions du ministère public» ne peuvent être données qu’après la commission de faits délictuels et ne peuvent pas faire l’objet d’instructions policières préalables.
En outre, nos organisations ont documenté de nombreuses arrestations de manifestants présumés survenues ces dernières semaines et ayant donné lieu à des violations quasi-systématiques des droits des personnes arrêtées. Beaucoup ont ainsi été interpellées sans mandat et en dehors de tout soupçon de flagrant délit, violentées lors de l’arrestation ou au poste de police, placées en garde à vue sans notification de leur droit à un avocat, à un examen médical et à informer leurs familles. Certains détenus ont été contraints de signer des procès-verbaux sous la violence ou la menace de violence. La plupart ont ensuite été placés en détention provisoire sans même être présentés à une autorité judiciaire, comme l’exigent les standards internationaux et la loi tunisienne.
Les violations ont atteint leur paroxysme avec les agressions faites par des policiers à l’encontre d’enfants mineurs, des mères de détenus et de militants de la société civile devant le tribunal de première instance de Sfax 2, le 1er février 2021. S’ajoutent à cela, des menaces et harcèlements quotidien d’activistes et même d’avocats des présumés manifestants détenus.
Nos organisations condamnent fermement ces formes de violence institutionnelle menaçant la dignité, les droits et libertés des citoyens. Elles sont un obstacle à la mise en place d’un secteur de sécurité véritablement républicain.
Pour mettre fin à ces abus de pouvoir et instaurer une relation de confiance entre les forces de l’ordre et les citoyens, nous appelons les autorités compétentes à :
- envoyer un message clair de la part de l’exécutif en faveur des droits et libertés fondamentales des tunisiens et dénonçant les agissements récents de certains agents de sécurité et de certains syndicats;
- respecter le droit d’organiser des rassemblements pacifiques et garantir que les forces de l’ordre jouent à l’égard des manifestants un rôle de protection et non de répression;
- cesser instamment les arrestations de personnes sans mandat et hors cas de flagrance au seul motif qu’elles sont soupçonnées d’avoir participé à des rassemblements et sans aucun élément de preuve solide à leur encontre attestant qu’elles ont participé à des actes violents;
- garantir à toute personne arrêtée le respect de son intégrité physique et psychologique et de ses droits fondamentaux tels que le droit à un avocat et à un examen médical en garde à vue, le droit de faire prévenir un parent de son arrestation et le droit d’être présenté devant une autorité judiciaire dans les plus brefs délais;
- sanctionner les agents qui ont commis des actes de violences et porté atteinte aux droits fondamentaux des manifestants présumés ou de leurs familles;
- sanctionner les syndicats des forces de sécurité qui ont proféré des menaces ou insultes à l’encontre de citoyens notamment sur les réseaux sociaux.
Les associations signataires membres de l’Alliance pour la Sécurité et la Liberté : Organisation Mondiale Contre la Torture, Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux, Jamaity, Mobdiun, Psychologues Du Monde – Tunisie, Solidar Tunisie, Avocats Sans Frontières.
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